En région Sud, les fournisseurs des cafés et restaurants jouent leur survie
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En région Sud, les fournisseurs des cafés et restaurants jouent leur survie

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Pris au piège du confinement, du couvre-feu et de la fermeture des cafés et restaurants pour lutter contre la pandémie de Covid-19, les fournisseurs de la filière accusent le coup. Dénonçant le manque de visibilité, voire l'inadaptation des aides gouvernementales, oscillant entre optimisme et pessimisme, ils tentent aujourd'hui de sauver ce qui peut l'être sans savoir de quoi demain sera fait.

Au 31 décembre 2017, le secteur des cafés et restaurants comptait près de 32 000 établissements et représentait plus de 68 000 emplois en région Paca (Source : CCI Paca) — Photo : Olivia Oreggia / Le JDE

Depuis la première fois de son histoire, commencée en 1888, la Maison Bonifassi, grossiste en boissons implanté à Carros dans les Alpes-Maritimes, a dû fermer ses portes pendant presque six mois, faisant chuter son chiffre d’affaires de 50 % en 2020, par rapport à 2019 (16 millions d’euros). Pire, « depuis le deuxième confinement, notre chiffre d’affaires est quasiment repassé à zéro, notre activité avoisinant les 5 à 10 % de ce qu’elle était en 2019 », se désole Louis Bonifassi, cinquième génération à la tête de cette entreprise, qui emploie 45 salariés et compte 900 clients dans la restauration ou l’événementiel.

2020, année noire

Depuis un an maintenant, les fournisseurs des cafés et restaurants sont tous logés à la même enseigne et ne peuvent que constater la chute brutale de leur activité. L’entreprise Cash Alimentaire du Sud-Est dirigée par Barbara Gallice et Christophe Tripodi a perdu 4,7 millions d’euros en 2020, soit 30 % de son chiffre d’affaires par rapport à 2019 (plus de 16 millions d’euros). Une situation difficile à absorber, car « pour un grossiste à -30 %, nous sommes déjà en perte car la marge nette est très faible », souligne Barbara Gallice.

Dans le Var, la brasserie hyéroise Carteron, dont les deux tiers de la clientèle sont à l’arrêt, a enregistré une baisse de 55 % de son chiffre d’affaires en novembre et de 70 % en décembre. « Nous avons terminé l’année avec une baisse globale de chiffre d’affaires entre 5 à 7 %, alors que nous visions en début d’année une petite croissance avec un chiffre d’affaires global de 580 000 euros », confie Thomas Carteron, le dirigeant. Toujours dans le Var, mais cette fois, à Signes, le grossiste Gelvar (CA 2019 : 24 M€), qui alimente en produits surgelés et frais, d’épicerie et de droguerie près de 4 000 clients de Marseille à Fréjus, en passant par Aix-en-Provence, Toulon et Saint-Tropez, a perdu 80 % de son activité du jour au lendemain lors du premier confinement et jeté plus de 400 000 euros de denrées alimentaires. Pour son équipe de direction, « l’année est à oublier, d’autant que ce volume ne suffit pas à combler les charges, comme l’électricité ou le loyer. »

« L’année 2020 est à oublier. »

Quant aux 300 adhérents du Collectif Café (une filière qui représente plus de 1 800 emplois directs et plus de 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires, NDLR), ils se disaient purement et simplement en péril en fin d’année, la fermeture des cafés et restaurants ayant eu pour conséquence une baisse globale de 35 % du chiffre d’affaires, pouvant aller jusqu’à 90 % en période de confinement et donc de fermeture administrative.

Des espoirs de reprise sans cesse repoussés

Pour passer la vague, ces entreprises ont massivement recours au chômage partiel et adaptent leurs horaires d’ouverture, à l’image de la boutique de Gelvar, habituellement ouverte 7 jours sur 7 jusqu’à minuit et désormais fermée quatre jours par semaine. Les préparations de commandes, nocturnes avant la crise, sont réalisées en journée. L’entreprise, qui emploie 48 salariés, s’est adaptée, mais « cette organisation a fait beaucoup de mal. Nous avons dû nous séparer de salariés en CDD, que nous comptions embaucher en CDI. » Gelvar a aussi sollicité un prêt garanti par l’État, mais confiait en fin d’année 2020 se battre pour ne pas y toucher, conscient qu’il faudra un jour le rembourser. Le grossiste varois se bat aussi pour rester ouvert, pour ses salariés et ses quelques clients qu’il veut conserver, alors qu’il aurait tout intérêt à fermer à 100 % pour diminuer au maximum ses coûts.

Du côté de Carros, Cash Alimentaire Sud-Est a perçu 10 000 euros d’aide en décembre 2020… « Avec deux grands entrepôts, des congélateurs, des chambres froides, ça couvre à peine la consommation d’électricité. »

Dans ce contexte, tous ces fournisseurs espéraient une réouverture des cafés et restaurants la plus rapide possible. Avec une clause de revoyure fixée au début du mois d’avril, leurs espoirs ont été douchés. Barbara Gallice s’attend même à une année 2021 encore plus difficile que 2020 : « À partir du mois de février, avec le Carnaval de Nice qui donne le coup d’envoi des activités sur la Côte d’Azur, ce sont des mois importants. Mais aujourd’hui, le premier trimestre est d’ores et déjà perdu, d’autant que le souci, ici, est double : nous souffrons de la fermeture des restaurants mais aussi de l’absence des touristes. Sans eux, nous ne pourrons reprendre une activité normale. » Et d’ajouter : « Le Grand Prix de Monaco aura-t-il lieu ? Et le Festival de Cannes ? Les congrès reprendront-ils ? Il nous faut de la visibilité, même les marchés alimentaires se négocient sur un an. » Jean-Pierre Blanc, qui dirige les cafés Malongo à Carros, partage le même constat : « il est impossible de retrouver une activité normale tant que les frontières ne sont pas ouvertes. »

« Il est impossible de retrouver une activité normale tant que les frontières ne sont pas ouvertes. »

À chaque nouvelle journée de fermeture des CHR, l’avenir des fournisseurs s’assombrit un peu plus et le pessimisme gagne du terrain. « Moralement, il y a des hauts et des bas. Et des très bas. C’est difficile de se lever le matin quand la société ne vit pas, que le téléphone ne sonne pas, quand on se fait du souci pour l’avenir », confie Barbara Gallice, qui a l’impression de perdre en une année tout ce qui a été construit sur trente ans.

Un horizon peu dégagé

Le directeur de Gelvar est sur la même ligne : « Alors qu’un chef d’entreprise devrait consacrer 110 % de son énergie à développer son entreprise, à créer de la vie, à investir, embaucher, améliorer les conditions de travail, monter des projets, aujourd’hui, toute cette énergie est investi dans notre survie, sans aucune vision sur l’avenir. Nous avons sauvé tous les emplois en CDI mais nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Nous avons réussi à faire une croix sur une part importante de notre chiffre d’affaires, à trouver un équilibre entre nos recettes et nos dépenses, mais il faut que l’activité redémarre. »

Ce redémarrage, sans cesse repoussé, laissera en plus des traces sur le secteur des cafés et restaurants, qui comptait au 31 décembre 2017 près de 32 000 établissements et représentait plus de 68 000 emplois en région Paca (Source : CCI Paca). Mais seront-ils encore là demain pour permettre à toute une filière, fournisseurs compris, de repartir comme avant la crise ?

L’UMIH a bien du mal à le mesurer, ses adhérents consacrant tout leur temps à leur survie plutôt qu’à la communication sur leurs difficultés voire leur fermeture définitive. Néanmoins, dès la fin de l’année dernière, une enquête réalisée entre le 17 et le 20 novembre par la CCI Aix Marseille Provence et la fédération professionnelle, révélait que 4 commerces de proximité ou CHR sur 10, envisageaient d’arrêter définitivement leur activité ou ne savaient pas s’ils pourront la maintenir. Pour une majorité d’entre eux, cette cessation d’activité était envisagée dès la fin de l’année 2020, ou au plus tard à la fin du 1er semestre 2021. Il faut dire que les pertes sont colossales. Alors que le chiffre d’affaires estimé de la restauration commerciale en France atteint normalement 56 milliards d’euros, elle avait déjà perdu plus de 21,5 milliards d’euros de janvier à novembre 2020, selon Food Service Vision, un cabinet de conseil et d’étude spécialisé dans l’accompagnement des acteurs de la consommation hors domicile.

« Il faudra plusieurs années pour revenir à un niveau normal. »

Ces chiffres alimentent les inquiétudes. Ainsi, chez Malongo (400 personnes pour un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros), qui réalise 35 à 40 % de son chiffre d’affaires en CHR, son directeur Jean-Pierre Blanc considère que la filière est en danger, d’autant que « nous ne savons pas comment l’activité reprendra pour nos clients, idem pour nos distributeurs, il y aura des regroupements, des dépôts de bilan. » Barbara Gallice en est convaincue, « il faudra plusieurs années pour revenir à un niveau normal. »

La combativité pour survivre

Pour sauver leur activité, certains fournisseurs des Alpes-Maritimes ont décidé de mettre entre parenthèses leur rivalité commerciale pour se fédérer et faire entendre leur voix (lire par ailleurs). Former ce consortium, qui réunit 14 entreprises, pour la plupart des entreprises familiales et indépendantes qui contribuent au dynamisme régional, « c’est une question de survie », affirme Louis Bonifassi.

D’autres choisissent de concentrer leurs efforts sur la conquête de nouveaux marchés ou se renforcent à la faveur du confinement. Ainsi, les cafés Malongo enregistrent une forte hausse de leur activité auprès de la grande distribution, « une accélération soutenue par le confinement et le télétravail, tout comme la vente à distance », confie Jean-Pierre Blanc.

Au sein de la Brasserie Carteron, qui propose 13 bières, dont La Trop, le dirigeant Thomas Carteron poursuit sa transformation vers les magasins, augmentant le nombre de points de vente de 45 %. L’entrepreneur confie s’en être sorti seul. Il n’a perçu que 1 500 d’euros au titre du fonds de solidarité et n’a pu décrocher de PGE puisque son entreprise est en procédure de sauvegarde. Optimiste, malgré tout, il se dit prêt à affronter 2021 : « nous avons amélioré notre offre auprès des primeurs et petites surfaces, nous allons lancer une nouvelle gamme à l’eau de source dédiée aux cavistes et magasins indépendants spécialisés dans les produits biologiques et une gamme innovante pourrait aussi sortir des cartons au printemps pour travailler de nouveaux marchés et capter une nouvelle clientèle. »

La Brasserie Carteron à Hyères emploie une équipe de six salariés, dont une partie a été placée en chômage partiel dès le premier confinement — Photo : Carteron
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