En Région Sud, le secteur de l’événementiel est contraint de se réinventer
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En Région Sud, le secteur de l’événementiel est contraint de se réinventer

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Depuis mars, le secteur de l’événementiel est à l’arrêt. Alors que la rentrée devait signer le redémarrage de la filière, salons, festivals, événements s’annulent les uns derrière les autres. Malgré la brutalité de la situation, les organisateurs d’événements ont su se regrouper et inventer de nouvelles formes de rencontres, notamment grâce aux outils numériques.

Le Palais des congrès et festivals de Cannes a accueilli, les 1er et 2 septembre, le salon Heavent Meetings, le rendez-vous des acteurs de l'événementiel. — Photo : Regis Courvoisier

15 milliards d’euros en six semaines. Ce montant vertigineux serait celui des pertes de chiffre d’affaires enregistrées par le secteur de l’événementiel en France, l’un des tout premiers à avoir été condamné à interrompre ses activités par la pandémie du coronavirus. Et le tout dernier à n’avoir pas retrouvé son activité normale avant fin août, les événements autorisés étant plafonnés à 5 000 personnes. Concerts, festivals, grandes rencontres, congrès, salons professionnels ont ainsi été annulés ou reportés…Et, la rentrée, qui promettait une reprise, apporte son nouveau lot d'annulations. A l'image du 43e Cannes Yachting Festival, qui devait marquer la reprise de l’activité événementielle, du 8 au 13 septembre, et qui a finalement été interdit par le préfet des Alpes-Maritimes.

Au rang des événements « sauvés » en Région Sud, le festival de piano de la Roque d’Anthéron (Bouches-du-Rhône) s’est maintenu avec une version « light » courant août. Plus récemment, Cannes a accueilli le salon Heavent Meetings 2020, le premier salon d'envergure organisé en France depuis le déconfinement. L'événement a été salué par le Ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité, Franck Riester, qui y voit « la preuve que les salons professionnels peuvent se tenir quand le strict respect des règles sanitaires est au rendez-vous. »

« Nous n’avons réalisé que quatre montages durant toute la période, au lieu de 150 à 200. »

Depuis le début du printemps, le Festival de Cannes, le Festival d’Avignon, le Festival international d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence n’ont pas eu lieu. Demain, la Fiesta des Suds à Marseille ou encore la mythique course Marseille-Cassis prévue le 25 octobre, n'auront pas lieu non plus, privant d’activités, du jour au lendemain, les prestataires régionaux du secteur. « Nous sommes à l’arrêt depuis début mars », confie ainsi Frédéric Moschetti, qui dirige l’agence de La Ciotat SMM Events, prestataire technique spécialisé dans l’installation de scènes, de gradins et de stands, pour qui le Mipim représente en général près de 10 % du chiffre d’affaires. « À fin août, nous avons perdu au moins un million d’euros de chiffre d’affaires (sur les 2,50 M€ qu’enregistre la société annuellement, NDLR). Nous n’avons réalisé que quatre montages durant toute la période, au lieu de 150 à 200. Nous avions un carnet de commandes plein. Pour l’instant, seule une vingtaine de manifestations a été maintenue ou reportée. Si tout se passe bien, nous devrions atteindre 1,20 M€ de chiffre d’affaires, soit la moitié de notre activité. »

Une filière dans l’expectative

Son de cloche similaire dans le Var, à Toulon, où Audrey Barrières a fondé et dirige Culturevent (CA 2018 : 93 000 euros). Pour elle et son entreprise, toute activité s’est arrêtée du jour au lendemain à la mi-mars. La start-up tourne au ralenti depuis le début de l’été. « La plupart des événements sur lesquels je devais intervenir ont été annulés, et une infime partie reportée à l’automne. Depuis la fin du confinement, j’ai eu quelques demandes de devis et je sens un petit frémissement », consent-elle, estimant que « le sens de la fête reste difficilement compatible avec les mesures sanitaires. » Créée en 2015, Culturevent met en relation musiciens et organisateurs d’événements, via une plateforme. Entreprises, agences événementielles, hôtels et palaces, conciergeries ou collectivités font appel aux services de la start-up pour mettre en musique leurs événements.

L'entreprise niçoise Digital Vision assure des prestations techniques pour des matches de football, spectacles, conventions d'entreprises ou encore auprès de l'OCDE ou de l'Unesco à Paris — Photo : Digital Vision

« Si les restrictions sur les rassemblements de personnes sont levées, cela ne veut pas dire pour autant que nous allons travailler, juge pour sa part Jean-François Boutin, dirigeant de Digital Vision (10 salariés - CA : 2,20 M€), prestataire technique audiovisuel basé à Nice depuis 2004. Nous étions toujours à 5 % de notre activité en termes de chiffre d’affaires à fin juillet… Nous savons que nous allons reprendre, mais pas dans quelles conditions. Concernant nos prestations dans le football, je ne suis pas très inquiet, même si cela doit prendre du temps. Mais concernant les activités d’entreprises, nous sommes davantage dans l’expectative. Quelle société prendra le risque de mettre 400 collaborateurs dans une même salle de réunion pour leur parler de l’avenir ? Pour l’heure, nos clients nous disent attendre. »

Vaincre la peur

« La peur, voilà notre problématique », souligne Loïc Macqueron, dirigeant de GNB Events (4 salariés – CA : 1,60 M€), basé à Aubagne, qui intervient dans l’organisation d’événements BtoB (séminaires, lancements de produits, conventions, soirées de gala…). « Depuis mars, nous n’avons quasiment rien fait. Début juillet 2019, notre chiffre d’affaires était d’environ 980 000 euros ; nous en sommes à 87 000 euros cette année, déplore-t-il. Nous annulons encore tous les jours des dates qui étaient programmées pour la fin d’année. Les entreprises attendent de savoir laquelle va prendre en premier le risque de réorganiser des événements… »

« Nous annulons encore tous les jours des dates qui étaient programmées pour la fin d’année. »

« Pourtant nous sommes prêts. Dans l’événementiel nous sommes habitués à couvrir les risques, à nous organiser. Nous l’avons fait pour le risque d’attentat. Il faut aujourd’hui rassurer les chefs d’entreprise », confie de son côté Christine Caïn, qui dirige l’agence événementielle marseillaise Access United. « Il existe des solutions qui respectent les règles sanitaires. L’événementiel est un outil pour créer un lien social. C’est un créateur de business, un réel facteur de croissance, même pour des événements culturels ou sportifs. Nous devons rétablir la confiance », poursuit-elle.

« Avec le développement du télétravail, les changements de comportement RH, les salariés vont de moins en moins souvent se voir sur leurs lieux de travail. Nous serons là pour leur permettre de se retrouver à l’occasion d’un événement d’entreprise », souligne Pierre-Louis Roucariès, président du bureau des congrès régional Paca Events et président délégué d’Univem, l’Union française et des métiers de l’événement.

Présentiel, distanciel ou hybride ?

Certains événements se transforment et le présentiel est aujourd’hui métamorphosé en distanciel via des outils numériques ou en version hybride. Mais l’avis est unanime, les événements « en ligne » ne remplaceront pas les véritables rencontres. « Un séminaire ne peut pas se faire à distance. La visio ne remplacera pas l’humain, même si nous allons davantage être amenés à allier présentiel et virtuel. Il existe des outils et des lieux permettant d’intervenir à distance sur un congrès devant 600 personnes », poursuit Pierre-Louis Roucariès.

« La digitalisation va dans le sens de l’histoire, mais 100 % d’événements en distanciel, ce n’est tout simplement pas possible. Il sera toujours nécessaire d’avoir des temps pour se rencontrer », ajoute Cédric Angelone, dirigeant de l’agence marseillaise Artkom et cofondateur, avec Eric Algoud de Mediacom, du tout nouveau Syndicat des activités événementielles (SAE), créé durant le confinement. La structure compte aujourd’hui 307 membres, représentant près de 2 900 salariés, et a pour vocation de regrouper l’ensemble des entreprises du secteur événementiel, mobilisées pour mettre en place de nouvelles règles prenant en compte le risque sanitaire et la sécurité du public. Si l’initiative est née en Région Sud, le syndicat compte déjà des membres issus d’autres régions.

Une étude épidémiologique appliquée à l’événementiel

« Nous voulons être un véritable mouvement de transformation des métiers de l’événementiel, né de la nécessité de répondre à la crise du coronavirus qui a complètement paralysé notre secteur et mis en danger l’ensemble de la filière », confie Cédric Angelone. Le syndicat a choisi de plancher sur quatre axes d’action prioritaires. « Si rien ne s’oppose à la reprise des événements, hormis la jauge de 5 000 visiteurs, tout doit cependant se faire dans le respect des protocoles et des gestes barrières. Nous ne voulons pas qu’il y ait de « flou ». On le voit encore trop souvent, dans les restaurants, pour la Fête de la musique. Les choses ne sont pas suffisamment claires pour rassurer nos clients », poursuit-il.

« Les choses ne sont pas suffisamment claires pour rassurer nos clients. »

Le SAE a ainsi tout d’abord choisi de mettre en place une étude épidémiologique Covid-19 appliquée à l’événementiel, afin de déterminer de façon scientifique qu’il n’y a pas de risque majeur à assister à un événement de type concert avec une distanciation physique réduite. Cette étude sera menée avec EuroMédicare et le professeur Pascal Auquier, de l’Assistance publique - Hôpitaux de Marseille. « Elle pourra ensuite être utilisée pour d’autres virus. Nous devons d’ores et déjà intégrer cette problématique, comme nous l’avons fait il y a quelques années pour le risque attentat. Cette étude sera menée à l’automne et nous permettra de travailler dans la durée en intégrant le risque sanitaire », décrit Cédric Angelone.

Créer un référent Covid

Un livre blanc de bonnes pratiques sera également disponible courant septembre. « La crise a modifié la hiérarchie des valeurs et le secteur événementiel doit pouvoir incarner ces nouvelles attentes. L’objectif de ce livre blanc est de créer un véritable référentiel qui permettra d’identifier les organisateurs d’événements qui adhèrent à notre philosophie », plaide le codirecteur du SAE.

Le syndicat propose de modifier certains points dans les dossiers de demandes de subventions ou de réponses aux marchés publics, à savoir la prise en compte des actions écocitoyennes territoriales, la dynamisation de l’attractivité économique locale et, bien sûr, le respect très strict des cahiers des charges sanitaires. Cédric Angelone va plus loin : « Nous voulons en outre instaurer la création d’un référent Covid. Cette personne sera formée et saura comment manager un lieu, les équipes et les invités. Dans tout événement, il y a des équipes de sécurité. Ces agents de sécurité doivent être notre clé pour faire clairement respecter les gestes barrières. Nous souhaitons que ce rôle de référent Covid soit encadré légalement. Il ne faut plus que les événements s’organisent dans l’improvisation et que les choses dégénèrent. Ce n’est pas ainsi que nous retrouverons la confiance des entreprises. »

Un accompagnement économique

Économiquement, les entreprises du secteur ont survécu au plus fort de la crise grâce aux différentes aides de l’État : prêt garanti, chômage partiel, annulation de charges… « Pour nous en sortir, nous avons sollicité et obtenu une suspension de tous les prêts d’investissements, un report du crédit-bail et nous avons décroché un prêt garanti par l’État », détaille Michael Negri, directeur général du groupe de location de matériel électrique pour l’événementiel Electrika (45 salariés – CA : 7 M€), basé à Cuers, dans le Var. « Pendant cinq ans, nous devrons rembourser ces prêts sans avoir retrouvé une activité à 100 %. Cela s’annonce compliqué. De nombreuses entreprises vont repartir très vite après le confinement, mais toutes les sociétés dépendantes de budgets jugés accessoires, comme les nôtres, vont souffrir », déplore le dirigeant.

Le Syndicat des activités événementielles plaide ainsi largement pour libérer les entreprises des charges sociales patronales jusqu’à fin 2020, avec une éventuelle prolongation au premier semestre 2021. « Nous souhaitons également que soit prolongé le dispositif de chômage partiel jusqu’à la fin de l’année, mais avec une prise en compte à 100 % et non 84 % comme c’est le cas depuis le déconfinement. Notre métier est spécifique et la réglementation nous empêche de retrouver notre activité. Il faudrait pouvoir affiner les aides et effectivement accompagner les entreprises en fonction de leur réelle perte de chiffre d’affaires par rapport à N-1. Certains membres du syndicat sont à -80 % de chiffre d’affaires par rapport à 2019. Nous sommes face à une crise nouvelle, il faut inventer de nouveaux outils », martèle Cédric Angelone. Une chose est certaine : une seconde vague du virus serait sûrement fatale à grand nombre de sociétés dans l’événementiel.

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