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En région Sud, le mécénat collectif fait recette
Enquête Région Sud # Mécénat

En région Sud, le mécénat collectif fait recette

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Si l’on en croit les chiffres d’une récente enquête publiée par Admical, les entreprises de la région Paca figurent parmi les mécènes les moins généreuses de France. Alors que la prévalence des TPE et PME dans le tissu économique est l’une des raisons invoquées, les entreprises locales semblent avoir trouvé la parade en misant sur le pouvoir du collectif. Une tendance encore renforcée à la faveur de la crise sanitaire et d’événements climatiques.

En 2018, 5 250 entreprises ont déclaré des dons pour un montant total de 55,4 millions d’euros, représentant 2,7 % du total des dons déclarés par les entreprises mécènes en France. Avec la crise sanitaire, la destination sociale des fonds est revenue en tête, passant devant la culture, qui reste malgré tout largement soutenue — Photo : Vincent PONTET

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur fait figure de mauvaise élève selon le dernier baromètre du mécénat d’entreprise en France, publié au printemps par Admical. La région comptabilise seulement 2,7 % d’entreprises ayant déclaré des dons au titre du mécénat en 2018. Soit "l’un des taux de mécénat les plus faibles des 13 régions françaises, juste avant la Corse. À titre de comparaison, les Pays de la Loire, région pionnière en termes de mécénat, comptent 9,4 % d’entreprises mécènes, Auvergne Rhône-Alpes 5,6 % ou l’Occitanie 4,3 %", souligne Catherine Gineste, déléguée régionale Grand Sud d’Admical, l’association pour le développement du mécénat industriel et commercial. Certes modestes, ces chiffres montrent néanmoins une augmentation, puisqu’entre 2010 et 2018, le nombre d’entreprises ayant déclaré des dons en Paca a été multiplié par 3,7.

Une solidarité en dehors des radars

Pour expliquer ce chiffre "étonnant", Catherine Gineste avance plusieurs raisons.

Catherine Gineste, déléguée régionale Grand Sud d’Admical — Photo : Admical

Selon elle, "beaucoup de dons ne sont pas forcément déclarés en région. Par ailleurs, la Région Sud compte que très peu de grandes entreprises et les actions locales de grands groupes comme Total ou EDF, qui sont réelles sur notre territoire sont comptabilisées au niveau national puisque leurs sièges sociaux sont à Paris. Enfin, nous remarquons également qu’une ville comme Marseille en particulier abrite de nombreuses entreprises familiales qui font du mécénat sans le savoir, qui mènent des actions de charité, là encore pas forcément déclarées." La déléguée au développement régional de la Fondation de France Méditerranée, Cécile Malo, explique aussi cette faiblesse du mécénat privé par "un soutien plus important qu’ailleurs des institutions publiques."

Nombre d’actions de solidarité passeraient donc sous les radars, à commencer par celles menées par de jeunes entreprises, qui ne génèrent pas de bénéfices, ouvrant droit à la défiscalisation. C’est le cas de la start-up marseillaise MCES, dirigée par Romain Sombret et qui évolue dans le secteur de l’e-sport avec une équipe d’une quarantaine de joueurs. Déjà impliqué auprès du Sidaction ou de l’association brésilienne Gol de Letra au Brésil qui propose un programme "d’éducation intégrale" aux jeunes issus de quartiers défavorisés, le startuper a récemment choisi de supporter la Fondation de Marseille. Avec son épouse (coassociée de l’entreprise, NLDR), Romain Sombret a toujours fait du mécénat, car "faire du business, c’est bien, mais ça manque de profondeur. En intervenant par le biais du mécénat dans des associations, cela nous permet de nous connecter aux réalités. C’est important dans un métier comme le nôtre qui repose sur le virtuel et où l’âge moyen de nos équipes est plutôt jeune (25 ans)", poursuit l’entrepreneur, pour qui le mécénat permet d’impliquer ses équipes, de sensibiliser ses fans à différentes causes et d’apporter une réponse sociétale aux attentes de ses sponsors.

La région, laboratoire d’initiatives collectives

Un autre témoignage, celui de Lucie Venet, directrice exécutive d’OM Fondation démontre aussi que la solidarité ne prend pas forcément la forme de dons financiers : "Au-delà d’un éventuel soutien financier, nous souhaitons aussi être opérateur de nos projets et les coconstruire avec différentes parties prenantes du territoire. Nous œuvrons dans une région où les initiatives sont nombreuses et où les acteurs locaux sont désireux de s’investir", confie Lucie Venet, dont les propos illustrent aussi une autre réalité territoriale : la puissance du collectif !

Selon Catherine Gineste, "Marseille est même devenu un vrai laboratoire à l’échelle nationale de ces initiatives collectives qui agrègent institutions publiques et entreprises pour mener des projets de solidarité." Ces dernières années, les exemples se sont multipliés, adressant des domaines très variés. L’Épopée, portée par l’association Synergie Family, soutient l’innovation éducative au cœur des quartiers nord de Marseille. La Fondation de Marseille, créée en février 2020 par plusieurs dirigeants du territoire réunit déjà une trentaine d’entreprises pour mener des actions de mécénat de compétences sur le territoire.

Dans le domaine des arts numériques, neuf entreprises ont créé le Digital Art Club pour "proposer des réponses poétiques aux enjeux soulevés par le numérique et organiser, avec des artistes, des expériences inoubliables", selon les mots de son président Alexandre Contencin. Dans le domaine de l’environnement, Christophe Caille a lancé le mouvement Entrepreneurs pour la planète fin 2019 pour "remettre l’entreprise, et plus spécifiquement leurs dirigeants au cœur de l’action collective en faveur de la protection de l’environnement."

Bien avant lui, en 2010, le fonds de dotation Synergie Solaire (4 salariés) a vu le jour, né de la conviction des associés de l’entreprise Ténergie (Nicolas Jeuffrain, Patrick Demaegdt) basée à Meyreuil que l’accès à l’énergie est un véritable levier pour le développement des pays émergents. "Dès sa création, nous ne voulions pas en faire la fondation de Ténergie. Nous voulions mettre Synergie Solaire au service des PME de la filière. Trop souvent, les entreprises ont envie d’agir, mais elles n’ont pas forcément le temps, ni les moyens. En se regroupant les choses deviennent plus faciles et nous nous chargeons de faire l’interface entre les entreprises et les ONG qui portent des projets, sélectionnés par un comité d’experts auquel peuvent participer nos principaux donateurs", explique la présidente Hélène Demaegdt.

Hélène Demaegdt, présidente de Synergie solaire. En dix ans, le fonds de dotation a permis d’apporter deux millions d’euros pour soutenir plus d’une centaine de programmes issus de 75 ONG — Photo : DR

Ces exemples sont confirmés par une étude réalisée par l’association Le Rameau, un laboratoire de recherche dédié aux alliances innovantes au service du bien commun : la région Paca est le théâtre d’une dynamique partenariale largement au-delà de la moyenne nationale : pour répondre aux enjeux des territoires, 45 % des entreprises et 47 % des associations sont engagées dans un mouvement de coconstruction. Par ailleurs, 91 % des dirigeants d’entreprise et 83 % des responsables associatifs pensent que les alliances sont source d’innovation pour faire émerger des solutions concrètes.

Les collectifs boostés par les crises

"Tous ces collectifs permettent de mutualiser des compétences, des expertises et des moyens. Les dirigeants y retrouvent une dynamique collective forte, ont le sentiment de participer à une aventure, d’être acteurs de projets plus grands. Ces exemples, en favorisant l’émulation collective, constituent l’avenir du mécénat car ils permettent d’en dépoussiérer l’image et de pousser des entrepreneurs à mettre le pied à l’étrier", considère Catherine Gineste. D’ailleurs, ce que nos donateurs recherchent aussi, ce sont des rencontres", confirme Hélène Demaegdt de Synergie Solaire. Pour Alexandre Contencin, par ailleurs dirigeant de l’agence Marsatwork, "le collectif permet de réaliser des opérations plus importantes, d’arriver à un résultat inenvisageable pour une PME isolée."

Cette tendance s’est encore renforcée avec la crise sanitaire, qui a provoqué "une accélération de l’envie d’agir." Dans le Var, une poignée de dirigeants se sont ainsi réunis pour créer le fonds de dotation "Entrepreneurs & Citoyens", dont l’une des ambitions est de mener des actions solidaires, à travers des distributions de repas. "Nous voulions sortir de notre zone de confort et mener des actions concrètes pour aider ceux qui en ont besoin", explique Jean-Yves Kbaier, dirigeant de la PME toulonnaise Ennovia et président du fonds de dotation.

Une autre crise, climatique, a poussé des entrepreneurs et entrepreneuses à se mobiliser collectivement : la tempête Alex survenue dans le haut pays niçois le 2 octobre 2020. Au-delà du drame humain, ce drame économique (plus d’un milliard d’euros de dégâts) a en effet poussé à raviver le premier Cercle des mécènes de la fondation du patrimoine 06, présidée par Yvon Grosso, également président du Medef Paca. Alors que les besoins identifiés pour le patrimoine classé sont estimés entre 10 et 15 millions d’euros, "nous voulons fédérer les actions privées pour que notre patrimoine redevienne une opportunité de développement économique", indique Yvon Grosso. Après une année 2020 marquée par la crise, Réjane Lavagna, chargée de mission Paca de la Fondation du Patrimoine note que l’intérêt pour le patrimoine est toujours là et attend beaucoup de cette dynamique collective lorsque des rencontres et visites de lieux pourront à nouveau être organisées.

Suite aux dégâts économiques provoqués par le passage de la tempête Alex dans le haut pays niçois, des entrepreneurs se sont réunis en collectif. De gauche à droite : Gérard Nervi, agriculteur dans la Vésubie, Sébastien Fargeix, concessionnaire automobile, Céline Alunni et Fred Ghintran, membres du Collectif des Entrepreneurs des Trois Vallées, Philippe Roustan, cofondateur des Week-ends Solidaires — Photo : DR

La solidarité s’est aussi organisée autour du Collectif des entrepreneurs des Trois Vallées, porté par le Niçois Benjamin Mondou, à la tête du groupe immobilier Century 21 Lafage Transactions (8 agences dans les Alpes-Maritimes) et connu pour ses engagements caritatifs. Pour Céline Alunni, directrice commerciale du réseau de carrosserie indépendant Albax et porte-parole du Collectif des Entrepreneurs des Trois Vallées, "la vingtaine d’entreprises du collectif a été touchée d’une manière ou d’une autre par la crise sanitaire, mais quand on est une entreprise locale, on ne peut pas fermer les yeux et ne pas tendre la main." Pour empêcher l’exode rural tant redouté, le collectif finance 25 % des budgets et du matériel des "week-ends solidaires" (réunissant des volontaires qui aident les sinistrés) grâce à des dons d’EDF via Citelum, d’Ametra, de Ritchie Bros, une cagnotte Leetchi, la mairie de Rungis, des particuliers, de l’automobile club de Nice… "Il y a eu beaucoup d’échanges logistiques, de dons numéraires et puis de l’aide en tout genre. Nous recevons environ une demande d’aide par semaine", explique Céline Alunni, consciente que le soutien du collectif est parti pour durer plusieurs années.

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