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En Paca, le secteur du bâtiment se réorganise pour affronter 2023
Enquête Région Sud # BTP # Conjoncture

En Paca, le secteur du bâtiment se réorganise pour affronter 2023

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Entre la crise sanitaire et celle de l’énergie, le secteur du bâtiment se réorganise en Région Sud et transforme ses procédures, bouleversant des habitudes ancrées depuis des décennies. Toujours plombé par les hausses du coût des matériaux, le secteur se prépare à un ralentissement de l’activité en 2023.

Pénurie des matières premières, flambée des cours des matériaux et hausse du prix de l'énergie modifient les modes de fonctionnement des entreprises du bâtiment. — Photo : D.Gz

En deux années, depuis la crise sanitaire du Covid-19, le secteur du BTP de Paca a vu son organisation profondément bouleversée. Pénurie des matières premières, flambée des cours des matériaux, hausse du prix de l’énergie ont en effet radicalement modifié des modes de pensée et des procédures bien huilées depuis longtemps. La règle du prix ferme et définitif, en place depuis de nombreuses années, résiste encore mais a, dans la plupart des cas, volé en éclats, contraignant les acteurs à inventer de nouvelles solutions, à sortir des habitudes confortables afin de trouver de nouvelles procédures, d’autant que le marché de la construction maintient son rythme contre vents et marrées.

"Nous nous sommes retrouvés dans une situation exceptionnelle. Nous nous sommes dit que les contrats ne valaient plus rien…", confie Frank Artaud, directeur achats groupe chez GSE (550 salariés, 743 M€ de CA). L’entreprise, dont le siège social est à Avignon, construit près d’un million de mètres carrés par an, pour des clients dans les secteurs de la logistique, de l’industrie et du tertiaire. "Depuis le début du conflit russo-ukrainien, nous sommes face à des problèmes d’achat et plus précisément de ruptures unilatérales de commande. De gros faiseurs, dans les domaines de l’acier ou des isolants par exemple, ont purement et simplement annulé des commandes. Nos sous-traitants ne pouvaient plus travailler et se sont ainsi retrouvés confrontés à du jamais vu", poursuit Franck Artaud.
Aux pénuries se sont rapidement ajoutées des hausses des prix, parfois vertigineuses. "Depuis un an, les chantiers ont en moyenne enregistré des hausses de prix de 15 à 20 %. Pour la plupart des postes liés au bâtiment, c’est une situation totalement nouvelle", relate Serge Perottino, dirigeant du groupe Perottino (100 salariés, plus de 80 M€ de CA), basé à Peypin (13), qui intervient depuis 1987 dans le secteur de l’immobilier, à la fois pour une clientèle de particuliers et d’entreprises. "Malgré cette situation, nous n’enregistrons aucune baisse dans les commandes, notamment pour les particuliers. Une maison demeure un rêve et les clients suivent. Pour les professionnels, tous ceux qui ont des objectifs de croissance poursuivent également leurs projets de construction. Mais nous ne sommes pas des magiciens, nous devons trouver une rentabilité…"

Une situation que confirme par ailleurs Lionel Virenque, président de Maisons du Midi (CA 2021 : 24 M€), constructeur varois de maisons individuelles fondé en 1994 et basé à Solliès-Pont : "La chance que nous ayons, c’est que la construction d’une maison reste toujours une bonne affaire au regard des prix de l’immobilier. Nos clients investissent en moyenne 500 000 euros pour l’achat du terrain et la construction de leur maison. Une fois la construction achevée, elle vaut déjà 15 % de plus. Malgré la hausse du prix de vente d’une maison, notre activité restera soutenue en 2023. En revanche, nous constatons, déjà aujourd’hui, un changement de notre clientèle puisque le chiffre d’affaires moyen d’une maison est passé de 150 000 euros hors taxes à 190 000 euros hors taxe en un an".

Lionel Virenque, président de Maisons du Midi — Photo : Maisons du Midi

Pour Christophe Courtin, fondateur et dirigeant du groupe éponyme (60 salariés) basé à Sophia-Antipolis, l'augmentation des prix des matériaux ne freine pas ses projets de construction. "Bien au contraire car des concurrents arrêtent et nous sommes les seuls capables de produire. Nous ne réalisons que deux opérations environ par an alors qu'on m'en propose dix. Je les sélectionne. Nous avons une visions à 360°. Nous ne sommes pas inquiets", commente-t-il.

Des augmentations de prix mensuelles

Augmenter les prix, revoir les prestations prévues, rogner sur les marges : autant de possibilités que les entreprises, chacune à leur niveau dans la chaîne de construction, appliquent depuis maintenant près de deux ans. "Notre cœur de métier, c’est notre capacité à chiffrer des projets de construction. Or, nous nous retrouvons dans une situation inédite. Nous ne sommes plus capables de faire un prix, car tous les mois nous enregistrons des variations du tarif des matières premières. L’acier a vu son prix et ses délais de livraison multipliés par deux. Les chantiers sont désorganisés et prennent du retard. Nous tenons bien sûr nos clients au courant de toutes ces évolutions, mais c’est une situation très difficile pour les maîtres d’ouvrage", confie Mathieu Vivier, cofondateur de la société Trium, basée à Marseille depuis cinq ans, qui intervient à différents niveaux dans la chaîne de construction (contractant général, maîtrise d’œuvre, assistance à maîtrise d’ouvrage…) pour le compte de clients privés dans le tertiaire ou les locaux commerciaux. Pour Renaud Tarrazi, un des associés de l’agence d’architecte Marseille Architecture Partenaire (MAP), "depuis 2022, nous recevons des devis avec délais. Les offres de prix ne sont parfois valables que 48 heures. Avant, les entreprises rédigeaient leurs devis sans se soucier de valider les prix auprès de leurs fournisseurs. Il y a désormais une grande fébrilité et une grande prudence sur ce sujet".

Protéger les entreprises et l’emploi

"Les crises successives s’additionnent et les problèmes se multiplient. L’organisation des chantiers est affectée par les pénuries et les délais de livraison. Le secteur doit s’adapter et cela demande une responsabilité collective de la filière. Tous les acteurs de la chaîne doivent anticiper les problèmes…", assure Nicolas Chabrand, président de la fédération du BTP des Hautes-Alpes, appelant à la responsabilité de tous afin de protéger les entreprises et l’emploi. "La construction, tous corps d’état, a connu une hausse des prix de 12 %. Qui la subit ? Toutes les entreprises qui sont engagées sur des marchés fermes et non révisables, comme c’est le cas dans le secteur privé. En appliquant ce principe, dans les circonstances actuelles, on met en danger les entreprises et l’emploi. Il faut partager les surcoûts. Il arrive que le maître d’ouvrage prenne à sa charge de 50 à 90 % des surcoûts. Mais ce sont des négociations au cas par cas, qui dépendent des corps d’état". Dans le cadre des marchés publics, depuis septembre, le gouvernement a mis en place la possibilité de réviser les prix afin de prendre en compte les surcoûts engendrés.

Avenants et prix révisables

Beaucoup de maîtres d’ouvrage jouent le jeu et encaissent des hausses de prix ou des retards.

C’est le cas d’Erilia (900 salariés, 414 M€ de CA), constructeur et gestionnaire de logements sociaux en France, opérateur de logement social des Caisses d’Epargne et du Groupe BPCE, basé à Marseille. Erilia a choisi de jouer son rôle d’entreprise à mission dans cette situation qui bouleverse les plannings des chantiers et fait peser un vrai risque sur les entreprises sous-traitantes, en charge de tel ou tel marché. "Nous avons beaucoup de sous-traitants de petite taille. Nous avons choisi de les soutenir dans cette période inédite", indique Frédéric Talik, directeur général adjoint d'Erilia, en charge de la maîtrise d'ouvrage. Pour cela, l’entreprise a tout d’abord choisi de poursuivre les investissements afin d’apporter afin de ne pas ralentir l’activité. "Nous avons également réintroduit dans nos contrats une clause de révision des prix en nous basant sur l’indice BT qui reflète le plus l’activité de notre sous-traitant et non simplement en fonction de l’indice général BT01 du bâtiment. Pour nos contrats déjà signés nous avons ajouté un avenant afin de mettre en place la notion de prix révisables". De même Erilia a gelé ses recours aux pénalités de retard. "Si nous n’avions pas pris ces mesures, les conséquences auraient pu être plus graves pour beaucoup de nos entreprises sous traitantes".

Mais tous les acteurs de l’immobilier ne veulent pas entendre parler de clause de révision de prix ou de retard de livraison. Certains, non content d’infliger des pénalités pour retard, vont même jusqu’à faire porter sur les acteurs de la construction les pertes d’exploitation liées au décalage de la livraison.

Marges réduites et optimisation des projets

"Il faut trouver des solutions. À la mi-2021, sur l’un de nos chantiers, les prix avaient encaissé une hausse de 20 % par rapport au moment de la signature", précise Jérôme Dentz, président du Club Immobilier Marseille Provence et fondateur, en 2015, de l’entreprise aixoise Citimotion (7 salariés, 20 M€ de CA), positionnée sur des projets de logements mais également de l’immobilier d’entreprise, tertiaire ou logistique.

Jérôme Dentz, président du Club Immobilier Marseille Provence — Photo : D. R.

"Nous avons décidé de ne pas relancer une consultation, mais de prendre à notre charge 15 % de ce surcoût. Nous avons eu des ruptures de matériel électrique et nous avons dû nous approvisionner auprès de nouvelles marques que nous ne connaissions pas encore. À l’ouverture des plis, nous constatons maintenant près de 20 % de coût en plus. Nous retravaillons alors nos produits, nous cherchons des variantes de conception afin de réduire ces surcoûts. Actuellement, toutes les entreprises essayent de négocier des prix stables, disons sur environ un trimestre. Pour cela, il faut une grande transparence entre les différents acteurs". Jérôme Dentz évoque concrètement un projet de 17 logements à Marignane, signé au début 2022 et dont les travaux devraient prochainement débuter. "Notre budget de 1,5 million d’euros, prévu pour ce chantier est d’ores et déjà en dépassement de 250 000 euros. Nous allons travailler avec des marges réduites".

Une crise majeure du logement

Une situation qui inquiète particulièrement Isabelle Lonchampt, présidente de la Fédération du BTP 13 pour qui prédit "une crise du logement majeure". "Dans les deux années à venir, l’investissement va être freiné. Tous les voyants sont au rouge. En Paca, nous commençons à enregistrer un ralentissement des mises en chantier. Dans les marchés publics, des appels d’offres demeurent même infructueux car les entreprises, en adaptant leurs prix à la situation, ont des devis trop élevés", s’alarme-t-elle. La situation n’est pas propre à la région. Au niveau français, la fédération du bâtiment FFB s’attend à un "coup de froid" cette année au niveau du logement neuf, anticipant un recul de la construction de 2,6 % sur ce segment. La faute à l’inflation qui génère une hausse des prix de ventes, mais aussi, pour la FFB, aux difficultés croissantes pour les particuliers d’obtenir des prêts bancaires. Après les pénuries, la hausse des cours des matériaux et la crise énergétique, le secteur du bâtiment doit-il se préparer à affronter une nouvelle crise, celle de la contraction de l’activité ?

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