Dans les entreprises d'insertion, solidarité et rentabilité font bon ménage
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Dans les entreprises d'insertion, solidarité et rentabilité font bon ménage

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Elles sont de plus en plus nombreuses. Elles concilient profitabilité et inclusion sociale et génèrent plus de 50 M€ de chiffre d’affaires en Région Sud. Longtemps considérées comme des « assistées », les entreprises d’insertion se développent dans tous les champs de l’économie, avec l’espoir d’atteindre les objectifs d'Emmanuel Macron. Le président de la République veut créer 100 000 postes supplémentaires dans l’insertion par l’activité économique d’ici à 2022.

En 2018, les entreprises d'insertion de la région Paca ont employé 3 577 salariés. — Photo : ES Propreté

En 2018, les entreprises d’insertion de la région Paca ont réalisé 57 M€ de chiffre d’affaires (en croissance de 16 % par rapport à 2016) et employé 3 577 salariés, dont 3 214 étaient chômeurs de longue durée. Et 2 281 d’entre eux (soit 71 %) retrouveront le chemin de l’activité professionnelle ou de la formation en quittant l’une des 90 entreprises d’insertion de la région.

Parmi ces entreprises, 51 % d’entre elles ont choisi de rejoindre la Fédération des entreprises d’insertion (FEI), pour se faire connaître et reconnaître, gagner en visibilité, rappeler d’une seule voix comment elles fonctionnent. « Souvent, associées au secteur de la propreté ou du tri des déchets, longtemps regardées comme issues du monde associatif, quand elles n’étaient pas considérées comme des assistées, les entreprises d’insertion évoluent désormais dans tous les secteurs d’activité », explique Nordine El Miri, président de la FEI Paca et dirigeant du groupe aixois Arborescence (450 salariés, 10 M€ de CA) qui abrite Sineo, une entreprise d’insertion. Cette dernière, spécialisée dans le nettoyage et le lavage des véhicules, emploie une trentaine de salariés, dont plus de 20 en contrat d’insertion.

Les entreprises d’insertion sont ainsi des entreprises à part entière, soumises aux mêmes règles fiscales, économiques ou juridiques. Elles exercent leurs activités aux conditions du marché et 80 à 90 % de leurs ressources proviennent des biens et services qu’elles produisent. Elles se distinguent par leur finalité : l’insertion sociale et professionnelle, au sein de leurs équipes, d’une ou plusieurs personnes exclues du marché du travail. Pour cette mission, elles sont conventionnées par l’État, qui veille à la réalisation des objectifs fixés.

Les entreprises d'insertion mêlent intérêt général et profitabilité

Parmi les 90 entreprises d’insertion de Région Sud, le territoire abrite un poids lourd du secteur au niveau national : le groupe La Varappe. Implanté à Aubagne (Bouches-du-Rhône) et dirigé par Laurent Laïk, il emploie plus de 4 000 personnes, réalise 45 M€ de chiffre d’affaires et nourrit l’ambition de devenir l’un des premiers groupes d’inclusion sociale en France à l’horizon 2020.

Le groupe La Varappe évolue dans la gestion de l’environnement et l’emploi et a récemment démontré sa capacité à innover, en offrant une seconde vie aux containers maritimes. Au quotidien, son dirigeant apporte aussi la démonstration qu’il « est possible de développer une entreprise performante et concurrentielle, offrant des prestations de services qualitatives, tout en permettant à des personnes en difficulté sociale et professionnelle d’accéder à un véritable travail les faisant vivre dignement, avec une qualification à la clé ».

• Var : une forte demande pour ES Propreté

Toutes les entreprises d’insertion n’ont pas le même poids économique que le groupe La Varappe, mais nombreuses sont celles qui innovent, réussissent et s’inscrivent durablement dans le paysage économique. Ainsi, l’entreprise ES Propreté, basée à Six-Fours-les-Plages, dans le Var, a été créée en 2011 pour répondre à la demande commerciale. « Nous dirigions déjà plusieurs chantiers d’insertion (Aspi) dans le Var et notre volume d’activité sur le segment de l’entretien des locaux devenait trop important », se souvient Cécile Cervoni, directrice adjointe d’ES Propreté et référente territoriale de la FEI pour le Var.

Aujourd’hui, cette entreprise emploie 17 équivalents temps plein en insertion et 5 personnels d’encadrement. Elle propose ses services pour la propreté des locaux et la propreté urbaine, l’élagage et l’entretien d’espaces verts et, plus récemment, pour le nettoyage écologique de voitures. Elle travaille pour le compte de collectivités ou d’entreprises.

• Alpes-Maritimes : taux d'insertion de 100 % pour le Forum Jorge François

Dans les Alpes-Maritimes, un autre département où les entreprises d’insertion se comptent sur les doigts d’une main (elles sont 5 dans le Var), le Forum Jorge François regroupe, depuis 2014, un théâtre, une salle polyvalente, une friperie, une épicerie et un restaurant solidaires, qui est également entreprise d’insertion.

Ainsi, sur les 16 salariés du restaurant, 7 sont en insertion et occupent tous un poste de commis de cuisine. « Ils sont chômeurs de longue durée, bénéficiaires du RSA, migrants ou anciens détenus. Ils sont fragiles face à l’emploi et ont besoin d’un coup de pouce à l’insertion », souligne Martin Pourbaix, directeur du Forum Jorge François, implanté à Nice. Depuis 2014, 42 personnes sont passées par le Forum, ont décroché un diplôme et une formation et « 100 % des personnes qui cherchent un emploi en sortant de chez nous le trouvent. Après, ça dépend de chacun. »

Des entreprises qui réussissent et multiplient les projets

Les entreprises d’insertion réussissent et la fédération ne manque pas une occasion de le rappeler : « Elles ont démontré leur efficacité économique et sociale. » Elles sont, en outre, de plus en plus innovantes et même particulièrement dynamiques dans la quête de nouvelles activités.

Ainsi, le Forum Jorge François a développé des projets externes, comme la franchise solidaire « Des étoiles et des femmes », avec la Table de Cana à Marseille, qui permet à douze femmes en insertion d’accéder, pendant un an, à une formation en CAP Commis de cuisine et deux jours par semaine aux cuisines de restaurants souvent étoilés (le Negresco notamment). Le Forum espère aussi concrétiser, en 2020, son projet d’entreprise d’insertion en maison d’arrêt, pour gérer la cantine des personnels pénitentiaires et employer des détenus proches de la sortie.

« Nous avons vite grossi, mais nous devons grossir encore pour aller vers une stabilité financière. »

Ces pistes de diversification sont indispensables : « Nous avons vite grossi, mais nous devons grossir encore pour aller vers une stabilité financière », souligne Martin Pourbaix.

Même son de cloche dans le Var, pour l’entreprise ES Propreté de Cécile Cervoni, qui est fière de montrer qu’il est « possible de concilier rentabilité et inclusion des plus fragiles » et qui se tourne vers de nouvelles activités, pour dégager du chiffre d’affaires, mais aussi « pour faire rêver nos salariés et les intéresser davantage ». Un atelier de conserverie verra prochainement le jour et donnera sa chance non seulement à du public en insertion, mais aussi à des personnes en situation de handicap. Un autre projet, à plus long terme, devrait mêler agriculture et tourisme.

Des passerelles avec le monde économique local

Ces entreprises bousculent les idées reçues et sont aussi de plus en plus nombreuses à faire le premier pas en direction du monde économique dit classique.

À l’image du combat engagé par Nordine El Miri pour décloisonner la fédération des entreprises d’insertion et « casser l’image de nos entreprises, dont les salariés auraient tous un boulet aux pieds », les dirigeants d’ES Propreté ont rejoint les rangs de l’Adeto (Association des entreprises de Toulon Ouest) ou de l’Union patronale du Var : « C’est important pour nous, car cela nous permet de créer du lien avec notre territoire, de chercher des clients et de positionner nos salariés », explique Cécile Cervoni. « Cela peut aussi nous permettre d’envisager des réponses communes à des appels d’offres, qui contiennent de plus en plus souvent des clauses d’insertion », ajoute Nordine El Miri.

Aujourd’hui, à la faveur d’un engouement de plus en plus important pour l’économie sociale et solidaire, mouvement dont font partie les entreprises d’insertion, Cécile Cervoni revendique haut et fort son identité, tout comme les 90 autres entrepreneurs d’insertion de la région, Nordine El Miri en tête : « Nous ne devons pas en avoir honte lorsque nous candidatons sur des marchés… Certains freineront, mais d’autres adhéreront totalement à notre démarche et auront envie de collaborer avec une entreprise humaine. »

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