Coronavirus - Medef Sud : « L’économie ne repartira pas du jour au lendemain »
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Yvon Grosso président du Medef Sud Coronavirus - Medef Sud : « L’économie ne repartira pas du jour au lendemain »

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Un mois et demi après le début du confinement, Yvon Grosso, président du Medef Sud et de l'entreprise Agyca Group dans les Alpes-Maritimes, dresse un premier état des lieux de la santé des entreprises régionales. Il revient sur les espoirs, les attentes et les interrogations que suscitent le futur déconfinement et son corollaire, la reprise progressive de l'activité économique.

Yvon Grosso, président du Medef Sud et du groupe de conseil en ressources humaines Agyca Group, à Sophia Antipolis — Photo : Medef Sud

Le Journal des entreprises : Depuis le début de la crise, comment le Medef Sud, que vous présidez, accompagne-t-il les entreprises ?

Yvon Grosso : Nous diffusons d’abord une information la plus détaillée possible car les aides sont nombreuses et abondantes, notamment pour sauver la trésorerie des entreprises. Nous avons aussi facilité les relations avec les pouvoirs publics quand cela était nécessaire et nous avons organisé deux à trois webinaires par semaine avec des experts pour répondre aux questions et maintenir le lien.

Quels sont les chiffres de la situation économique des entreprises ?

Y.G. : Le recul de l’activité est de 50 % en région, contre 35 % pour l’ensemble du territoire national. 85 % des entreprises régionales sont à l’arrêt ou en activité réduite. Ce recul plus important s’explique notamment par le tissu économique essentiellement constitué de TPE-PME tournées vers les services et en particulier le tourisme, mais aussi la construction. Ainsi, dans l’industrie, qui représente 10 % des emplois, le recul de l'activité varie de 30 à 40 %, dans les services marchands (50 % des emplois), il atteint 50 % et dans la construction (13 % des emplois), le recul oscille entre 70 % et 90 %. Enfin, des secteurs comme le transport de voyageurs par autocar (hors lignes régulières), l’industrie nautique, les agences de voyages ou l’hôtellerie ont une activité nulle. Sur le front de l’emploi, les offres enregistrent une baisse de 43 % en région et c’est le département des Alpes-Maritimes (-52 %) qui est le plus touché.

Dans quelles proportions ont-elles eu recours aux dispositifs mis en place par l’État ?

Y.G. : A la date du 16 avril, 10 330 entreprises régionales ont demandé et obtenu un prêt garanti par l’État pour plus d’1,8 milliard d’euros. Ce chiffre nous situe dans la moyenne nationale (130 000 demandes pour 18,5 milliards d’euros) et au 4e rang des régions françaises en nombre de demandes. La médiation du crédit est sept fois plus sollicitée : elle a reçu autant de demandes en quelques semaines qu’en une seule année, principalement parce que le crédit interentreprises, qui représente 700 milliards d’euros de flux en France, ne fonctionne pas très bien.

Au 14 avril, plus de 153 000 demandes de reports de cotisations sociales ont été sollicitées, dont 78 700 concernent des entreprises individuelles. Environ quatre entreprises sur dix ont ainsi demandé ce report et ces demandes émanent pour 48,5 % d’entre elles d’entreprises de plus de 250 salariés.

Enfin, concernant le dispositif d’activité partielle, la Région Sud est la troisième région en nombre de demandes avec 84 600 demandes et 622 800 salariés concernés. 92 % des demandes émanent de TPE-PME. Cette aide est très importante pour les entreprises et c’est la première fois que l’État paye finalement nos salariés, via un mécanisme de remboursement, qui intervient sous 10 jours, selon les remontées du terrain. Ce dispositif d’activité partielle devrait encore s’amplifier parce qu’il est prolongé jusqu’à la fin de l’année.

« Avec le dispositif d'activité partielle, c'est la première fois que l’État paye nos salariés, via un mécanisme de remboursement. »

Il est important de noter que 20 % des entreprises ont choisi de former leurs salariés en activité partielle et j’incite d’ailleurs vivement les entreprises à le faire pour ajouter une corde à leur arc, pour rendre leurs salariés « employables » pour une autre activité si l’entreprise venait à disparaître ou se retrouvait contrainte de se restructurer.

Quelles sont les perspectives de reprise ?

Y.G. : Depuis l’annonce du déconfinement progressif à compter du 11 mai, nous avons enfin un cap pour savoir comment organiser la reprise d’activité dans nos entreprises ou tout du moins pour quelle échéance. Néanmoins, ce n’est pas si simple que cela, ne serait-ce que parce que planent encore de nombreuses incertitudes autour de la réouverture des écoles. Des interrogations perdurent aussi autour du maintien de fermeture pour certaines activités et de l’obligation, ou pas, de porter des masques. Selon nos estimations, les entreprises régionales auront besoin de 9,4 millions de masques pour reprendre leur activité. Alors que nous sommes devenus extrêmement dépendants de la Chine, je me félicite que de nombreuses entreprises textiles aient réorganisé leurs lignes de production pour nous permettre de retrouver une certaine autonomie. En Paca, la Région a en outre mis en place une filière sécurisée par l’intermédiaire de l’entreprise Ceva Logistics, qui affrète un avion privé et qui peut transporter jusqu’à 5 millions de masques par semaine.

« Nous avons enfin un cap pour savoir comment organiser la reprise d’activité dans nos entreprises. »

Dans tous les cas, les besoins en masques, mais aussi en gel hydroalcoolique, gants ou plexiglas seront très importants et le surcoût de ces mesures sanitaires est d’ores et déjà estimé entre 15 et 20 %.

Comment accueillez-vous justement ce regain d’intérêt pour une industrie française ?

Y.G. : Le souhait de réindustrialiser la France s’est largement exprimé à travers cette crise, mais le pays est-il prêt alors qu’on s’est employé à le désindustrialiser ces dernières années ? Nous avions cet esprit industriel mais, depuis, les infrastructures, les aménagements nécessaires à l’industrie n’ont pas été réalisés et nous manquerons d’arguments pour attirer des entreprises. Toutefois, si la volonté du Président de la République est de rendre la France autonome sur des secteurs jugés essentiels, il faudra lancer un grand plan d’investissement industriel, autour d’un vrai projet. Un tel plan aurait en plus le mérite de donner un grand coup à la relance. J’en serais le plus heureux, car cela permettrait de baisser le chômage de façon significative. Mais, pour réussir, une volonté politique forte est indispensable !

Dans quel état d’esprit êtes-vous par rapport à cette crise et la perspective d’un déconfinement ?

Y.G. : L’économie ne repartira pas du jour au lendemain. Il faudra des mois pour retrouver une économie stable, pour que la France soit ressourcée de la richesse du travail de ses salariés. Le Covid-19 nous a montré qu’il était tenace et pouvait s’adapter mais, nous aussi, nous ferons preuve de ténacité et d’optimisme.

« Il faudra des mois pour retrouver une économie stable, pour que la France soit ressourcée de la richesse du travail de ses salariés. »

Il va falloir reprendre le travail, reconstruire les trésoreries, imaginer avec la Banque de France un système de cotation des entreprises qui isolerait les dettes liées aux prêts garantis par l'Etat. Nous allons aussi lutter contre le chômage qui pourrait découler de cette crise et nous ferons tout pour maintenir les salariés en poste avant le confinement et j’en suis sûr, nous sortirons renforcés de cette crise.

Pour réussir, nous devrons aller vite et être innovants. Nous devrons aussi respecter nos salariés en évitant de leur transmettre un stress, lié à un surcroît de travail pour rattraper le retard. Ce temps perdu sera rattrapé progressivement, sereinement, durablement et de manière solide et il ne faudra surtout pas céder à la panique lors de cette reprise que nous attendons tous avec impatience.

Il faudra peut-être envisager une exonération de charges fiscales et sociales et pourquoi pas proposer une telle exonération en échange d’un engagement de l’entreprise à réinvestir sur deux ans les sommes concernées. Une telle mesure changerait tout car elle permettrait de transformer, dans l’esprit du dirigeant d’entreprise, une dette à rembourser en investissement sur l’avenir.

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