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Coronavirus – Marcel Ragni : « J’ai espoir que notre activité reparte encore mieux qu’avant »
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Marcel Ragni dirigeant du groupe Ragni Coronavirus – Marcel Ragni : « J’ai espoir que notre activité reparte encore mieux qu’avant »

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Ragni est l’un des derniers fabricants français indépendants d’éclairage public. L’entreprise familiale, basée à Cagnes-sur-Mer, près de Nice, a repris son activité le 4 mai après sept semaines d’arrêt faute de clients. Pendant cette période, les salariés, en activité partielle, ont été payés à 100 %. Ambassadeur French Fab, Marcel Ragni n’a en rien perdu son optimisme et affiche toujours plus haut sa foi en l’industrie made in France.

— Photo : Ragni

À partir de quand avez-vous commencé à préparer la reprise de votre entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication d’éclairage public ?

Marcel Ragni : Nous avons arrêté six semaines au total. La septième, c’est-à-dire dès lundi 4 mai, nous avons rouvert notre unité dans le Var pour remettre en place les machines et relancer la production. Nous avions arrêté le 17 mars car, alors que nos camions étaient prêts à partir, 95 % de nos clients ne voulaient plus accepter de livraisons. Pas de livraisons, pas de production : nous avons donc fermé.

"J'ai maintenu les salaires et les primes à 100 %. Je n’ai pas perdu un centime en faisant cela, c’est un investissement humain. Nous allons avoir besoin d’eux."

J’ai commencé à réfléchir à la réouverture dès le lendemain avec mes deux fils. Nous organisions des visioconférences. Nous appelions le personnel, pas tant pour le travail mais surtout en termes de gestion humaine. Nous voulions nous assurer que tout le monde allait bien, gérait bien la situation. C’est forcément plus difficile pour les salaires plus limités, pour les collaborateurs vivant dans de petits appartements. Nous voulions aussi connaître régulièrement leur ressenti par rapport à une reprise.

Nous avons décidé, malgré le chômage partiel, de maintenir les salaires et les primes à 100 %. Nous avions une bonne trésorerie. Je n’ai pas perdu un centime en faisant cela, c’est un investissement humain. Nous allons avoir besoin d’eux.

Comment s’est passée la reprise le lundi 4 mai ? Tous les salariés ont-ils pu reprendre ?

Marcel Ragni : Je suis un patron assez heureux, j’ai une belle équipe. À la production, 100 % des effectifs sont présents. Dans les bureaux, pour éviter la congestion, 75 % des collaborateurs sont toujours en télétravail. Par visioconférences, les managers gèrent très bien leurs équipes. C’est une possibilité de travailler intéressante pendant cette période mais l’efficacité n’est pas totale à distance. Tout le monde a donc repris sauf un commercial à Paris recruté il y a peu pour faire de la prescription. Il ne peut pas encore œuvrer, puisque les gros bureaux d’études n’ont pas encore vraiment repris.

« Les gestes barrières ne sont pas naturels. C’est donc contraignant à mettre en place mais pas insurmontable. »

A-t-il été difficile de mettre en place les mesures de sécurité sanitaire requises ?

Marcel Ragni : Il y a en effet eu un gros travail pour mettre en place les gestes barrières. Une usine n’est pas faite pour une crise sanitaire. Ne pas se croiser, ne pas se dire bonjour, ne pas toucher la cafetière… tout cela n’est pas naturel. Nous avons mis en place des sens de circulation, des délimitations. C’est très contraignant mais pas insurmontable. Nous avons aménagé les postes de travail avec des séparations de quatre mètres entre chacun. Nous pouvons nous le permettre, d’autant plus qu’au début, je n’avais pas d’intérimaires. J’en ai repris six depuis. Nous avons des masques. J’en avais commandé 12 000 à un fournisseur italien, nous en recevons un millier par semaine. Et nous avons des gants, même si on nous dit maintenant que ça ne sert pas à grand-chose !
Nous avons également responsabilisé l’ensemble du personnel. Chacun a le droit de « faire la police » si les autres ne respectent pas les mesures. Ils ont quitté une usine, n’ont pas porté de masque pendant sept semaines et ont retrouvé leur lieu de travail où tout a changé. Ce n’est pas simple, mais tout s’est vite mis en route. La reprise s’est faite le lundi. Le mardi, ça tournait.

Qu’en est-il de l’activité de l’entreprise à ce jour ?

Marcel Ragni : L’année avait commencé sur les chapeaux de roues, mais c’est ainsi. Comme la fermeture avait été brutale, nous avions un gros carnet de commandes, tout ce qu’il fallait en stock et donc aucun problème de réapprovisionnement pour pouvoir reprendre. Quelques commandes recommencent aussi à tomber. On sent un petit mouvement. La semaine dernière, nous avons réalisé l’équivalent de 50 % de notre activité habituelle.
Nous espérons un effet déconfinement. Il faudrait que les centrales à béton et à goudron rouvrent, que tous les chantiers reprennent, que les maires puissent prendre des décisions sachant que le deuxième tour des municipales n’ayant pas encore eu lieu, de nombreux chantiers ont été reportés. Heureusement, le privé redémarre peu à peu. BNP Immobilier, Cogedim et autres remettent la machine en route.

Vos projections sont-elles optimistes ?

Marcel Ragni : Il est difficile de se projeter, nous gérons au jour le jour. Le mois de mai est pour l’heure très calme en termes de nouvelles créations. Aujourd’hui, on nous demande surtout de l’entretien afin d’occuper les équipes, de les remettre au travail. Je ne sais pas ce que nous ferons cet été. Habituellement, nous prenons trois semaines de congé en août. Si nous avons du travail, si les entreprises de travaux publics restent ouvertes, nous ne fermerons pas.

Je suis d’un naturel optimiste. Je pense que ça repartira en juin. Public ou privé, je suis persuadé qu’il y a une volonté de reprendre. Ce que je prône depuis longtemps avec la French Fab, avec le Made in France, se retrouve aujourd’hui. On peut redonner une certaine souveraineté à la France par l’industrie qui peut produire à des prix très compétitifs.

« Ces deux mois d’arrêt représentent un chiffre d’affaires de 8 M€, mais il ne s’agit pas de 8 M€ de pertes sèches ! »

Votre activité pourra-t-elle ainsi repartir « comme avant » ?

Marcel Ragni : Elle devrait repartir comme avant et j’ai l’espoir qu’elle reparte même mieux qu’avant. Je parle pour l’entreprise que j’ai, à la taille qu’elle a (120 salariés, CA 2019 : 48 M€), je ne suis pas Airbus ni Thales. Il y aura évidemment des gens sur le carreau, mais ça repartira.

Ces deux mois d’inactivité représentent pourtant des pertes importantes ?

Marcel Ragni : Nous avons fait des économies sur les frais liés aux déplacements, visites d’usine, salons professionnels. Nous avons évidemment perdu un peu d’argent mais certains ont perdu des millions. Cette période de près de deux mois représente en effet un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros, mais il ne s’agit pas de 8 millions d’euros de pertes sèches. Les pertes s’élèvent réellement à 200 000 ou 300 000 euros. Elles sont constituées des charges fixes, de l’ensemble des frais fixes comme l’URSSAF que j’ai préféré ne pas reporter, les loyers qui constituent un investissement, les abonnements en tous genres comme EDF, les impôts… Et même si j’ai comblé les salaires, ils étaient pris en charge par l’État à 84 %. Par prudence, j’ai aussi demandé le PGE que ma banque m’a accordé sans aucun problème. Il y a eu des aides énormes. Il faut puiser le positif partout où il y en a, même quand il y en a très peu. C’est là-dessus qu’il faut s’armer et maintenir une dynamique.

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