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Ces entreprises du Sud qui s'emparent de l'enjeu de la préservation de la biodiversité
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Ces entreprises du Sud qui s'emparent de l'enjeu de la préservation de la biodiversité

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Longtemps restée le parent pauvre des politiques RSE des entreprises, la préservation de la biodiversité s’est retrouvée au cœur du Congrès mondial de la nature 2021 à Marseille. Elle devient peu à peu un enjeu stratégique pour des entrepreneurs engagés.

Marseille abrite le seul parc national péri-urbain d'Europe, le Parc national des Calanques — Photo : D.Gz

Au mois de septembre, Marseille, métropole la plus verte de France avec 54 % d’espaces naturels, fut, le temps d’une semaine, la capitale mondiale de la nature, accueillant 9 000 participants à l’occasion du congrès de l’Union internationale de la conservation de la nature 2021. Cette rencontre mondiale laissera une trace dans la cité phocéenne, à travers le Manifeste de Marseille, compilant des décisions qui vont orienter l’action contre les crises de la biodiversité et du climat pour la décennie à venir. Elle laissera aussi une trace dans le tissu entrepreneurial.

Car si les gouvernements sont sommés d’agir pour préserver la biodiversité mondiale, nombre d’entreprises ont aussi décidé de prendre leur part. Et notamment des grands groupes, qui ont profité de ce congrès mondial pour multiplier les annonces. Le leader mondial du transport maritime et de la logistique, CMA CGM, qui a son siège à Marseille, s’est ainsi engagé à compenser 100 % des émissions de carbone liées à l’organisation du Congrès. Le groupe cosmétique L’Occitane (9 000 salariés, 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires 2021), qui a son fief historique à Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence, a, quant à lui, dévoilé sa nouvelle feuille de route en matière de biodiversité. Elle consiste à "passer de la conception à la régénération de la nature", selon les mots d’Adrien Geiger, directeur développement durable du groupe, rappelant "qu’investir dans l’agriculture, c’est bon pour les affaires" et exhortant le plus grand nombre à devenir "des cultivateurs du changement."

Des PME qui conduisent le changement

Si la sincérité des engagements pris par les entreprises est remise en cause par 67 % des Français, selon un sondage réalisé par l’Ifop en juillet 2020 pour le WWF, ils sont aussi 91 % à considérer qu’elles sont susceptibles de jouer un rôle important dans les années à venir. D’autant qu’en s’engageant, les grands groupes entraînent dans leur sillage leurs fournisseurs et sous-traitants, bien souvent des PME. Des PME qui, selon une autre enquête de septembre 2021 réalisée par le cabinet Occurrence pour la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France, seraient les garantes de la réussite de la transition écologique pour 8 Français sur 10, ces derniers estimant qu’elles sont animées par des entrepreneurs engagés et sont donc les mieux placées pour développer une consommation responsable et innover.

Ce sentiment est confirmé par les chiffres du plan de relance pour la transition écologique, doté de 2,2 milliards d’euros. Un premier bilan de sa consommation montre en effet que la plupart des bénéficiaires sont des entreprises : 1 711 ont ainsi été financées, dont 95 % sont des TPE-PME. Les aides à la transition des PME, attribuées à 1 426 entreprises, sont à plus de 40 % épuisées, quand la décarbonation de l’industrie, qui cible prioritairement les grands groupes, peine à trouver son public, avec seulement 56 projets appuyés.

L’enjeu écologique comme nouvel impératif

Attachés à leur territoire, les dirigeants et dirigeantes de PME considèrent qu’ils ont un rôle à jouer et n’hésitent pas à s’appuyer sur leur notoriété pour sensibiliser le plus grand nombre. À l’instar du fabricant de jeans marseillais Kaporal (570 salariés, CA : 120 M€), localement engagé dans des politiques environnementales et sociales, qui a récemment signé un partenariat de deux ans avec le Parc national des Calanques pour la préservation de l’eau et de la biodiversité. "Ce partenariat, qui porte en particulier sur la protection des herbiers de posidonie a vocation à s’inscrire sur le long terme, souligne Emmanuelle Germani, responsable des ressources humaines et de la RSE chez Kaporal. Concrètement, nous commençons par financer des actions de communication visant à sensibiliser le plus grand nombre. Ensuite, nous souhaitons impliquer nos collaborateurs pour ancrer les convictions."

Un engagement désormais perçu par beaucoup comme une condition sine qua non à la survie des entreprises. Lors de son passage au Congrès mondial de la nature, la Ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a évoqué la transition écologique comme une formidable opportunité pour les entreprises, mais aussi comme un impératif : "Celles qui n’adhéreront pas à ce changement ne feront pas partie du jeu à l’avenir." Car les consommateurs se tournent de plus en plus vers des entreprises qui défendent des valeurs et s’engagent pour le climat. C’est aussi le cas des salariés, des banques ou grands donneurs d’ordres.

L’action de Stéphane Asikian, dirigeant fondateur de Pollustock, ne se résume pas à la solution technique des filets antipollution. Convaincu qu’il a un rôle à jouer, il passe aussi beaucoup de temps à porter un message et donner des conférences — Photo : Olivia Oreggia

"L’entreprise, peu importe son secteur d’activité, a un rôle essentiel. Nous sommes là pour préserver le vivant. Et dans le vivant, il y a l’humain. Je me lève et je me couche non pas en pensant au Covid, mais bien au choc climatique et à ce que je peux faire en tant qu’être humain pour changer notre avenir", plaide ainsi Stéphane Asikian, fondateur et dirigeant de Pollustock (8 salariés, CA : 800 000 euros), une entreprise cannoise qui crée et pose des filets permettant de retenir les macrodéchets aux exutoires des réseaux de pluie.

Un territoire mobilisé

Dans la même veine, François-Alexandre Bertrand a inventé le Platypus Craft, un bateau semi-submersible capable d’aller sur l’eau et sous l’eau, qui pourrait avoir un rôle d'" éboueur des mers" pour nettoyer les côtes de leurs déchets. Après avoir démarré son projet près de Nantes, l’entrepreneur a choisi de poser ses valises à Marseille. Il a été convaincu par l’agence d’attractivité de la métropole, Provence Promotion, qui a profité des retombées médiatiques offertes par le Congrès mondial de la nature pour lancer un appel à tous les "innovateurs pour la nature souhaitant être accompagnés pour une première expérimentation voire, à terme, une installation pérenne." Elle espère ainsi convaincre une dizaine de "disrupteurs" par an, mettant en avant "un territoire naturel, dont la biodiversité est reconnue sur le plan international".

L’entrepreneur François-Alexandre Bertrand, inventeur du semi-submersible Platypus Craft, veut développer sa société à Marseille — Photo : Platypus Craft

Et de citer le Port de Marseille Fos, "qui innove et investit pour verdir les activités maritimes, logistiques et industrielles", le technopôle de l’Arbois à Aix-en-Provence dédié à l’environnement ou encore l’institut Paul Ricard pour la préservation de la mer, implanté dans le Var. "Notre ambition est de devenir une référence environnementale, où on expérimente des solutions innovantes de protection de la nature", résume Didier Parakian, adjoint au maire de Marseille et entrepreneur.

La protection de la biodiversité intégrée à la chaîne de valeur

Du côté de Vence, dans les Alpes-Maritimes, l’engagement environnemental de Sylvain Trulli, directeur général de l’Imprimerie Trulli (25 salariés, 4,30 M€ de CA), remonte à 1980, année de création de l’entreprise. Allant bien au-delà des certifications environnementales, l’imprimerie a créé en 2018 l’association Le Rucher du Moulin de la Clue, avec le Crédit Mutuel et le Centre E.Leclerc local. "Nous avions dix ruches au départ, une vingtaine aujourd’hui", souligne le dirigeant. D’autres entreprises plantent des arbres, financent des associations ou créent leur propre fondation, restaurent des espaces, luttent contre la pollution plastique. Pour Lôra Rouvière, cheffe de projet mobilisation des acteurs économiques à l’Office français de la biodiversité, "la meilleure façon d’intégrer la biodiversité dans son modèle est de l’intégrer dans sa chaîne de valeur."

À l’image du groupe alimentaire Territoire de Provence (150 salariés), créé par Olivier Baussan (le fondateur de L’Occitane, NDLR) et qui rassemble La Confiserie du Roy René, la Maison Brémont, la Biscuiterie de Forcalquier et la Confiserie Leblanc. Dès 2014, le groupe a travaillé, avec d’autres entreprises locales, sur un projet de relance de l’amandier en Provence, qui a débouché sur la création du Syndicat des producteurs d’amandes de Provence. En 2015, la production française d’amandes était de 300 tonnes, elle est aujourd’hui de 1 000 tonnes, pour une consommation annuelle d’environ 40 000 tonnes. "Nous avons réussi à sécuriser leur production et notre approvisionnement, tout en fixant davantage de carbone dans le sol grâce à la plantation des arbres", se félicite Alexis Bertucat, responsable RSE du groupe. La même logique est à l’origine de la relance de la culture du fenouil, sur le plateau de Valensole, impulsée il y a 15 ans par le groupe Pernod Ricard. Cette réintroduction permet aujourd’hui au groupe de spiritueux de couvrir 50 % de ses besoins en anis, originellement extrait de la badiane, importée de Chine.

Les équipes de la Confiserie du Roy René ont planté des châtaigniers dans le cadre d’Act For Planet, l’association créée par Territoire de Provence, en 2019 — Photo : DR

Les entreprises qui ont fait de la protection de la biodiversité leur cœur d’activité ont aujourd’hui une position privilégiée. "Il y a dix ans, l’écho de mon message ne me revenait pas. Aujourd’hui, les sollicitations viennent de partout, la crise du Covid a déclenché des prises de conscience", remarque ainsi Stéphane Asikian, dont l’entreprise Pollustock équipe déjà plus de 200 sites en France et connaît une forte accélération.

Un constat partagé par François-Alexandre Bertrand, qui est désormais très confiant quant à la mission environnementale de son Platypus Craft. Il confie avoir engagé des discussions avec d’importants collecteurs de déchets pour trouver un début de solution aux 125 millions de tonnes de plastiques qui tombent en mer chaque année. L’entrepreneur, qui recherche activement un chantier naval partenaire en Région Sud, prévoit de lever 500 000 euros cet automne, 2 millions d’euros en 2022 et de produire à terme 500 Platypus Craft par an, dont une centaine dédiée à la préservation de l’environnement marin.

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