Bernard Kleynhoff (Région Sud) : « C’est la mobilisation générale »
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Bernard Kleynhoff président de la commission Économie Bernard Kleynhoff (Région Sud) : « C’est la mobilisation générale »

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Ses prérogatives placent la Région Sud Provence Alpes Côte d’Azur aux avant-postes du développement économique, et donc de la relance, face à la crise sanitaire. Bernard Kleynhoff, le « Monsieur Économie » du conseil régional, préfère parler de reconquête. Président de la commission économie, industrie, innovation, nouvelles technologies et numérique, l’ancien président de la CCI Nice Côte d’Azur est aussi, depuis cet été, le président de Rising Sud, l’agence régionale de développement économique.

Ancien président de la CCI Nice Côte d'Azur, Bernard Kleynhoff est notamment président de la commission économie, industrie, innovation, nouvelles technologies et numérique de la Région Sud — Photo : Olivia Oreggia / Le JDE

Quelle est votre réaction au deuxième confinement ?

Bernard Kleynhoff : Nous allons bien évidemment nous adapter. La Région Sud va mobiliser de nouveaux moyens, nous continuerons d’accompagner les entreprises et d’être leur porte-voix pour éviter la casse. Nous refusons toute polémique pour savoir s’il s’agit ou non de la meilleure solution. Il y a certes eu une évolution défavorable par rapport au couvre-feu mais on voit qu’il y a des domaines mieux pris en compte qu’ils ne l’étaient, à l’image des acteurs culturels ou du domaine du sport en général. Les travailleurs indépendants en général seront mieux pris en compte.

Vous diriez que la prise en charge est plus satisfaisante ?

B.K. : Disons que c’est « moins pire » ! Le fait que les établissements scolaires restent ouverts libérera les parents qui pourront aller travailler ou télétravailler. Il va falloir voir aussi ce qu’il en est quant à l’évolution des prêts garantis par l’État. Le mieux serait que certains soient transformés en subventions, car les entreprises administrativement fermées n’auront pas de possibilités de remboursement. Que les organismes publics nationaux et territoriaux continuent de fonctionner est une bonne chose. Il faudra que les permis de construire et les autorisations administratives soient délivrés rapidement. Dans l’ensemble, c’est donc moins pire pour les entreprises mais à cela se rajouter malheureusement à un climat très anxiogène, particulièrement dans les Alpes-Maritimes déjà éprouvées par les intempéries, et maintenant par l’attentat à Nice. Quand le moral ne suit pas, tout est forcément plus difficile. Mais on ne va pas baisser les bras.

"Il y a des sujets qui font de nous une région que le monde entier regarde."

Quand le gouvernement a lancé son plan de relance, la Région Sud a lancé son plan de reconquête. La différence n’est-elle que sémantique ?

B. K. : Une "relance" impliquerait que le monde d’après soit comme le monde d’avant, ce qui n’est pas vrai. Nous parlons de reconquête car nous n’allons plus faire les mêmes choses. Il faut reconstruire. Il nous faut être un des territoires – si ce n’est "le" territoire – le plus attractif. Quand on va au CES de Las Vegas pour parler de nos start-up ou à Hong Kong pour parler de French GourMay (festival de la gastronomie française à Hong Kong et Macao pendant lequel la Région Sud, a été mise à l’honneur pendant plusieurs semaines en 2018, NDLR), qu’on embarque les représentants de notre OIR (Opération d’intérêt régional, NDLR) Naturalité, ce n’est pas que pour rigoler. Il y a des sujets qui font de nous une région que le monde entier regarde. Ce qui se passe en matière de "smart city", notamment à Nice, le monde le regarde. Cisco (géant américain informatique, NDLR) ne s’est pas implanté ici par hasard. Il faut accélérer tout cela, c’est la mobilisation générale. Le président de la République dit que nous sommes en guerre, mais il ne faudrait pas qu’on ait plus de morts dans le milieu économique que de victimes directes du virus.

Quelle est la priorité absolue pour les entreprises ?

B. K. : Il faut que les activités reprennent. Nous avons accompagné nos entreprises dès le mois de mars, avec les acteurs de l’État au sens large (Urssaf, Banque de France, Banque des dépôts…) qui ont été au-delà de ce qu’on pouvait attendre d’eux. Mais aujourd’hui, nos entreprises ne veulent plus de chômage partiel ou d’un chèque, elles veulent travailler. On veut relancer l’activité et cela veut dire pour partie que nous puissions voyager.

"Il faut développer par ailleurs l’idée que la digitalisation des entreprises est un impératif."

Que peut faire concrètement la Région pour contribuer à relancer l’activité ?

B. K. : Toutes les actions vont se développer à plus ou moins longue échéance. Certains projets peuvent être menés rapidement. Certaines belles PME ont perdu du poids, il faut les aider à restructurer leurs fonds propres. Nous avons mis en place un fonds spécifique qui permettra de financer des choses aussi simples que des fusions de PME. Concernant les « Territoires d’industrie », des actions sont prêtes qui peuvent être mises en route avant la fin de l’année. Nous avons décidé de proposer à l’État « un pour un » : quand on récupère un euro de l’État, la Région met un euro, cela rend l’action plus performante.
Trois autres projets sont lancés, dont deux avec l’Ademe, avec des enveloppes de 100 millions d’euros chacune, pour partie à destination des particuliers mais aussi de l’économie. Notre épine dorsale restant notre plan climat. Cela impacte les investissements, nos OIR au travers des smart techs, les réseaux électriques et énergétiques intelligents.

Bernard Kleynhoff aux côtés du président de la Région Sud, Renaud Muselier — Photo : DR

Il faut développer par ailleurs l’idée que la digitalisation des entreprises est un impératif. Dans le cadre du « Parcours sud Industrie 4.0 », nous allons accompagner 100 entreprises au lieu de 60 et nous accompagnerons aussi les investissements qui en découleront. Pour celles de moins de vingt salariés, nous avons mis en place le dispositif « Coach digital ». Celles qui rateront la transition numérique seront appelées à disparaître, il n’y aura pas de demi-mesure. Nous avons un rôle extrêmement important au travers de tous ces accompagnements qui font l’acculturation des territoires au numérique.

Il faut aussi accompagner les entreprises sur des reconquêtes internationales. On ne peut pas se déplacer donc il faut favoriser des choses qui nous ont aidés, comme les VIE (Volontaire International à l’étranger, NDLR). On a constaté que celles qui avaient des VIE à l’international ne s’en sont pas mal sorties. Et puis il faut arriver à faire ce qu’on préconise en agriculture, c’est-à-dire des circuits courts. Mais en gardant en tête que, pour un industriel, un circuit court englobe les six ou sept pays de la Vieille Europe. À Nice, si nous allons en Italie, cela restera du local par rapport à l’Inde ou la Chine.

Quid des relocalisations ?

B.K. : Ce sont projets à plus long terme qui nécessitent différentes choses au premier rang desquels la formation. On ne peut pas demander à un industriel de relocaliser une activité si on n’est pas capable de l’aider ou de lui proposer la main-d’œuvre qualifiée. Nous avons évidemment des outils déjà existants comme la « Banque de l’emploi et de l’apprentissage » ou encore l’opération « Un parrain, un emploi », mais il faut sensibiliser encore plus. Il faut aussi montrer aux jeunes que leur avenir est ici. Avec l’aide de l’État, nous avons sauvé Airbus Helicopters. C’est un exemple. Nous n’avons peut-être pas encore trouvé le remède car cela se construit à plus large échelle, mais comment faire pour sauvegarder nos talents pendant qu’on traverse cette crise, c’est un vrai sujet.

Si un ingénieur aéronautique se voit proposer un contrat en Chine, où se construisent des usines d’avions, vous croyez qu’entre ça et du chômage partiel qui va durer en France, il restera ? Comment fait-on pour le garder sachant que s’il part, il part avec ses compétences ? C’est un vrai sujet. D’où l’impérieuse nécessité de parler avec tout le monde, quitte à parfois donner l’impression de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas.

Sur quelles forces l’économie régionale va-t-elle pouvoir compter pour repartir ?

B.K. : Il y a de nombreux domaines dans lesquels nous sommes des leaders mondiaux : CMA CGM à Marseille, Airbus Helicopters à Marignane, Naval Group à Ollioules, Thales Alenia Space et Amadeus dans les Alpes-Maritimes… Nous avons aussi un tissu de start-up et de scale-up impressionnant par rapport à d’autres territoires nationaux, grâce à nos quatre French Tech. Nous avons tout ce que nous avons regroupé dans une Opération d'Intérêt Régional appelée Naturalité. Nous sommes un territoire de festivals et de culture…

Mais la culture, les festivals, l’événementiel sont-ils encore des atouts aujourd’hui ?

B.K. : Ça le sera quand on aura compris qu’il faut nous laisser bouger. Nos atouts doivent rester nos atouts. A la Région, nous avons un rôle à jouer lorsque nous bataillons avec les représentants de l’État. Le tourisme peut tenir avec la clientèle française, comme cela a été le cas cet été. Mais il faut arrêter de montrer du doigt des territoires, de montrer des zones comme pestiférées. Tous ces chiffres communiqués sans arrêt sont très anxiogènes. Les retraités français qui prennent habituellement leurs vacances en automne ne viendront pas si on leur dit que c’est une zone "rouge" ! Nous bataillons sur tout cela, sur nos festivals…. Comment organiser des salons dans ces conditions-là ? Je reste persuadé que nous sommes en capacité de permettre à plus de gens de travailler, qu’avec un peu d’intelligence collective et en ayant un discours cohérent sur le territoire, on pourra créer au moins une partie de la solution.

Mi-octobre, la Région Sud a annoncé mobiliser 272 millions d'euros pour soutenir les entreprises jusqu’à la fin de l’année. D’où proviennent tous ces fonds ?

B.K. : Nous avons d’abord resserré les budgets dès notre arrivée. Avoir fait des économies nous donne une capacité d’autofinancement et d’emprunt. Nous avons mobilisé des fonds qui pour partie devaient aller ailleurs. Et nous avons accéléré des projets qui étaient prévus plus tard. Il y a aussi des fonds européens. Devant l’urgence, de toute façon, nous n’avons pas le choix. Quand on parle des conséquences du Covid, on se rend bien compte qu’on est dans un drame absolu. Alors si, demain, pour limiter la crise sociale, il faut qu’on remette de l’argent, nous en remettrons.

2021 sera également une année d’élection…

B.K. : Les régions sont à la manœuvre sur cette relance économique. Est-il est judicieux de mener cette relance, sur des sommes considérables, avec des équipes en campagne ? Et on ne sait pas quel sera l’état sanitaire du pays au mois de mars. Si c’est pour revivre la même chose que pour les élections municipales, il faudrait peut-être se poser la question. D’autre part, aujourd’hui, Renaud Muselier (président de la Région Sud, NDLR) n’est pas candidat. Si d’aventure il l’était, il ne l’annoncerait qu’en février avec une campagne extrêmement courte car il a beaucoup de travail. Nous sommes mobilisés, concentrés.

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