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« Sigfox a développé un business model adapté pour croître rapidement »
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Olivier Martineau directeur financier de Sigfox « Sigfox a développé un business model adapté pour croître rapidement »

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Sigfox, le spécialiste des réseaux de communication de l'internet des objets, a réalisé fin 2016 une levée de fonds de 150 millions d’euros. Olivier Martineau, directeur financier de la start-up toulousaine, explique les tenants et les aboutissants de ce tour de table géant.

— Photo : Sigfox

Le Journal des Entreprises : Que représente aujourd’hui Sigfox ?

Olivier Martineau : En 2017, nous avons réalisé 50 millions d’euros de chiffres d’affaires et espérons encore une croissance à deux chiffres cette année. Pour l’heure, notre principal objectif est d’atteindre la rentabilité. Sigfox compte 380 collaborateurs dans le monde, dont 230 à Labège, près de Toulouse, et nous prévoyons encore d’embaucher. Notre réseau bas-débit est utilisé dans quarante-cinq pays, sur tous les continents. Nous souhaitons porter ce nombre à soixante en fin d’année. Notre but est de couvrir la planète. En termes d’objets connectés, nous en avions 2,5 millions fin 2017, soit une croissance de 65 % par rapport à janvier 2017.

Fin 2016, Sigfox a réussi l’une des plus importante levée de fonds en France, en bouclant un tour de table de 150 millions d’euros. Quels nouveaux investisseurs ont participé à votre cinquième et dernier tour de table ?

O.M. : Les derniers actionnaires à nous avoir rejoint sont Total, Salesforce, Alto Invest, Ventures, Henri Seydoux (PDG de Parrot), Swen CP ou encore Tamer Group. Parmi les actionnaires historiques, on pourra citer Bpifrance, Elliott, Intel Capital, Air Liquide, Idinvest Partners et IXO. Au total, Sigfox compte aujourd’hui 28 actionnaires.

Quel pourcentage des parts de la société possède chacun ?

O.M. : Cette donnée est confidentielle. Toutefois, aucun n’a la majorité.

Pourquoi avoir levé un tel montant ?

O.M. : Nous avons cherché de l’argent pour financer l’accélération du développement de Sigfox, mais l’objectif était double. D’abord, il fallait assurer le financement de nos réseaux en propre et des coûts de structure. Ensuite, nous avons cherché à avoir de gros « corporate » à nos côtés, susceptibles d’intégrer Sigfox dans leurs produits.

Comment faire pour convaincre les industriels de se lancer dans un projet basé sur de l’internet des objets (IoT), une technologie encore naissante dont on ne connaît pas les débouchés commerciaux sur le long terme ?

O.M. : L’IoT est reconnu de façon unanime comme étant « the next big thing » après internet. La technologie Sigfox est maintenant connue comme étant performante, économe en énergie, scalable à l’échelle mondiale et peu onéreuse. Ainsi, avec un marché qui nous tend les bras, une technologie adaptée et des développements commerciaux prometteurs, convaincre des industriels est plus aisé. Pour les convaincre, il faut passer par des phases de test, puis de déploiement limité. Il faut comprendre leurs contraintes, proposer des solutions qui résolvent leurs « pain points » (points irritants, NDLR) ou améliorent et développent leurs offres, tout en les accompagnant au quotidien. Cela prend du temps mais une fois les projets en phase industrielle, les volumes générés peuvent être conséquents.

Un tour de table si important ne met-il pas une sorte de pression à la société pour ses résultats ?

O.M. : Le management se met la pression tout seul ! Je pense que les actionnaires sont conscients des performances passées, mais il y a des attentes importantes autour de ce projet ambitieux. Toute l’entreprise a à cœur de réussir et d’atteindre la rentabilité au plus vite.

Votre levée de fonds de 150 millions d’euros est historique pour la French Tech et a été très médiatisée. Quelles sont les conséquences d’une telle mise sous les feux de la rampe ?

O.M. : Sigfox est très visible donc cela aide à se faire connaître et à ouvrir des portes. Parfois, la visibilité implique aussi des détracteurs, mais nous sommes focalisés sur nos objectifs et il n’y a que cela qui nous intéresse. C’est important de savoir se détacher des rumeurs et du brouillard médiatique pour rester concentrés sur nos priorités.

Le fait de partager la gérance entre de multiples actionnaires n’est-il pas un frein au développement de Sigfox ?

O.M. : Cela rend la gestion juridique et administrative plus lourde. Mais nous avons un nombre de « board members » limité qui apportent leurs supports et expériences au management. De plus, il y a un alignement avec les autres actionnaires, notamment avec les développements récents. Ils sont informés régulièrement par des envois de présentations « business & finances » trimestriels et au travers d’évènements de type « investor days ».

Selon vous, jusqu’à quel pourcentage de parts dans la société conserve-t-on vraiment le pouvoir sur ce qui s’y passe ?

O.M. : D’un point de vue théorique, cela dépend du nombre d’actionnaires. Car avec 10% du capital, on peut avoir du poids. Si le nombre d’actionnaires est restreint, il faut au moins 33% pour avoir une minorité de blocage ou un droit de véto. Je dirais donc que 20 à 30% est un pourcentage adéquat pour influer sur les décisions stratégiques d’une société.

Quelle est la stratégie de financement de Sigfox ? Quels conseils en la matière donneriez-vous aux entrepreneurs ?

O.M. : Sigfox s’est financé grâce cinq levées de fonds et a développé un business model adapté pour croître rapidement avec un partage de la valeur équitable. Le financement bancaire ne pourra intervenir que plus tard, à un horizon où la preuve de notre rentabilité sera faite. Il faut donc débuter avec des financements par capitaux propres mixés avec des aides à l’innovation. La France est très bien lotie dans ce domaine. L’Europe propose aussi des dispositifs de financement intéressants mais il faut déjà avoir une certaine taille. Dès que possible, le mieux est donc de trouver des sources de financement non dilutives pour les actionnaires : prêts bancaires et financement du BFR (besoin en fonds de roulement, NDLR).

Ludovic Le Moan, le cofondateur de Sigfox, a dit récemment : « Si demain quelqu'un proposait deux ou trois milliards, dans l'état actuel du capital de Sigfox, je pense que l'entreprise serait vendue », relativement à la proposition d’un groupe prêt à mettre un milliard d’euros sur la table pour racheter Sigfox. Les réflexions sur une éventuelle revente sont-elles en cours ?

O.M. : Il n’y a pas de volonté de Sigfox de vendre car nous avons encore beaucoup de valeur à créer. Notre projet n’en est qu’à ses débuts.

Pourquoi, alors que les bruits courent depuis quelques mois, Sigfox n’a toujours pas fait son entrée en bourse ?

O.M. : Nous attendons le bon moment et que tout soit au vert. Il n’y a pas d’urgence mais on y travaille…

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