« Le dialogue social, c'est traiter d'égal à égal avec le Medef »

« Le dialogue social, c'est traiter d'égal à égal avec le Medef »

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Nouveau secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger juge le dialogue social trop faible en France. Il espère traiter d'égal à égal avec le futur président du Medef pour « faire progresser l'entreprise ».
— Photo : Le Journal des Entreprises



1,25 million de voix pour la CFDT lors des dernières élections professionnelles sur cinq millions de bulletins exprimés et une deuxième position derrière la CGT. Est-ce suffisant pour se dire représentatif des salariés français ?

Le problème posé au syndicalisme français, c'est son implantation dans les entreprises. Quand il est bien implanté dans les entreprises, il y a un bond de la participation. Et 60 % de participation, c'est mieux que bien des élections politiques. Ce n'est pas suffisant évidemment, mais 1,25 million de voix, ça suffit à définir la représentativité. On est représentatif dans quelque 500 branches, qui représentent 99,2 % des salariés, où on a plus de 8 % de voix. Cela ne veut pas dire non plus que le syndicalisme n'a pas à s'interroger sur ses pratiques, sur son image et sur ses liens avec les salariés.


Les syndicats ont tout le mal du monde à entrer dans les PME. Y arriverez-vous un jour ?

C'est un travail de fourmi. Surtout que le fait syndical n'est pas reconnu partout. Il y a quand même des réticences de la part de certains employeurs, même s'ils ne sont pas majoritaires. Concrètement, cela veut dire qu'il nous faut aller dans les petites entreprises, distribuer de l'information, en discutant, en tenant des permanences itinérantes. C'est un travail qui nous mobilise énormément. C'est aussi l'image du syndicalisme qui, trop souvent, est liée au conflit, qu'il faut changer.


Comment changer cette image ?

Avec davantage de proximité. Ce que je regrette aussi, c'est que les médias se déplacent plutôt lorsque les syndicats font cramer quatre pneus devant une entreprise que lorsqu'ils signent un bon accord. Pour l'accord emploi, on a vu plus d'images de ceux qui ont manifesté contre, que de ceux qui se sont engagés en faveur de l'accord.


Comment jugez-vous globalement le dialogue social en France ?

Pour prendre une expression : il y a beaucoup de croyants mais peu de pratiquants. Chacun aime bien en vanter les vertus mais quand il faut se l'appliquer, c'est plus compliqué. Le niveau du dialogue social est trop faible en France.


Mais le dialogue social ne se décrète pas...

La confiance non plus ne se décrète pas. Pour y arriver, il y a deux conditions : la loyauté et le respect. Et souvent, ce n'est pas loyal. Il faut plus de place pour les représentants du personnel. Pour qu'ils puissent s'exprimer et peser sur davantage de sujets, sans être dans la cogestion. L'objectif, ce n'est pas de se "farcir" le patron tous les matins. Il est au contraire de faire progresser l'entreprise dans le dialogue, dans la proximité. On ne met pas non plus assez les bons exemples en avant. En Loire-Atlantique par exemple, la section syndicale CFDT du sous-traitant automobile Walor négocie actuellement avec le patron un accord de maintien de l'activité et de l'emploi afin d'éviter un plan social de 26 personnes. Je ne sais pas à quoi ils aboutiront, mais montrons qu'il y a du dialogue social intelligent qui s'opère dans les entreprises.


Qu'attendez-vous du prochain président du Medef ?

Je ne fais pas partie de ceux qui sont scandalisés de voir le représentant du Medef défendre l'entreprise. Après, il faut qu'il agisse comme nous, dans le sens de l'intérêt général. J'attends du représentant du Medef qu'il assume ses responsabilités et qu'il soit un adepte du dialogue social, où l'on traite d'égal à égal et pas dans un rapport de subordination.


L'accord emploi trouvé en début d'année fait-il figure de modèle à suivre ?

Cet accord-là est une nouveauté qu'on n'avait pas vu depuis quarante ans. En 1984, les organisations patronales et syndicales ont essayé de négocier un accord sur la flexibilité, mais ont échoué de peu. Depuis, le marché s'est flexibilisé sauvagement et on n'a pas renégocié un accord de cette portée. Avec l'accord emploi, on n'a jamais signé un accord sur le marché du travail qui soit autant une reconnaissance d'un besoin de souplesse négociée et qui accorde en même temps autant de droits nouveaux pour les salariés les plus fragiles.


On a le sentiment que cela fonctionne mieux quand les accords sont trouvés dans les entreprises plutôt qu'au niveau national. Pourquoi ?

Parce que les gens se connaissent. Je crois à l'émancipation. Je crois en la capacité des représentants du personnel à savoir ce qui est bon pour les salariés. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas un encadrement plus large par la branche professionnelle ou le code du travail, afin aussi de lutter contre le dumping. Pour cela, il faut des représentants des salariés qui soient reconnus, qui aient de la liberté de parole dans l'entreprise. Il y a un paquet d'efforts à faire du côté du monde de l'entreprise. Le représentant du personnel, ce n'est pas le loup qui arrive dans la bergerie.


Quel regard portez-vous sur le modèle allemand, pays où l'on a l'impression que le consensus social est plus souvent trouvé ?

Sur le dialogue social, c'est plutôt un modèle qui fonctionne bien. Mais le problème de l'Allemagne, c'est qu'elle a clairement fait le choix de deux mondes du travail. D'un côté, l'industrie, avec de grandes entreprises et des conventions collectives avantageuses. De l'autre côté, tous les salariés qui ne sont pas couverts, ni par des dispositifs conventionnels, ni par des minima salariaux. Celui-ci, je le trouve beaucoup moins convaincant. La conséquence pour nous, c'est que notre fédération agroalimentaire constate en permanence qu'il y a du dumping social par l'Allemagne. Si les abattoirs ferment en France, c'est en raison de ce qui se passe outre-Rhin. Donc le modèle allemand, sur le dialogue social, oui. Sur l'organisation du marché du travail, non.