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Le chanvre tisse l'avenir de la filière textile en Occitanie
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Le chanvre tisse l'avenir de la filière textile en Occitanie

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Savoir-faire historique en Occitanie, le chanvre est progressivement tombé dans l’oubli depuis les années 60. La mobilisation de différents acteurs régionaux, des agriculteurs locaux jusqu’aux fabricants de textile, conduit aujourd’hui à sa renaissance. Lorsque certaines barrières techniques seront résolues et avec le renfort des investisseurs, la filière aura de beaux jours devant elle.

100 hectares de chanvre seront cultivés en Occitanie en 2022, sous la houlette de la coopérative VirgoCoop — Photo : Ad'Occ

Omniprésente dans les territoires de l’Occitanie jusqu’à la fin du XIXe siècle, en particulier dans le bassin de Castres-Mazamet (Tarn), la culture du chanvre a lentement disparu, comme partout en France. Au XVIIIe siècle, les manufactures, les filatures et les corderies répandues dans tout l’Hexagone fournissent la marine et le monde agricole. Les villes de Lorient, Brest, Rochefort, Toulon et Marseille (Canebière signifie chanvrière en provençal) sont approvisionnées par les vallées voisines où le chanvre prospère (Maine-et-Loire, Sarthe, Bretagne, Charente, Vienne, Creuse, Lot-et-Garonne, Camargue). En 1830, 176 000 hectares sont exploités dans le pays. Mais, en 1937, le lobby de la pétrochimie américaine engendre un brusque ralentissement de la production en poussant son gouvernement à instaurer le Marijuana Text Act. Celui-ci taxe tellement le chanvre qu’il est peu à peu remplacé par la chimie et le synthétique. L’expansion du cannabis finit par le discréditer complètement. Il ne reste plus, en 1960, que 700 hectares de chanvre en France.

La France, premier producteur d’Europe

Depuis les années 1990, porté par le fort courant écologique, un nouvel intérêt pour le chanvre permet une progression constante des surfaces en France. Le chanvre à usage textile opère même un retour remarqué (Normandie, Aube, Sarthe, Maine-et-Loire, Camargue). Si bien qu’en 2021, le pays compte 6 chanvrières mobilisant 300 salariés, pour 20 000 hectares cultivés par 1 500 producteurs. La France est, de loin, le plus gros producteur de chanvre en Europe, derrière la Chine, premier producteur mondial. La filière est organisée par l’interprofession Interchanvre. “Nous sommes l’organisme représentatif du collège des producteurs et du collège des industriels, explique sa directrice Nathalie Fichaux. Tous les trois ans, nous nous engageons dans une stratégie partagée avec les acteurs de la filière et un plan d’actions qui est validé par le ministère de l’Agriculture et le ministère des Finances. Nous sommes aussi l’interlocuteur de l’État français pour le lobbying européen et notamment celui qui concerne la stratégie textile.” Prochain objectif : intégrer du chanvre dans les 15 000 tonnes de textile de Paris 2024.

100 millions d’euros investis depuis 60 ans

Selon Interchanvre, 100 millions d’euros ont été investis dans la filière depuis les années 60, dont plus de 35 millions d’euros ces deux dernières années pour développer la plus grosse chanvrière d’Europe dans l’Aube, dans le Grand Est. En Occitanie, la filière renaît aussi sous l’impulsion de dizaines d’agriculteurs et de plusieurs entreprises, bien accompagnés par l’agence de développement économique (Ad’Occ) de la Région. “Il existe un collectif de personnes très impliquées, explique Hugues Albouy, chargé de mission de l’Ad’Occ. La filière recèle un potentiel considérable mais elle se trouve encore au stade du développement qu’il faut soutenir.” De la production de la plante à la commercialisation de vêtements, la quasi-totalité des maillons de la chaîne sont opérationnels dans en Occitanie. Et pour cause : le chanvre fournit des fibres de haute qualité qui permettent de fabriquer des tissus durables, utilisables pour l’habillement comme pour l’ameublement. La fibre de la plante possède des vertus thermorégulatrices qui confèrent au vêtement en chanvre un pouvoir isolant supérieur à celui du coton. En outre, la culture du chanvre répond aux attentes environnementales de la société.

La coopérative VirgoCoop, acteur majeur

Créée en 2018 à Cahors (Lot), la société coopérative VirgoCoop joue un rôle essentiel dans la structuration de cette filière chanvre textile. Elle comporte 120 sociétaires, pour un capital social de 180 000 euros. “Nous travaillons avec une cinquantaine d’agriculteurs de la région, explique son président Mathieu Ebbesen-Goudin. Nous supportons tout le risque financier puisque les agriculteurs sont sous contrat avec VirgoCoop et sont payés pour leur production.” En 2020, ces derniers ont produit 3 hectares et 72 hectares en 2021, dans sept départements. Cette année, la barre des 100 hectares devrait être atteinte, mais la production se recentrera dans un rayon de 70 kilomètres autour de Caussade (Lot), afin de limiter le transport des pailles de fibre, guère écologique. VirgoCoop a acheté deux faucheuses qu’elle met à disposition des agriculteurs pour la récolte. “Quand certains verrous techniques seront débloqués, nous pourrons envisager d’augmenter largement la production, d’autant qu’il y a une forte attente des consommateurs, assure Mathieu Ebbesen-Goudin. La priorité, c’est de parvenir à accroître la capacité de première extraction des fibres, avant de pouvoir les envoyer en filature.” Les débouchés textiles sont pour l’heure limités en raison des contraintes de transformation liées à la longueur de la tige.

La ligne de défibrage d’Hemp-Act

Cette opération, appelée défibrage, nécessite une technologie spéciale et unique en France que la société Hemp-Act (4 salariés), située à Lacapelle-Marival (Lot) et dont VirgoCoop est actionnaire minoritaire, s’ingénie à développer depuis sa création en 2019. “Des outils permettent de produire des fibres longues textiles de lin par le teillage, détaille son fondateur Pierre Amadieu. Mais le lin, c’est une paille d’un mètre. Le chanvre, lui, peut faire jusqu’à trois mètres de haut. Hemp-Act développe un process complètement dédié aux fibres longues de chanvre. Notre ligne de défibrage pilote a été mise en service en 2021. Nous avons pu produire 1 tonne de fibres que nous avons envoyées à nos partenaires filateurs, Dumortier et Safilin (Hauts-de-France). Chez Hemp-Act, nous voulons révolutionner les process pour massifier les usages. Et ce process commence à la récolte.” La société commercialise ainsi en ce début d’année ses premières récolteuses doubles, spécialement conçues pour le chanvre. Si celles-ci sont construites dans le Lot-et-Garonne, les lignes de défibrage, elles, seront assemblées grâce au savoir-faire de partenaires industriels de la Mecanic Vallée (labellisé Territoire d’Industrie par l’État en 2018, ce cluster regroupe plus de 200 entreprises dans une zone s’étendant de la Haute-Vienne à l’Aveyron). “Nous avons des besoins de financement importants, confie Pierre Amadieu, et nous ferons appel à des fonds d’investissement. Nous recevons aussi des sollicitations de l’étranger pour du transfert de technologies, qui peut être un autre moyen de développement pour nous que celui de la vente de machines.”

La faisabilité d’une filature régionale

L’absence de filatures spécialisées reste un chaînon manquant de la filière textile chanvre en Occitanie. “Les filatures permettant de produire du fil 100 % chanvre ont été largement délocalisées depuis des décennies, notamment en Europe de l’Est”, rapporte Mathieu Ebbesen-Goudin. Les bobines de fils arrivent notamment de Roumanie. Le collectif Icare, constitué de salariés de l’industrie aéronautique qui planchent sur les contraintes environnementales, étudie la faisabilité de l’implantation d’une filature dans la région. “Nous avons pris contact avec des opérateurs du marché, témoigne l’ingénieure en génie industriel Amel Hadrouf. Comme la filature chanvre n’existe pas en France, nous nous sommes tournés vers des liniers. Certains intervenants sont motivés pour donner un coup de main au développement de cette filière dans la région. Pour autant, il n’y aura pas d’implantation industrielle du jour au lendemain en Occitanie : il faut d’abord redévelopper un savoir-faire.”

En aval de la filière, les ateliers de tissage, eux, reprennent vie, à l’image de la société des Tissages d’Autan, implantée à Saint-Affrique-les-Montagnes (Tarn). Le processus de sa naissance témoigne de l’effort collectif entrepris par différents acteurs de la filière chanvre textile. “Avec VirgoCoop, nous faisions travailler Les Tissages Pistre, raconte Mathieu Ebbesen-Goudin. Mais cet atelier était voué à la fermeture car il n’y avait pas de repreneurs alors que son patron, Xavier Pistre, partait à la retraite. Il y a un an, nous avons alors décidé avec Atelier Tuffery et Eric Carlier, le maître tisseur du Passe-Trame, de le reprendre. La Région a apporté son soutien financier, à hauteur de 60 000 euros, pour racheter le matériel. Nous avons la vocation de faire des textiles à partir de matières naturelles, recyclées et les plus écologiques possible. Et bien sûr, le chanvre est en vedette.”

Atelier Tuffery bute sur un manque de volume

Très impliqué aux côtés de VirgoCoop, Julien Tuffery, lui, entend appliquer à la filière régionale du chanvre textile les principes qui lui ont permis, en 2015, de reprendre avec succès Atelier Tuffery (24 salariés, CA 2021 : 3,60 M€), fabricant de jeans fondé en Lozère en 1892. “Il faut tout à la fois faire un virage vers la digitalisation, garder le cœur de métier en le modernisant, et sauvegarder l’outil pour le transmettre à de nouveaux venus”, rappelle celui qui incarne la 4e génération à la tête de l’entreprise familiale. Atelier Tuffery se fournissait de longue date en toiles de chanvre auprès du tarnais Le Passe-Trame. La PME lozérienne a fabriqué 5 références de produits (vestes et pantalons) dans cette matière à ce jour. Toutefois, elle bute sur un manque de volume, puisque la filière régionale amorce à peine son projet d’écosystème. L’entreprise se positionne donc comme un accélérateur de développement, pour ses propres besoins et au-delà. “Le chanvre est une matière difficile à travailler, mais l’activité d’Atelier Tuffery nous permet de gagner en expertise en R & D, sur les types de toiles à privilégier, les types de fils à utiliser, etc. Nous avons initié des centaines de tests en lien avec des laboratoires techniques pour valider ces étapes”, insiste Julien Tuffery.

Formation en interne

Situé à Burlats (Tarn), l’Atelier Missègle (45 salariés, CA : 8 M€), spécialisé dans la laine et le mohair, a créé sa première collection de chanvre en 2020. “Nous confectionnons du tricot et de la bonneterie, ce qui est une gageure puisque le chanvre est une fibre qui se détend et n’a donc pas toutes les qualités requises, expose Myriam Joly, sa présidente. Malgré tout, nos clients sont enchantés. Et nous aussi. Nous renouvelons donc l’expérience cette année avec un modèle supplémentaire. Notre engagement dans la construction de la filière va jusqu’à être capable d’acheter des matières premières 30 ou 40 % plus chères.” Car l’approvisionnement en chanvre a un coût, qui se répercute sur les prix de vente. Selon Mathieu Ebbesen-Goudin, “un kilo de fil de chanvre vaut trois fois plus cher qu’un kilo de fil de très beau coton bio.” Mais la clientèle répond présent. “Nous enregistrons une augmentation de notre activité de 25 % par an ces deux dernières années, appuie Myriam Joly. Notre clientèle rajeunit beaucoup et les jeunes sont très conscients de l’avenir de la planète et du besoin de réorienter leurs achats.”

À cette question du coût s’ajoute celui de la main-d’œuvre capable de travailler le chanvre. Cofondatrice du Mouton Givré, basé à Cambes (Lot), une entreprise qui fabrique des sacs isothermes en lin et en chanvre, Cinthia Born indique avoir du mal à trouver des compétences. “Nous devons former en interne”, précise-t-elle. Myriam Joly, elle, vient de créer sa propre école, M L’École. “Nous allons sortir notre première promotion, se réjouit-elle. 15 personnes vont être formées. C’est à nous de donner envie aux jeunes, de valoriser ces compétences et de les payer.”

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