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La sportech se muscle dans la filière santé
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La sportech se muscle dans la filière santé

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Les start-up régionales trouvent un nouveau terrain de croissance dans le sport, y compris dans sa dimension de sport santé. Elles fournissent aux clubs et aux amateurs de nouvelles technologies en s’appuyant sur des collaborations de plus en plus fréquentes avec la recherche.

L'un des 7 objets connectés développés par la sportech montpelliéraine Kinvent — Photo : Kinvent

Avec 17 000 clubs affiliés à une fédération sportive et 1,4 million de licenciés sur une population totale de 6 millions d’habitants, l’Occitanie se classe parmi les régions où la pratique sportive est la plus répandue. Mais elle évolue sensiblement, depuis quelques années, avec la progression de la pratique hors-club ou bien, comme les acteurs du sport l’observent partout ailleurs, l’utilisation de plus en plus fréquente d’objets connectés ou d’applications numériques conçues pour améliorer les performances sportives ou prévenir les blessures. L’Occitanie se positionne ici comme un vivier de la "sportech", en s’appuyant sur le savoir-faire des start-up évoluant dans le sport, mais aussi sur la valorisation de la recherche et de l’innovation universitaire en la matière. "La santé est une compétence dont le Conseil régional s’est saisi, avec une vice-présidence dédiée et un budget d’investissement conséquent (133 millions d’euros en 2022, NDLR). Au sein de la santé, nous retrouvons la e-santé, et au sein de la e-santé, nous retrouvons la sportech, qui est un des axes du groupe de travail récemment formé pour identifier et diffuser les innovations conçues sur le territoire. Le secteur sport santé représente 20 % des entreprises que nous accompagnons", évalue Jalil Benabdillah, vice-président de Région chargé de l’économie.

La recherche d’un cautionnement médical

De fait, en dehors de l’accélérateur Le Tremplin à Paris, l’Occitanie dispose d’un dispositif d’accompagnement de la sportech unique en France. L’agence économique régionale Ad’Occ intègre Ad’Occ Sport, un pôle de compétence de 3 permanents : après une première session en 2021, son programme d’incubation et d’accélération vient d’embarquer une deuxième promotion de 15 pépites. Et l’événement phare du Sportup Summit (lire par ailleurs) prépare une nouvelle édition prévue en octobre 2022. Pour Benjamin Carlier, créateur du Tremplin, désormais installé à Montpellier à la tête du cabinet Olbia Conseil, la force de l’écosystème régional est évidente. "En Occitanie, le lien avec le sport santé peut attirer des porteurs de projets car il y a une agence économique, des dispositifs d’aide, un grand nombre d’acteurs, etc. C’est un environnement favorable, porteur d’opportunités. Mais le sport est très codifié, et la position des clubs est de travailler avec des produits homologués. Dès lors, pour une sportech, la question se posera assez vite d’aller chercher un cautionnement médical", analyse-t-il.

Au sein d’un secteur public riche de 15 000 chercheurs en Occitanie, le laboratoire montpelliérain EuroMov, soutenu par l’Université de Montpelier et l’IMT Mines Alès, se spécialise dans les sciences du mouvement, et leurs applications dans le champ de la santé, de l’activité physique et du sport. "Certaines start-up nous sollicitent pour challenger leur innovation. Nous n’avons pas de compétences pour développer des capteurs, mais nous exploitons cette technologie pour enrichir les bases de données ou les logiciels qui en découlent. Quand la start-up souhaite une simple prestation de recherche, nous mettons à sa disposition notre plateau technique, tarifé à la demi-journée", témoigne le professeur Stéphane Perrey, directeur d’EuroMov. Cette possibilité figure aussi dans le bouquet de services proposés par EuroMov aux sportechs suivies dans sa propre structure d’incubation. Parmi elles, BeatHealth (2 salariés), fondée en 2021, a créé une application musicale pour la rééducation des patients atteints de Parkinson et pour l’entraînement des sportifs. "Les bienfaits de l’indiçage auditif sont connus depuis 20 ans. Ici, il permet aux coureurs d’adopter une bonne cadence et d’éviter les blessures liées à une mauvaise cinétique de course. Nous sommes partis d’une étude académique couplant l’indiçage et les caractéristiques de la marche, qui a été menée au sein d’EuroMov", résume Loïc Damm, cofondateur de BeatHealth, qui projette 5 embauches en 2022.

Dans un registre similaire mais conçue selon un autre protocole, l’application iKinesis vise à prévenir les blessures qui frappent les coureurs à pied. Elle a été créée par Frédéric Vieilledent, kinésithérapeute à Tournefeuille (Haute-Garonne) et fondateur de la société Soma en octobre 2020. "À partir d’un capteur que nous fixons aux lacets de la chaussure, nous sommes capables de reproduire le mouvement de la jambe en trois dimensions, explique-t-il. Nous avons développé une intelligence artificielle qui fait qu’un seul capteur suffit alors qu’il en faut trois ou quatre dans les solutions existantes." Bêta testée par ses ambassadeurs Benjamin Robert et Cindy Bourdier, deux athlètes de haut niveau spécialistes du 800 mètres, l’application suscite l’intérêt des professionnels de santé. "Sa plus-value réside dans sa capacité à déterminer les zones de stress, en relation avec la technique, et donc d’apporter du conseil et des exercices pour limiter le risque de blessures", décrit-il. Un partenariat a été noué avec l’Université de Paris-Saclay qui lui ouvre son laboratoire d’analyse. Frédéric Vieilledent s’appuie aussi sur un comité scientifique dans lequel figure notamment le podologue du sport Jean-Philippe Viseu ou le médecin du sport Frédéric Depiesse, ancien président de la commission médicale de la Fédération Française d’Athlétisme. Un chiropracteur, deux coachs d’athlétisme et deux ingénieurs en biomécanique complètent l’équipe. Destinée à tous les pratiquants, l’application est en phase de publication dans les stores.

Un projet à vocation mondiale en gestation

Dans l’écosystème régional de la sportech, un grand gisement de valeur réside aussi dans le traitement des pathologies elles-mêmes. Dévoilé fin 2021, le projet le plus emblématique est Diag in Sport, un consortium pluridisciplinaire dédié au développement de solutions innovantes pour la détection des commotions cérébrales liées au sport. Le groupement est emmené par le montpelliérain Vogo (50 salariés, CA 2021 : 8,5 M€), créateur de solutions audio et vidéo pour le sport, et embarque divers partenaires académiques tels que le laboratoire montpelliérain Sys2Diag, l’Université de Lille, l’Institut de biomécanique Georges Charpak (Paris), etc. Le budget se montera à 20 millions d'euros, qui restent à trouver. L'initiative prolonge le partenariat né en 2020 à Montpellier pour le développement d’un test salivaire anti-Covid : Sys2Diag a apporté sa maîtrise des tests salivaires, et Vogo son expertise en connectivité, pour créer le premier autotest à lecture rapide, sans machine de laboratoire. "Les biomarqueurs révélant une commotion cérébrale sont détectables dans la salive, même dans le temps, ce qui permet le suivi des patients dont le cas s’aggrave, explique Franck Molina, directeur de Sys2Diag, à propos de Diag in Sport. Le consortium va concevoir un système multimodal d’identification de biomarqueurs et de suivi des résultats, pour les sportifs professionnels ou amateurs, qui s’exposent à des commotions, après un gros choc ou même un simple coup sur la tête."

Concrètement, Diag in Sport doit livrer, d’ici 4 ans, un catalogue d’applications qu’exploitera chacun des partenaires impliqués : Sys2Diag pour une gamme de tests salivaires, l’Université de Lille pour un serveur audio détectant les troubles de la parole liés à la commotion, et Vogo pour un système d’intelligence artificielle envoyant directement des images vidéo au médecin de garde après un choc suspect. En effet, Diag in Sport naît dans un contexte favorable, où la réglementation internationale du sport vient de rendre obligatoire la présence de médecins au bord du terrain, en communication audio et vidéo permanente avec une salle dédiée aux traumas crâniens dans chaque stade. "En France, cinq millions de personnes sont concernées par ce problème tous les week-ends. Dans le monde, ce sont 100 millions de personnes en Europe et aux États-Unis, un chiffre colossal ! Or, moins de 30 % des commotions cérébrales sont détectées dans le sport. Notre ambition est, avec le consortium, de porter le taux de détection à 85 %", annonce Christophe Carniel, PDG de Vogo. En tant que fournisseur audio et vidéo de Diag in Sport, la sportech montpelliéraine anticipe "de très fortes retombées économiques" dans 4 ans. D’autant que la liste des fédérations intéressées s’allonge : aux sports propices aux chocs tels que le rugby ou le football américain s’ajoutent tous types de disciplines (handball, BMX, équitation…). "La prise de conscience est mondiale. Les fédérations qui ne l’ont pas anticipée font face à une baisse des inscriptions, notamment chez les jeunes, car les parents s’inquiètent", ajoute Christophe Carniel.

Des synergies encore perfectibles

En première ligne elle aussi, la sportech montpelliéraine Kinvent (30 salariés) a créé une application et une gamme de 7 appareils connectés, destinés aux kinésithérapeutes, afin de mesurer la force musculaire pendant les entraînements sportifs ou la rééducation des patients. Fondée par Athanase Kollias, d’origine grecque, elle a adapté des technologies inventées par le laboratoire de biomécanique de Thessalonique. Au total, Kinvent mène actuellement 2 études cliniques en interne, et 10 en externe, dont 3 en Grèce. "Il est important pour nous d’avoir l’estampille des laboratoires. D’une part, c’est demandé par nos utilisateurs. D’autre part, c’est une marque de crédibilité. Les bénéfices observés pour certains de nos produits sont encore plus reproductibles en laboratoires que ceux de machines professionnelles à 40 000 euros ! Chaque cas de recherche est un challenge, qui nous oblige à aller trouver des solutions en termes d’applicabilité, d’interface, etc. Nous avons un leadership technique de 3 à 5 ans sur la concurrence, et c’est ainsi que nous le gardons", avance Athanase Kollias. Kinvent diffuse ses produits dans 51 pays, avec des modalités différentes selon que les systèmes locaux de sécurité sociale remboursent les prescriptions plus ou moins bien. En France, ce frein à la croissance des sportechs a été levé grâce à une loi de 2016, stipulant que le sport sur ordonnance peut être prescrit par les médecins généralistes à leurs patients.

Mais d’autres freins demeurent, sur le plan culturel notamment. Les start-up et les fédérations sportives sont deux mondes encore en approche. "Les sportechs ont souvent une mauvaise connaissance des clubs et de l’associatif sportif. À l’inverse, les employés des fédérations voient les applications se multiplier et, parfois, n’ont pas les compétences, ou n’ont pas le temps de les intégrer à leurs process", note Nadège Estéban, directrice du campus montpelliérain de l’école AMOS (Académie de management des organisations sportives), qui se positionne justement pour résoudre ces problématiques.

De même, le temps long de la recherche et la soif de croissance accélérée chez les start-up ne coïncident pas toujours. À la tête d’EuroMov, Stéphane Perrey ne décompte qu’une dizaine de demandes de partenariat émises chaque année par des start-up. "Nous avons beaucoup d’échanges, mais on en voit rapidement les limites. Tout dépend des besoins de l’entreprise. A-t-elle le bon état d’esprit en R & D ? A-t-elle deux ans devant elle pour faire de la recherche sérieusement ?", interroge-t-il, tout en plaidant pour une meilleure structuration des collaborations sportech/recherche, par exemple dans le cadre de MUSE, la stratégie de site d’excellence I-Site portée par l’Université de Montpellier, ou bien de Med Vallée, le projet de pôle de compétences en matière de santé, d’environnement et d’alimentation que développe la Métropole héraultaise. "Quand une start-up veut faire reconnaître son innovation comme dispositif médical, le temps d’accès au marché est plus long. Du coup, on voit de plus en plus de start-up sortir un premier produit pour générer du cash, avant d’aller plus loin", nuance Benjamin Carlier. Le contexte engendré par la crise sanitaire pousse aussi au changement de mentalité. "Rien n’est simple même quand tous les acteurs sont présents sur un territoire. Les différences de culture sont réelles. Mais nous vivons une grande avancée avec le plan de relance : des ingénieurs du privé sont financés pour travailler dans le public, et des chercheurs du public dans le privé. La clef de tout est d’apprendre à se connaître", conclut Franck Molina.

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