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Gérard Bertrand : "Je revendique ma différence et mon militantisme pour le bio"
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Gérard Bertrand président du groupe Gérard Bertrand "Je revendique ma différence et mon militantisme pour le bio"

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Aux manettes du groupe portant son nom, situé à Narbonne (Aude), Gérard Bertrand a imposé sa vision du vin avec une énergie sans doute héritée de sa première vie, comme rugbyman professionnel. Cet amoureux du jazz et de l’art contemporain, couvert de prix internationaux, publie "La nature au cœur" (Albin Michel), un livre étonnant où il réévalue ses priorités à la lumière du défi environnemental qui se pose à la planète et à la viticulture.

Gérard Bertrand a fondé le groupe éponyme en 1992 — Photo : Ulrich Lebeuf / M.Y.O.P

Votre nouveau livre embrasse de nombreuses thématiques, en puisant dans l’histoire, la religion, la sociologie, etc. Vous proposez presque une philosophie de vie. Comment décide-t-on de rédiger un tel ouvrage ?

Gérard Bertrand : C'est est un témoignage à cœur ouvert, au filtre des priorités du futur que sont le réchauffement climatique et le vivre-ensemble. Ces deux sujets, a priori déconnectés, ont un lien. La nature doit-elle reprendre ses droits ? Ou bien doit-on continuer dans une voie basée sur la conception d’un homme omnipotent ? Mon sentiment est que nous devons adopter une approche plus liée à la nature.

Le changement climatique impacte durement les vignobles du Sud, et menace votre profession. Comment le gérez-vous ?

Gérard Bertrand : Je suis vigneron depuis 34 ans. J’ai largement eu le temps d’observer que le réchauffement s’est installé, surtout l’été. Il y a 30 ans, nous souffrions déjà du sirocco, avec des pointes à 30° ou 32° pendant trois ou quatre jours. Dorénavant, le sirocco souffle en permanence, et les pics de chaleur montent à 40° ou plus. Le bio et la biodynamie nous permettent de contrebalancer ceci en travaillant les sols en profondeur. Nous y mettons beaucoup de micro-organismes. Ils sont plus vivants, captent plus de carbone, avec assez d’humidité.

Vous affichez de grandes ambitions dans le vin bio. Devient-il la signature de votre groupe ?

Gérard Bertrand : Nous utilisons le bio et la biodynamie parce qu’ils permettent de produire des vins de bonne qualité, avec un pH plus bas et une meilleure garde. De plus, c’est meilleur pour la plante. Le bio et la biodynamie sont donc entrés dans notre ADN. Nous avons 850 hectares plantés et nous vendons dans 175 pays. Notre engagement est d’atteindre 80 % de bio en 2025, et 100 % en 2023. Mais nous n’oublions pas le reste, car nous avons de gros enjeux sur d’autres produits. Les vins premium représentent 20 à 23 % de notre activité.

Néanmoins, pour certains vignerons, la conversion au bio s’avère difficile. Comment procédez-vous avec vos partenaires ?

Gérard Bertrand : Le bio est une évidence, car il permet d’avoir les mêmes rendements. Nous aidons les vignerons, à travers notre activité de négociant, en leur garantissant 80 à 90 % du prix pendant la période de conversion. C’est une aide importante car les plus gros investissements se concentrent sur les deux premières années. Nous avons aidé à convertir un millier d’hectares.

Vous avez été un des premiers à faire de votre nom une marque. Avec les valeurs que vous affichez aujourd’hui, quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?

Gérard Bertrand : J’ai toujours pratiqué une forme d’introspection, qui m’a permis de trouver les moyens de devenir une nouvelle personne. Devenir soi-même, c’est exprimer son potentiel, ses atouts. J’ai fait un chemin important comme rugbyman, et ensuite comme vigneron avec des vins qui sont entrés dans le gotha mondial. Aujourd’hui, j’ai plus de recul, sans oublier d’où je viens. Il y a 40 ans, les "vins du midi" avaient mauvaise réputation. J’ai moi-même démarré en produisant des vins populaires. Je voulais donner plus à ceux qui ne pouvaient pas dépenser 10 euros dans une bouteille. Mais j’ai mis 25 ans avant d’avoir du succès. En m’inspirant de pionniers comme Robert Mondavi (producteur et investisseur californien qui a défrayé la chronique dans le Languedoc en 2001, NDLR), le nom "Gérard Bertrand" est passé d’une signature à une marque. J’ai contribué à donner une autre dimension à un vignoble qui n’était pas connu.

Comment expliquez-vous les inimitiés que votre parcours vous a values ?

Gérard Bertrand : Quand on fait l’unanimité, c’est qu’on n’a rien fait. Je revendique ma différence et mon militantisme pour le bio et la biodynamie. Mais le soleil se lève pour tout le monde, et moi, je suis heureux du succès des autres.

La crise sanitaire a favorisé une nouvelle prise de conscience autour de la nature et de la ruralité. Comment le percevez-vous ?

Gérard Bertrand : Nous sommes bourrés de paradoxes. On ne peut pas passer son temps à s’abreuver de séries sur Netflix et se lamenter en permanence. Nous devons nous donner des priorités, afin de retrouver un équilibre au sein d’un déséquilibre permanent. Recréer la ville à la campagne nous permet de nous projeter, d’éviter de nous perdre. On retrouve le silence. On voit le ciel, les étoiles. Et notre être intérieur a besoin de ça.

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ENCADRE

Une stratégie de marques confortée et amplifiée

Comme d'autres, le groupe Gérard Bertrand (320 collaborateurs, CA 2020 : 200 M€) n'a pas été épargné par la vague de gel tardif qui a frappé le vignoble français en avril dernier. Dans le Languedoc, premier bassin viticole au monde, la dernière estimation chiffre de 20 à 25 % le nombre de vignes impactées. "D'autres facteurs ont pénalisé l'activité, comme la crise sanitaire ou encore les taxes imposées par l'ex-président américain Donald Trump, qui heureusement ont été levées au mois de mars 2021", commente Gérard Bertrand. Les États-Unis sont une priorité pour le négociant audois, qui revendique le titre de première marque de vins français sur le marché américain, à travers une filiale d'une vingtaine de personnes. Le groupe vend dans 175 pays, et affiche une croissance de 7 % en 2020 malgré la pandémie. Il prévoit, d'ici cinq ans, de doubler de taille, en exploitant un large portefeuille de produits "pour répondre à tous les besoins" : rouges, rosés, effervescents, bio et biodynamie. Il mise, pour cela, sur le développement de ses marques et la signature de nouveaux partenariats. Parmi les plus anciens, Gérard Bertrand cite les Vignerons de Tautavel : "Nous commercialisons 80 % de leur production depuis 13 ans". L'ex-rugbyman insiste aussi sur ses liens avec la cave coopérative Héraclès, à Codognan (Gard), qui s'est dotée en 2017 de la plus grande cave de vin bio d'Europe (130 000 hl de cuverie). "Ils produisent à la fois du vin bio et du vin sans sulfites, ce qui nous a permis de développer notre première gamme du genre, appelée Naturae, dont trois millions de bouteilles ont déjà été écoulées", conclut-il.

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ENCADRE BIOGRAPHIE

1965 : naissance à Narbonne

1984-1994 : rugbyman professionnel

1987 : suite au décès de son père, Gérard Bertrand reprend le domaine de Villemajou, le premier d’une longue série.

1992 : création de la société des vins Gérard Bertrand.

2002 : acquisition du château l’Hospitalet, qui devient le siège du groupe.

2019 : le Château l’Hospitalet 2017 est élu meilleur vin rouge du monde (concours IWC). En 2020, le Clos du Temple 2019 est élu meilleur rosé du monde (magazine Drinks Business).

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