Décollage réussi pour les Territoires d’industrie en Occitanie
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Décollage réussi pour les Territoires d’industrie en Occitanie

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Lancé il y a deux ans pour dynamiser l’activité en dehors des métropoles, le dispositif Territoires d’industrie connaît un nouveau souffle avec les premiers financements issus du plan de relance. Au point que son pilotage innovant, qui associe localement acteurs politiques et économiques, pourrait inspirer la Région Occitanie dans ses politiques de développement économique.

Le spécialiste des exosquelettes ErgoSanté figure parmi les premiers projets soutenus par "France Relance" en Occitanie — Photo : DR

Depuis la mi-novembre, l’État a fait connaître les premiers projets soutenus dans le cadre du fonds d’accélération des investissements industriels créé par le plan « France Relance ». Sur les dix-huit entreprises lauréates en Occitanie à ce jour, seize ont un point commun : être situées dans l’un des dix « Territoires d’Industrie » que compte notre région. Lancé en novembre 2018 par le gouvernement, le dispositif « Territoires d’industrie » a fixé un objectif, la redynamisation de l’activité en dehors des métropoles, et une méthodologie, la définition et le pilotage des actions par les acteurs politiques et économiques locaux. Dans chaque territoire, un binôme élu / industriel et un directeur de projet sont chargés d’animer la réflexion sur les projets de développement autour de quatre axes transversaux : l’attractivité, le recrutement, l’innovation et la simplification.

Approche décentralisée

Cette approche décentralisée, qui a nécessité la mise en place de nombreux groupes de travail et comités de suivi, a parfois compliqué la signature du « contrat d’industrie », le document signé avec la Région pour fixer les actions prioritaires pour chaque territoire. S’y sont ensuite ajoutés la crise sanitaire et le report des élections municipales, qui ont retardé l’installation de certains exécutifs locaux. Si certains contrats d’industrie ont été signés dès l’été 2019, d’autres ne seront finalisés qu’en 2021. Pour le territoire Castres-Revel-Castelnaudary, qui ambitionne d’injecter 77 millions d'euros d’investissements dans l’économie locale ces trois prochaines années, l’étape a été franchie à la fin novembre 2020.

« Nous mettons autour de la table six intercommunalités, trois départements, une multitude de services consulaires et de l’État, et des dizaines de chefs d’entreprise : c’est une force parce qu’aujourd’hui tous ces acteurs locaux travaillent dans le même sens, mais cela a été complexe dans l’animation quotidienne du dispositif, témoigne Laurent Hourquet, maire de Revel et président de ce Territoire d’industrie. Maintenant que notre contrat d’industrie est signé, nous avons les plans de la maison à construire : il nous reste à trouver les matériaux et les maçons. » Autrement dit, à trouver les financements pour concrétiser les premiers projets.

Avec "France Relance", une nouvelle étape

On touche là à une limite originelle du plan Territoires d’industrie : le dispositif ne dispose pas d’enveloppe budgétaire dédiée et, jusqu’à récemment, la recherche des subventions ne s’est envisagée qu’au cas par cas. En Occitanie, sur les 212 projets remontés par les dix Territoires d’industrie à la mi-novembre, une cinquantaine avaient ainsi déjà reçu un soutien financier de la Région, pour des montants généralement chiffrés en milliers d’euros.

L’arrivée début septembre du plan « France Relance » permet de passer à la vitesse supérieure. Le lancement d’un appel à projets national sur l’investissement industriel, doté de 400 millions d'euros d’ici à 2022, ouvre des opportunités de financement dans des délais d’instruction raccourcis (parfois six semaines), et sur des montants plus conséquents : les 18 premiers lauréats d’Occitanie se partagent ainsi 14 millions d'euros de subventions. Cette manne n’est pas exclusive aux Territoires d’industrie, mais ces derniers bénéficient du travail de défrichage réalisé depuis deux ans.

Quarante projets soutenus d’ici la fin 2020

« L’objectif de France Relance est d’accélérer les projets industriels matures pour moderniser l’appareil productif, et à court terme de compenser des pertes liées à la crise sanitaire, résume Mathias Mondamert, conseiller économique du préfet d’Occitanie. L’intérêt du plan Territoires d’Industrie est d’avoir fait émerger et d'avoir structuré des programmes d’investissement prêts à démarrer. » Mi-novembre, l’Occitanie enregistrait une cinquantaine de dossiers déposés sur la plateforme de l’appel à projets national. État et Région sélectionnent ensemble les projets les plus pertinents, ensuite instruits par Bpifrance, puis se retrouvent pour donner le feu vert final. Les sept dossiers financés début novembre ne sont que les premiers d’une longue série : d’ici la fin de l’année, une quarantaine de projets devraient avoir reçu le soutien de « France Relance » en Occitanie.

Situé à cheval sur les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine, le Territoire d'industrie Lacq-Pau_Tarbes s'appuie sur les forces de l'industrie locale, comme l'aéronautique ou l'exploitation du gaz, pour développer des filières émergentes comme l'hydrogène ou les transports intelligents — Photo : DR

Cette synergie entre la dynamique engagée par le plan Territoires d’industrie et la manne financière gouvernementale, est perçue par les acteurs comme une occasion unique de renouveler les tissus économiques locaux. Ainsi à Alès (Gard), vieux bassin d’industrie dont la mutation s’est entamée depuis les années 70, qui a été l’un des premiers territoires de la région à signer son contrat d’industrie fin 2019. « Nous cochons toutes les cases : nous voulons booster une industrie moderne comme l’incarne l’usine 4.0, remettre à niveau ceux qui veulent se moderniser ou encore renforcer l’existant », se félicite Jalil Benabdillah, dirigeant de SDTech et par ailleurs vice-président de l’Agglo d’Alès chargé du développement économique. Dix projets soutenus par la collectivité, et représentant un investissement global de 40 millions d'euros sur le bassin, ont été retenus dans le contrat d’industrie : trois d’entre eux ont été financés en novembre 2020 via « France Relance » (lire par ailleurs). D’autres dossiers, dont les études préalables sont aussi financées au titre de Territoires d’industrie, explorent de nouvelles orientations stratégiques pour le territoire. Ainsi, l’IMT Mines Alès porte un projet de plateforme collaborative de services pour favoriser la transition numérique des entreprises. De même, le Pôle Mécanique d’Alès doit être étendu afin de développer une filière sport mécanique et mobilité durable (la zone concentre déjà plus d’un millier d’emplois).

Projets collaboratifs

Autre acteur pionnier en Occitanie, le Territoire d’Industrie Lacq-Pau-Tarbes travaille lui aussi au renforcement parallèle des industries traditionnelles et des secteurs innovants. Les savoir-faire développés à Lacq sur l’exploitation du gaz nourrissent les ambitions du territoire sur l’hydrogène, les bio-énergies et la méthanisation : il est aussi prévu la création d’une pépinière de start-up sur les métiers de la chimie. Même logique sur le projet de hub aéronautique qui doit à la fois soutenir les industriels locaux de la maintenance et ouvrir de nouvelles chaînes de valeur sur le digital.

« La démarche a rendu plus accessibles des projets collaboratifs d’innovation jugés auparavant trop complexes. »
Audrey Le Bars, directrice de projet du Territoire d’Industrie Lacq-Pau-Tarbes.

« Le travail engagé depuis deux ans a permis de sortir d’une logique classique, par filière, au profit d’une approche territoriale qui fait dialoguer le monde académique, les start-up et les entreprises traditionnelles. La démarche a rendu plus accessibles des projets collaboratifs d’innovation jugés auparavant trop complexes : on voit de plus en plus de dirigeants de PME solliciter des subventions pour lancer des études de pré-industrialisation », se félicite Audrey Le Bars, directrice de projet du Territoire d’Industrie Lacq-Pau-Tarbes. Le sous-traitant aéronautique Ségneré (200 salariés, CA 2019 : 17 M€) s’est ainsi associé à la start-up Lisa Airplanes pour envisager la production d’un avion décarboné à horizon 2024. Au total, une cinquantaine de projets ont été retenus dans le contrat d’industrie de ce territoire, pour un montant global d’investissements record de 270 millions d'euros.

Identifier les filières d’avenir

Dans d’autres territoires d’Occitanie, la démarche vise à renforcer un tissu industriel encore naissant, et à ce titre peu concerné par les fonds de « France Relance ». À Narbonne (Aude), l’Agglo va créer un dispositif d’ingénierie territoriale visant à cerner les besoins des entreprises locales, et à structurer des filières autour de nouvelles pistes de développement, dont les éco-industries et les énergies marines. « Pour notre part, Territoires d’industrie concerne des dossiers à horizon lointain. L’initiative nous sert d’abord à rassembler des acteurs publics et privés et à fluidifier l’accès à d’autres types de financements, comme les contrats de transition écologique », commente Jean-Michel Alvarez, vice-président du Grand Narbonne chargé de l’économie.

Sur le sujet des énergies renouvelables (EnR) prioritaires à Narbonne, un chef de file s’impose : il s’agit du producteur d’électricité Qair Energy (190 salariés, CA 2019 : 67 M€). Le groupe porte deux projets intéressant les secteurs étudiés par Territoires d’industrie : un champ d’éoliennes offshore nécessitant de bâtir une unité d’assemblage et de fabrication de flotteurs à Port-la Nouvelle (Aude), et une usine de production d’hydrogène vert prévue sur le même site. Soit des investissements de 10 millions d'euros et 50 millions d'euros respectivement pour Qair. « C’est important de repositionner des industries sur un territoire, surtout quand il y en a peu. Un projet crédible peut émerger s’il s’appuie sur des facteurs différenciants comme les ENR, et Qair sera disponible pour l’accompagner », annonce Jean-Marc Bouchet, président du groupe et lui-même référent Territoires d’industrie.

Une démarche étendue à l’ensemble de la Région ?

En confiant les clés du développement économique aux élus et entrepreneurs locaux, le plan Territoires d’industrie marque une rupture dans les politiques publiques traditionnelles en France. Il faudra sans nul doute attendre plusieurs années pour en mesurer la réussite, mais ce changement de paradigme est jugé très positivement par les acteurs concernés. « La démarche a mis en lumière l’intérêt d’une animation économique au plus près du territoire, et fait remonter des sujets industriels correspondant aux besoins locaux. Notre souhait est d’étendre cette dynamique à l’ensemble du territoire d’Occitanie, via les contrats territoriaux que la Région signe avec chaque intercommunalité », confie Stéphane Molinier, directeur général délégué de la Région Occitanie.

Même enthousiasme chez le dirigeant de SDTech Jalil Benabdillah, qui préside aussi le club d’entreprises Leader Occitanie : « Pour décrocher la labellisation Territoires d’industrie, chaque territoire a dû diligenter des études, réfléchir à sa stratégie : cela nous a poussés à trouver une cohérence territoriale, à identifier des complémentarités, à nous benchmarker avec d’autres territoires pour observer comment ils s’y prennent. De ce travail pourrait découler un nouvel élan, où plusieurs Territoires d’industrie travaillent ensemble pour structurer de nouvelles filières. » Relancée par l’arrivée des fonds de relance, la démarche Territoires d’industrie n’en est peut-être qu’aux prémices de son histoire.

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