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Pourquoi la cession à 180 millions d’euros de Cheops Technology a capoté
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Pourquoi la cession à 180 millions d’euros de Cheops Technology a capoté

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La vente de l’ETI girondine Cheops Technology ne sera finalement pas menée à son terme. En cause, un litige opposant les actionnaires historiques autour de la vente de 71 % du capital de l’entreprise, survenue en juillet 2018.

Nicolas Leroy-Fleuriot, le 8 décembre 2021, à la base sous-marine de Bordeaux, annonçant sur un slam quitter la direction de Cheops Technology — Photo : Capture d'écran Viméo - Cheops Technology

Distillé au plus creux de l’été, le communiqué de l’ETI girondine Cheops Technology (600 salariés) a joué la discrétion. Il sonnait pourtant le glas du projet de cession de la quasi-totalité du capital de l’entreprise pour 180 millions d’euros, annoncé quelques mois plus tôt. "L’opération capitalistique objet du communiqué de presse du 14 décembre 2021, qui devait entraîner le transfert de 98,71 % du capital de Cheops ne sera pas menée à terme", indique le communiqué pour le moins laconique.

Une vente contrariée, des acheteurs refroidis

L’annonce du rachat avait, elle, été beaucoup moins confidentielle. Le 8 décembre 2021, son truculent dirigeant, Nicolas Leroy-Fleuriot, montait sur la scène de la base sous-marine de Bordeaux, devant 400 spectateurs ébaubis, pour expliquer en chanson qu’il allait céder les rênes de l’entreprise spécialisée dans les infrastructures informatiques sécurisées. Quelques jours plus tard, Cheops Technology affirmait, par voie de communiqué, que les fonds Aquiline Capital Partners LLC et Elyan Partners, le conseil d’Edmond de Rothschild Equity Strategies avaient signé des accords définitifs portant sur l’acquisition d’une participation majoritaire représentant 98,71 % du capital social de Cheops pour un prix de 78,26 euros par action. Emmanuel Carjat qui devait devenir directeur général de Cheops Technology une fois le rachat bouclé nous expliquait alors vouloir "construire un champion européen du cloud et des services managés pour les ETI". Des perspectives réjouissantes pour l’entreprise basée à Canéjan.

S’ensuivent quelques mois plutôt flous. Juste avant l’été, les rumeurs commencent à bruisser : la vente de Cheops serait sur le point de capoter. Bruits de couloir finalement confirmés le 29 juillet par Cheops Technology après des semaines d’incertitude. "Cheops précise que cette décision est la conséquence d’un litige, actuellement pendant, totalement étranger à son activité et sans incidence sur celle-ci et auquel elle n’est pas partie", expose la société dans son communiqué. "L’opération ne se fera pas et nous ne voulons plus la faire", se contente de commenter Emmanuel Carjat, qui ne cache pas sa déconvenue.

Gipsi, pomme de la discorde

Et pour cause. Suite à un litige opposant deux actionnaires historiques, la SAS Khephren d’un côté et la SA Asteria de l’autre, l’équivalent de 80 % des titres qui devaient être vendus ont été saisis. Le 12 avril 2022, le tribunal de commerce a autorisé la société Asteria à saisir à titre conservatoire les actions détenues par la société Khephren dans le capital de la société Cheops Technology, "pour sûreté, conservation et avoir paiement de la somme de 105 millions d’euros". L’ordonnance de référé (procédure spécifique demandée lorsqu’un litige exige qu’une solution, au moins provisoire, soit prise dans l’urgence par le juge), rendue par le tribunal de commerce de Bordeaux le 7 juin 2022, expose les causes du litige :
"À l’origine se trouvent la société Asteria, société holding de Didier Cazeaux (qui était l’ancien dirigeant de l’entreprise de construction navale Couach jusqu’à sa liquidation en 2009, NDLR), et la société Montesquieu Finances, société holding de Nicolas Leroy-Fleuriot". En 2001, les deux hommes d’affaires bordelais s’associent pour créer la société Gipsi dont chacun aura 50 % des parts, soit 200 actions chacun. Gipsi devient alors actionnaire à hauteur de 71,18 % du capital social de Cheops Technology. Nicolas Leroy-Fleuriot est président à la fois de Gipsi et de Cheops Technology. Rapidement les relations deviennent "exécrables" entre les deux associés, précise l’ordonnance de référé.

Une assemblée générale cruciale

À tel point que, le 14 novembre 2017, se tient une assemblée générale de Gipsi. Asteria, la holding de Didier Cazeaux, n’y est pas représentée. Si la société de Nicolas Leroy-Fleuriot affirme l’avoir convoqué, il n’est produit aucun document auprès du tribunal de commerce démontrant cette convocation. Or cette assemblée est cruciale pour la suite de l’histoire. Une augmentation de capital est décidée par le président de Gipsi, Nicolas Leroy-Fleuriot. Puis, quelques semaines plus tard, le même président décide pour ces nouvelles actions, de supprimer le droit préférentiel de souscription des associés et de réserver la souscription nouvelle à Didier Delhoste, directeur général délégué de Cheops Technology. C’est cette action supplémentaire, ajoutée aux actions de Montesquieu Finances, holding de Nicolas Leroy-Fleuriot, qui permet la cession de la totalité de la participation de Gipsi dans Cheops Technology à la société Khephren, alors présidée par Didier Delhoste et dont Nicolas Leroy-Fleuriot est actionnaire, précise le tribunal.

Le 25 juillet 2018, Khephren s’offre donc les parts que Gipsi détenaient dans le capital de Cheops Technology, soit 71,18 %, pour 21,48 millions d’euros. Asteria et Didier Cazeaux n’ont alors pas connaissance de la transaction, selon une source proche du dossier. Surtout, Asteria, alors actionnaire à 50 % de Gipsi, ne perçoit pas les quelque 10 millions d’euros qui auraient dû lui revenir.

Trois ans plus tard, alors que Cheops s’apprête à céder 98,71 % de son capital pour 180 millions d’euros, la vente conclue entre Gipsi et Khephren semble bien sous-évaluée, "dérisoire" selon Didier Cazeaux, cité dans l’ordonnance de référé. Sur la même période, le chiffre d’affaires de Cheops Technology est passé de 104 millions d’euros à 118,6 millions d’euros en 2021. Pas de quoi justifier une telle flambée du prix de vente.

Une audience à venir

Plusieurs assignations ont donc été diligentées par Asteria devant le tribunal de commerce de Bordeaux à l’encontre de Khephren, de Gipsi, de Nicolas Leroy-Fleuriot et de Didier Delhoste. Par ailleurs, selon nos informations, la société Asteria a déposé plainte le 2 mai 2022 auprès du tribunal judiciaire de Bordeaux pour abus de biens sociaux, complicité d’abus de biens sociaux, recel d’abus de biens sociaux, faux et usage de faux.

"Il apparaît, au vu de ces éléments, que la pérennité de la vente survenue le 25 juillet 2018 entre la société Gipsi et la société Khephren est sérieusement contestée et que l’éventuelle annulation de cette vente remettrait les parties en l’état au 25 juillet 2018", juge le Tribunal de commerce. Une audience devrait avoir lieu dans les prochains jours.

Ce 19 septembre, Didier Delhoste a démissionné de son mandat de président de la société Khephren, Nicolas Leroy-Fleuriot a été nommé président. Sollicitée par nos soins, la direction de Cheops n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

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