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Nouvelle-Aquitaine : les start-up se lancent aux côtés des groupes dans la conquête du spatial
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Nouvelle-Aquitaine : les start-up se lancent aux côtés des groupes dans la conquête du spatial

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Aux côtés des grands groupes et fleurons du secteur, de jeunes entreprises réveillent le spatial néo-aquitain avec leurs innovations et leur rapidité d’exécution. Des initiatives qui permettent, malgré des difficultés de financement, d’avancer sur les défis à venir du secteur, notamment l’éco-responsabilité.

Autour d'ArianeGroup, de Thalès et de Dassault, gravitent en Nouvelle-Aquitaine des laboratoires de recherche, des infrastructures d'essai, et un tissu d'une centaine de PME sous-traitantes et de start-up de l'industrie spatiale. — Photo : © ESA-CNES-ARIANESPACE / P PIRON

Hélène Huby, la fondatrice de la start-up The Exploration Company, a des étoiles plein les yeux. Elle a officialisé, le 1er février 2023, une levée de fonds de 40 millions d’euros. Une opération menée notamment par le fonds suédois EQT Ventures, les fonds français Red River West et Partech, spécialisés dans le financement des start-up technologiques à fort potentiel. "C’est une première mondiale. Nous sommes la première start-up qui fabrique des capsules spatiales à être financée par des investisseurs privés", se félicite cette ancienne directrice de l’innovation du groupe Airbus, qui a pour ambition de démocratiser l’accès à l’exploration spatiale. Cette pépite germano-bordelaise de 50 salariés, basée au sein de l’incubateur de Technowest de Mérignac et à Munich, produit des capsules spatiales, qui assurent des missions de logistique vers les stations autour de la Terre et de la Lune. Leur particularité : elles sont réutilisables pour limiter la pollution, réduire les coûts et ravitaillables en vol avec des carburants qui pourront être produits à partir de ressources spatiales pour augmenter l’efficacité du transport. "L’Europe n’a aucune capacité d’accès à ce que peut être une partie très importante du futur de l’humanité, et dépense beaucoup d’argent pour utiliser des véhicules spatiaux américains. Nous voulons donc changer la donne", confie l’entrepreneuse, qui prévoit de recruter 50 nouveaux collaborateurs d’ici la fin de l’année 2023.

Dès 2024, The Exploration Company va envoyer dans l’espace le véhicule, Mission Possible, de 1,6 tonne (environ 2,5 mètres de diamètre), qui emportera quelque 300 kg de matériel. En 2026, ce sera au tour de la capsule Nyx, en référence à la déesse grecque de la création du cosmos, qui pèse 8 à 10 tonnes, de transporter du fret et ensuite des humains vers les stations orbitales et futures bases lunaires. "Nous rendons un service traditionnel aux agences spatiales en amenant de la nourriture des expériences scientifiques aux astronautes, ainsi que du fioul aux stations spatiales. Les clients privés comme des grandes marques de sport, de luxe qui veulent rendre le spatial accessible à leur clientèle et les futures stations spatiales privées sont aussi très intéressées pour nous acheter un vaisseau cargo", explique la fondatrice de la start-up qui a signé plusieurs contrats, d’un montant total de 2,5 millions d’euros, avec le Centre national d’études spatiales (CNES), l’Agence Spatiale européenne (ESA) et l’agence spatiale allemande (DLR).

Un tissu économique grandissant

The Exploration Company n’est pas la seule à vouloir s’envoler vers l’infini et au-delà. Le groupe Arianespace a été choisi en avril dernier par le géant américain Amazon pour mettre en orbite pendant trois ans les satellites de sa constellation Kuiper. À la clé, un contrat à plusieurs milliards de dollars pour l’industriel français, qui pourrait profiter à ses neuf sites français, dont trois sont implantés dans l’agglomération bordelaise. Une nouvelle qui tombe à pic et qui permet de démontrer qu’Ariane 6 est bien placée dans la compétition mondiale, à l’heure où l’industrie spatiale européenne cherche à maintenir sa compétitivité face à la déferlante du new space, et l’arrivée de nouveaux acteurs mondiaux à l’image de l’entreprise privée Space X du célèbre milliardaire américain Elon Musk.

Autour d’ArianeGroup, de Thalès et de Dassault, gravitent en Nouvelle-Aquitaine des laboratoires de recherche, des infrastructures d’essai, et un tissu d’une centaine de PME sous-traitantes et de start-up. Pour n’en citer que quelques-unes : HyPrSpace au Haillan, qui a pour objectif de développer un lanceur utilisant une technologie de propulsion hybride permettant de faciliter l’accès à l’espace ; Delfox, qui développe des solutions innovantes d’intelligence artificielle appliquées aux problématiques industrielles de ses clients ; ou encore Sylphaero, une société pionnière qui conçoit et produit les premiers turboréacteurs 100 % électriques au monde.

La Nouvelle-Aquitaine est la troisième région de France de l’industrie spatiale, en termes d’emplois, après l’Occitanie (12 600 salariés) et l’Ile-de-France (8 600), avec quelque 3 000 salariés selon des chiffres publiés par l’Insee fin 2020. "Le marché de l’espace est en pleine croissance. Les indicateurs sont assez clairs. Il suffit de regarder l’implantation grandissante de nouvelles start-up, comme l’arrivée récente d’Aerospacelab à Mérignac, une entreprise spécialisée dans la construction de satellites et les services en orbite. Si les entreprises de Nouvelle-Aquitaine veulent gagner des parts de marché dans l’espace, elles ont tout intérêt à collaborer sur des projets", estime François Buffenoir, directeur technique et scientifique de Way4Space, un centre de recherche basé à Saint-Médard-en-Jalles (Gironde) sur les technologies liées à l’espace, financé par les acteurs public et privés, dont la mission est d’encourager les entreprises du secteur à coopérer et trouver de nouvelles solutions pour les satellites notamment.

Un besoin d’innovation et de financement

La clef du succès et le principal enjeu de ces entreprises, c’est l’innovation portée par des idées de rupture. "Il faut faire mieux que les autres et aller vite", explique Eric Giraud, directeur général d’Aerospace Valley, un pôle de compétitivité fondé en 2005 et implanté au Haillan et à Toulouse. En clair, trouver des solutions qui n’existent pas encore et anticiper certaines tendances, comme celle de la décarbonation et la réemployabilité des matériaux. "La filière n’échappe pas à ce phénomène. Des carburants verts sont à l’étude, et des moteurs réemployables adaptés au spatial se mettent en place. Cela suppose de repenser le logiciel, notamment de transiter de la propulsion solide vers le liquide. Une révolution intellectuelle entre les acteurs historiques et les nouveaux est en train de se mener, ce qui participe à l’innovation du secteur", constate Adrien Selvon, responsable de la filière aéronautique-spatial-défense au sein de Bordeaux Technowest, technopole labellisée par l’Agence Spatiale Européenne (ESA), qui a déjà accompagné plus de 500 entreprises innovantes en 20 ans avec un taux de réussite de 85 % à 5 ans, dont une grande partie dans l’aérospatial.

Pour garder une longueur d’avance dans ce secteur en plein bouillonnement, la région Nouvelle-Aquitaine - qui s’est dotée d’un Space Hub (devenu Way4Space) pour devenir une référence internationale dans la mobilité spatiale, en particulier les vols suborbitaux et le transport spatial - et le gouvernement multiplient les initiatives. Le plan France 2030 consacre 1,5 milliard d’euros sur le spatial, dont les deux tiers à destination des acteurs émergents comme les start-up. Une enveloppe qui vient s’ajouter au budget de 17 milliards d’euros, voté pour les trois prochaines années en novembre dernier par l’ESA. "On ne peut que s’en réjouir mais cela reste très en retrait par rapport aux Etats-Unis qui dépensent environ 50 milliards de dollars par an, et aux Chinois qui disposent d’un budget annuel entre 12 et 20 milliards de dollars. L’investissement européen reste très inférieur à ce dont on a besoin pour avancer sur le chemin du spatial du 21e siècle", analyse Jean-Marc Laurent, responsable exécutif de la chaire Défense & Aérospatial à Sciences Po Bordeaux.

Une capacité à bien exécuter

Une des principales difficultés des entreprises repose en effet sur le financement. "Nous sommes dans une situation contrastée. Le secteur est en pleine ébullition mais les jeunes pousses ne parviennent pas à lever les capitaux dans les mêmes proportions que les acteurs américains. Il y a pourtant pour ces entreprises régionales de grandes opportunités mondiales. Des pays situés en Afrique et au Moyen-Orient ont de fortes ambitions, créent des agences spatiales et achètent de la technologie, des satellites à l’Occident", rapporte Eric Giraud.

Selon Hélène Huby, qui a réalisé une levée de fonds dans des conditions économiques difficiles, il est essentiel de parvenir à rassurer les fonds d’investissement en ayant une réussite dans l’exécution. "Ce qui est attendu d’un entrepreneur, c’est un marché clair et l’exécution. Si on y parvient, on trouvera de l’argent. Nous avons toujours été on trac' sur le planning, les coûts alors qu’il y avait une forte inflation. Malgré la pénurie de matériaux, on a su livrer notre capsule à temps", reconnaît cette énarque, également diplômée de Sciences Po et de Normale Sup.

Pour rivaliser avec la concurrence mondiale et permettre à ces entreprises régionales de décoller, l’Europe doit changer de braquet et de logique sur le spatial, selon Jean-Marc Laurent. "Le spatial en Europe est largement conditionné par une culture historique des grandes agences (Cnes, Esa) qui définit un modèle plus tiré par la performance scientifique que par l’enjeu commercial. Ce sont deux schémas intellectuels qui s’opposent. En France, où la recherche de l’excellence prévaut sur les besoins du marché, on peine à passer à une économie spatiale concurrentielle. Certaines start-up, qui ne cherchent pas l’innovation absolue mais des modèles économiques agiles et réactifs tentent de casser cette logique, au risque de créer des incompatibilités avec les grands qui sont sous influence étatique", reconnaît l’expert pour qui le risque le plus critique est "de voir se désagréger l’Europe spatiale avec des pays plus ouverts à cette réalité économique qui feront bande à part ". En d’autres termes, pour aider les entreprises régionales, l’Europe doit prendre le risque de miser sur des projets de technologie de rupture, et accélérer la commercialisation de l’espace.

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