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Nicolas Leroy-Fleuriot (Cheops Technology) : « En entreprise, il faut des leaders qui tirent la locomotive »
Interview Gironde # Informatique # Innovation

Nicolas Leroy-Fleuriot PDG de Cheops Technology Nicolas Leroy-Fleuriot (Cheops Technology) : « En entreprise, il faut des leaders qui tirent la locomotive »

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Sur les circuits de course automobile comme dans les couloirs de Cheops Technology, son entreprise spécialisée dans les infrastructures informatiques sécurisées, c’est l’adrénaline qui fait avancer le Bordelais Nicolas Leroy-Fleuriot. La sensation de découvrir la technologie qui fera un carton demain le passionne autant que les aventures de Tintin. Rencontre avec un patron aussi visionnaire qu’impétueux.

Habitué à venir au bureau avec sa chienne Google, Nicolas Leroy-Fleuriot a décidé d’instaurer le « pet at work » dans son entreprise. Chaque salarié peut emmener son animal de compagnie — Photo : Cheops Technology

Le Journal des Entreprises : Vous annoncez des chiffres record pour l’exercice 2017-2018 avec 104 millions d’euros de chiffre d’affaires et 450 salariés. Comment Cheops Technology en est arrivé là ?

Nicolas Leroy-Fleuriot : J’ai été l’un des cofondateurs du groupe informatique Ares, on a fini avec un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros et 1 800 salariés. Quand j’ai quitté Ares au bout de 14 ans, j’ai failli faire une énorme erreur et arrêter l’informatique. Je pensais me tourner vers le business des avions ou des bateaux de luxe. Mais je reste persuadé que l’on ne fait jamais aussi bien que ce que l’on a toujours fait. Alors en 2004, j’ai racheté une petite boîte nantaise qui s’appelait Cheops Technology. Elle faisait à l’époque 2,8 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 16 salariés.

J’ai immédiatement transféré le siège de Cheops à Bordeaux. A force de croissance organique et de croissance externe - dont l’une des plus marquantes a été le rachat d'une partie du groupe Ares -, nous sommes devenus une entreprise nationale avec 450 collaborateurs et 200 clients en production. Avec notre gamme d’offre cloud, nous faisons un carton auprès des PME et ETI qui sont notre cible de prédilection.

Justement pensez-vous que le virage vers le cloud, qui a permis à Cheops Technology de prendre une nouvelle dimension ?

N. L-F. : Indiscutablement, c’est ce qui a déclenché notre succès. J’ai commencé à le pressentir en 2007, l’année où j’ai acheté ce terrain à Canéjan. J’ai réalisé qu’on allait être amenés de plus en plus à héberger les clients et leurs systèmes d’information. On a commencé par louer des mètres carrés de data centers chez SFR. Mais je voulais que l’on soit maîtres de notre destin sur toute la chaîne de valeur, donc j’ai lancé la construction de notre premier data center.

« On en est à la préhistoire de l’informatique. Imaginez ce qui va arriver dans les années à venir ! »

A cette époque-là, on parlait d’informatique mutualisée, mais nos amis américains, qui sont très forts en marketing, ont appelé ça le cloud ! Il s’agit de la mise en commun de moyens que les technologies permettent, tout en garantissant la totale étanchéité des environnements et des données de chaque client. En janvier 2010, nous avons lancé notre première offre de cloud et cela a été l’élément déclenchant l’accélération de Cheops. C’est ça mon métier : savoir aujourd’hui ce qui se vendra demain.

Alors, qu’est-ce qui se vendra demain ?

N. L-F. : Pour le savoir, je me rends à "La Mecque" de l’informatique, dans la Silicon Valley, plusieurs fois par an. Je visite régulièrement les laboratoires de HP ou Dell, cela me permet de savoir ce qui va sortir comme technologie et de faire évoluer nos services.

Pensez-vous que votre entreprise connaîtra un autre virage aussi stratégique que celui du cloud ?

N. L-F. : Évidemment. Des sujets commencent à émerger, comme l’intelligence artificielle. On commencera à expérimenter d’ici à deux ans des technologies d’IA pour gérer nos 3 data centers. Nous allons mettre en place des outils pour que, sur certaines fonctions, ils s’auto-administrent. Ce seront des logiciels qui exécuteront les paramétrages qu’un ingénieur aura défini.

L’autre rupture sera l’Internet des objets (IoT). On en est à la préhistoire de l’informatique, imaginez ce qui va arriver dans les années à venir ! Par exemple, HP Enterprise va sortir bientôt le Memrister, une technologie de stockage de données qui vous permet, sur un composant de la taille d’un timbre, de stocker l’équivalent de tous les livres de la Bibliothèque nationale de France. Ces technologies de stockage vont nous permettre de nouveaux usages qui participeront à la transformation numérique des entreprises.

Vous venez d’inaugurer votre nouveau siège à Canéjan, lui aussi très inspiré des « campus » de la Silicon Valley. Pourquoi ?

N. L-F. : Bordeaux est devenue une place très attractive, mais nous devions travailler notre propre attractivité dans le territoire. J’ai décidé qu’il nous fallait un immeuble de dernière génération à l’image de l’entreprise, et qui nous permette de développer le concept du bien-être au travail, pour que nos collaborateurs se sentent au travail comme chez eux. Nous avons installé des grands toboggans pour descendre des étages, une salle de sieste dans laquelle on a reconstitué la cabine de la fusée de Tintin, une salle de gym. Des spécialistes de la sophrologie et du yoga vont intervenir aussi pour prévenir le stress, le burn-out… On exerce des métiers à forte pression, avec des coups de bourre, donc on doit essayer de traiter ce stress.

« Aujourd’hui, avec les générations Y et Z, il faut non seulement expliquer quel est l’objectif, mais surtout pourquoi cet objectif. »

Dans le hall, j’ai fait installer une Ferrari de Formule 1 car je suis passionné de sport automobile et une reproduction de la fusée de Tintin de 7 mètres de haut. Je suis un tintinophile converti depuis mon plus jeune âge, je voulais partager mes passions avec mes collaborateurs. On a aussi mis en place le « pets at work », la possibilité de venir avec son animal de compagnie au bureau.

Comment envisagez-vous le management en 2018 ? Cela passe forcément par ce type d’initiatives ?

N. L-F. : Le management des générations Y et Z n’a rien à voir avec celui des générations précédentes. Aujourd’hui, il faut expliquer quel est l’objectif, mais surtout pourquoi cet objectif. A côté de cela, il faut donner beaucoup d’autonomie à ces nouvelles générations. Et, régulièrement, il faut les changer de mission pour qu’ils ne s’épuisent pas, car c’est la génération "zapping" ! Nous essayons d’anticiper ces besoins avec un budget formation colossal. Il représente 2 ou 3 % de la masse salariale.

Cela a-t-il aussi changé votre manière de diriger l’entreprise ?

N. L-F. : Je me suis formé au management de cette génération mais je ne suis pas un adepte de l’entreprise libérée. Je reste persuadé qu’il faut quelques leaders dans l’entreprise qui tirent la locomotive. Je dis souvent à mes managers qu’ils doivent un peu haranguer la foule pour que les gens les reconnaissent comme les leaders. Et surtout, il faut désormais manager par l’exemple.

Les problèmes de recrutement souvent évoqués par les entreprises du numérique bordelaises sont-ils une réalité pour vous ?

N. L-F. : Le marché de l’emploi dans le numérique est en tension partout. Il manque 30 000 informaticiens en France. L’arrivée d'Ubisoft ou d’autres dans le domaine du numérique ne nous touche pas directement, car nous ne recrutons pas les mêmes profils.

La taille de l’entreprise, le fait que le siège soit à Bordeaux, notre nouvel immeuble et notre visibilité au niveau national, tout cela nous rend attractifs. J’ai mis en place une politique du salaire non monétaire avec toutes les initiatives dont je vous ai déjà parlé (comme la salle de sport, la livraison de plateaux repas de qualité etc.) Nous avons les moyens de soigner les à-côtés !

Que manque-t-il à la métropole bordelaise selon vous ?

N. L-F. : Un grand contournement pour éviter les bouchons sur la rocade. Cela fait trop longtemps que l’on reporte le sujet. Il faut s’y mettre, sinon la ville sera congestionnée et limitée en termes de croissance du PIB, car elle ne pourra plus accueillir de nouveaux arrivants. Et vivement l’ouverture du pont Simone-Veil. Puis il faudrait d’autres emblèmes, comme la Cité du Vin ou encore le Musée Mer Marine de Norbert Fradin. Cela contribue au rayonnement de Bordeaux.

Existe-t-il des valeurs communes entre le sport automobile et le monde de l’entreprise ?

N. L-F. : Des tas ! Ma maxime c’est « anticiper, diagnostiquer, décider, agir ». Cela se retrouve dans l’entreprise et dans le sport automobile ! Les notions de cohésion d’équipe et de motivation sont essentielles dans les deux cas. La frontière pour moi entre le travail et le loisir personnel est inexistante. Cela fait longtemps que je travaille plus pour le plaisir et la passion que par obligation.

Vous aurez du mal à décrocher le jour où il faudra laisser les rênes de votre entreprise ?

N. L-F. : Certainement mais je n’y pense pas ! Tous mes copains qui se sont arrêtés avant l’heure ont pris dix ans en quelques mois. Quand je vois Bernard Magrez (à la tête d'une quarantaine de domaines viticoles, NDLR), il a l’esprit d’un homme de 40 ans alors qu’il en a 83 !

Justement, qui vous inspire ?

N. L-F. : Steve Jobs évidemment ! Je suis admiratif du retournement d’Apple. Mark Zuckerberg aussi. Au départ, je ne croyais pas du tout à Facebook. Aujourd’hui, je reconnais que c’est un outil indispensable, y compris professionnellement. Et évidemment j’admire que ce que font Jeff Bezos avec Amazon ou encore Elon Musk avec Tesla. Je trouve le personnage extrêmement attachant. Arriver à construire une boîte mondiale en partant de zéro dans une industrie extrêmement compétitive, c’est remarquable.

« L’utilisation militaire des robots, qu’il suffirait de programmer pour utiliser une arme, m’inquiète. »

Dans cette révolution permanente, certains aspects de la technologie vous effraient-ils ?

N. L-F. : Je suis fasciné par la robotique. Boston Robotics - qui est très en avance sur le robot humanoïde – a développé un robot qui se déplace comme un humain mais avec la force et la vitesse d’un robot. Tout cela va clairement remettre en cause les emplois à faible valeur ajoutée, il ne faut pas se leurrer.

L’utilisation militaire de ces robots, qu’il suffirait de programmer pour utiliser une arme, m’inquiète. Et il n’y en a pas pour longtemps. L’armée américaine est prête. On va voir demain des guerres gérées par les robots… jusqu’à ce que l’intelligence artificielle prenne le dessus, et cela va très vite, car l’auto-apprentissage de la machine est stupéfiant. Je crains que ce que l’on a vu dans les films de science-fiction des années 1970-80, où le robot prend le pas sur l’Homme, n’arrive un jour !

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