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Maison Sichel : « Les taxes américaines et le Covid nous impactent davantage que le Brexit »
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Allan Sichel PDG de Maison Sichel et vice-président du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux Maison Sichel : « Les taxes américaines et le Covid nous impactent davantage que le Brexit »

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Selon Allan Sichel, PDG de la maison de négoce Sichel et vice-président du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux, l’accord, sans taxe ni quota, avec le Royaume-Uni constitue avant tout « un immense soulagement » pour la filière viti-vinicole française. Demeurent des inconnues, notamment financières et relatives à la protection des appellations d’origine.

Allan Sichel, vice-président du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux est P-DG de Maison Sichel, société qui réalise 30 % de son chiffre d'affaires au Royaume-Uni. — Photo : CIVB/ JB Nadeau

Comment la filière vin a-t-elle vécu ces quatre années de négociations ?

Allan Sichel : Il faut avant tout rappeler l’enjeu que représente le marché du Royaume-Uni, troisième marché exportateur pour les vins de Bordeaux. Nos liens sont historiques avec les marchands de vins de la place de Londres qui excellent sur le grand export, notamment en direction de l’Asie et des États-Unis. Il faut savoir que la valeur des réexportations des vins de Bordeaux depuis le Royaume-Uni est plus importante que la valeur totale des importations de ces mêmes vins. Ils savent stocker les crus classés et assimilés, et apporter une forte valorisation à ces vins destinés à être réexpédiés. Par ailleurs, pour la consommation, toutes les appellations, sur toute la gamme, sont présentes au Royaume-Uni.

Vous ne nourrissiez donc pas trop d’inquiétudes ?

Nous n’avons pas craint d’appel au boycott, certes. En revanche, le marché du Royaume-Uni, si dynamique qu’il soit, est très ouvert. Notre position et nos parts de marché, n’y sont pas acquises. La concurrence y est très violente, notamment depuis une quinzaine d’années, avec les vins chiliens, argentins et australiens, mais également à l’intérieur de l’Europe avec les vins espagnols et italiens.

« Pour l’ensemble des vins de Bordeaux, 2020 a été une année favorable avec une progression de 7 %. Le Royaume-Uni est même devenu la première destination des blancs de Bordeaux. »

Maintenant que les accords sont actés, ne craignez-vous pas davantage cette grande ouverture du marché britannique ?

Il faut aussi savoir que les Britanniques sont très attentifs à la nouveauté et agissent à la manière de lanceurs de tendance. Le Royaume-Uni constitue un centre médiatique dont les répercussions de la presse spécialisée et des critiques sont mondiales. Pour l’ensemble des vins de Bordeaux, 2020 a d’ailleurs été une année plutôt favorable avec une progression de 7 %. Le Royaume-Uni est même devenu la première destination des blancs de Bordeaux. Covid et taxes américaines nous ont impactés bien davantage.

Le Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux a-t-il pesé sur les négociations ?

Bordeaux n’a pas un poids suffisant dans ce genre de négociations tellement lourdes. Nous avons fait valoir la filière française dans le cadre d’actions nationales ; tout cela sans avoir aucune idée des orientations qui étaient prises. Jusqu’au dernier moment, nous avons tenté de savoir, en vain. Nous espérions un deal, même s’il devenait de plus en plus improbable à mesure que le temps passait.

Le deal est donc une très belle façon de débuter l’année ?

C’est un grand soulagement. Le deal nous montre que tous, nous voulons trouver des manières de travailler intelligemment à plus de souplesse. À court terme, le deal ne change d’ailleurs pas grand-chose. Nous allons progressivement entrer dans les détails.

À moyen termes, redoutez-vous l’apparition de nouvelles contraintes ?

Nous savons qu’une période de latence de six mois va être observée, mais ensuite on ne sait pas, par exemple, ce qui va être exigé en termes de mentions obligatoires à faire figurer sur les étiquettes et contre-étiquettes. Il serait contraignant de devoir indiquer le nom de l’exportateur. Il faudra aussi être attentifs en termes de reconnaissance des AOC. Quoi qu’il en soit le Royaume-Uni sera souverain.

« Nous craignions que des kilomètres de convois ne se forment à la frontière, ça ne devrait pas être le cas. »

Des opérations de contrôles aux frontières, de dédouanement, de déclarations de douanes ne risquent-elles pas d’apporter de nouvelles lourdeurs administratives ?

La Maison Sichel (52 salariés, 30 M€ de chiffre d’affaires en 2020, NDLR) est habituée à travailler avec des pays hors Europe, nous disposons de ces compétences. Ce qui n’est pas le cas pour tous les opérateurs, notamment les plus petits. Pour eux, expédier quelques palettes au Royaume-Uni va être plus compliqué. Ce qui est rassurant c’est le nouveau process qui a été préparé en amont : un système centralisé des douanes britanniques qui permet de préparer le trajet, d’identifier le camion afin de fluidifier son passage à la frontière. Nous craignions que des kilomètres de convois ne se forment, ça ne devrait pas être le cas. Nos premiers camions sont passés sans trop d’encombres dès le 7 janvier. De leurs côtés les grands groupes au Royaume-Uni ont l’habitude d’importer des quatre coins du monde. Mais là-bas aussi, pour les plus petits, c’est compliqué. Certains de nos clients britanniques sont déjà revenus vers nous pour que nous les assistions dans les démarches. Nous sommes en phase de transition, nous les aidons bien sûr, mais ça ne devrait pas être à nous qu’incombe cette contrainte commerciale !

Dans ce contexte de mise en place des nouvelles règles, anticipez-vous des baisses d’exportations outre-Manche ?

Non, la consommation et l’attrait des vins de Bordeaux restent soutenus. Notre crainte est ailleurs, du côté de la performance du marché britannique. Le taux de change est le véritable enjeu du Brexit.

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