Bordeaux
"Financer les mesures de prévention pour les entreprises plutôt que de distribuer des subventions"
Interview Bordeaux # Juridique

Jean-Marie Picot président du tribunal de commerce de Bordeaux "Financer les mesures de prévention pour les entreprises plutôt que de distribuer des subventions"

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Depuis décembre 2019, Jean-Marie Picot préside le tribunal de commerce de Bordeaux. Confronté à la baisse du nombre de procédures de défaillance d’entreprise, il tire la sonnette d’alarme et incite les dirigeants à anticiper leurs problèmes de trésorerie.

Jean-Marie Picot, président du tribunal de commerce de Bordeaux — Photo : Astrid Gouzik

Considérant l’activité du tribunal de commerce, quel regard portez-vous sur l’économie girondine actuellement ?

En ce moment, l’argent coule à flots. Beaucoup d’entreprises en grande difficulté, qui sont parfois même passées du côté des zombies, sont soutenues par des fonds publics. Notre activité de régulateur des défaillances lourdes a baissé de 40 % par rapport à 2018. Le tribunal de commerce de Bordeaux traite sur une année pleine normale environ 1 100 procédures de défaillance d’entreprise (sauvegarde, redressement, ou liquidation). Cette année, nous devrions connaître entre 600 et 700 procédures collectives. Cette baisse est considérable.

Il y a de plus en plus de créations d’entreprises donc mécaniquement, il devrait y avoir beaucoup plus de défaillances. Ce n’est pas le cas et cette anomalie vient des aides.

Êtes-vous inquiet pour les mois à venir ?

Oui, je suis inquiet pour l’avenir. Il va y avoir un grand ménage à faire dans l’intérêt de tous. La question qui va se poser c’est combien d’entreprises seront capables de rembourser ces aides ? Et si elles ne remboursent pas, que se passera-t-il ? Parce qu’une dette, cela se rembourse.

On prédit depuis plusieurs mois un " mur " de défaillances qui n’arrive pas… Comment l’expliquez-vous ?

Parce que les robinets des aides ne sont toujours pas fermés. Et je ne vois pas grand-chose évoluer favorablement pour le moment. Plus on repousse l’échéance, plus il y aura de défaillances en cascade.

Observez-vous une hausse du nombre de mesures de prévention ?

Concernant ces mesures, le mandat ad hoc et la conciliation, nous traitons plus de dossiers mais malheureusement pas encore assez. Nous en traitons une centaine par an, il faudrait monter à 300 ou 400. Ce sont des procédures remarquables qui affichent un taux de réussite de 75 %.

Elles présentent, à mon avis, un seul problème, leur coût. Toutes les entreprises ne peuvent pas s’offrir la prestation d’un conciliateur ou d’un mandataire ad hoc. Ce serait bien que les pouvoirs publics se mobilisent pour financer de telles opérations plutôt que de distribuer des subventions sans contrôle.

Quelles autres solutions s’offrent aux entreprises qui rencontrent, ou vont rencontrer, des difficultés ?

Elles peuvent venir au tribunal pour dire : "Je vais être ou je suis en défaillance et j’ai l’intention de m’en sortir. Je viens solliciter la protection du tribunal ". Cela se fera dans le cadre de la sauvegarde ou du redressement judiciaire. Il ne faut pas avoir peur de ces procédures non plus, ce sont des actes de gestion qui ont vocation à aboutir au même résultat : stopper la dégringolade de l’entreprise en lui offrant un moment de répit afin d’élaborer un plan de sortie de crise. Il serait intéressant que ces procédures de sauvegarde et redressement soient, comme le mandat et la conciliation, confidentielles. Ce serait un levier supplémentaire.

Le maître mot, c’est l’anticipation. Si le chef d’entreprise vient deux mois trop tard, tout peut basculer très vite. Il faut que les chefs d’entreprise sachent qu’ils ne risquent rien à venir dans un tribunal de commerce, au contraire ils y trouveront écoute et réponses.

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