Gironde
Edouard Bentéjac (Alliance Forêts Bois) : "Les incendies auront des conséquences économiques pour toute la filière"
Interview Gironde # Agriculture # Conjoncture

"Les incendies auront des conséquences économiques pour toute la filière"

S'abonner

Plus de 27 000 hectares de la forêt des Landes de Gascogne ont été victimes des incendies cet été. Alors que plusieurs nouveaux départs de feu ont été recensés ce mercredi 25 août dans le Médoc et que la vigilance est encore de mise, le président d’Alliance Forêts Bois, première coopérative forestière de France (43 000 adhérents), dresse une première estimation des conséquences économiques de ces évènements.

Edouard Bentéjac, président d'Alliance Forêts Bois — Photo : Alliance Forêts Bois

Plus de 27 000 hectares de forêt ont brûlé cet été. A-t-on pu établir un périmètre précis des conséquences économiques et matérielles de leur impact ?

Édouard Bentéjac, président d’Alliance Forêts Bois : La forêt des Landes de Gascogne est privée à plus de 90 %, plusieurs centaines de propriétaires ont été impactées, on doit même se rapprocher des 1 000. Ils sont en quasi-totalité privés. Il y a des conséquences économiques et écologiques. Du point de vue économique, des propriétaires ont plus ou moins tout perdu. Des entreprises n’ont pas travaillé pendant un mois et demi. Les industriels ont aussi connu une absence de bois pendant la période. Les estimations sont en train de s’affiner, mais on estime aujourd’hui à 40 % les bois non-marchands calcinés. Le secteur a été très abîmé par la tempête en 2009 et ça n’a pas été reboisé tout de suite, les bois sont encore jeunes.

Les entreprises, scieries comprises, n’ont pas pu être alimentées parce qu’on ne pouvait pas sortir le bois. Elles commençaient juste à rouvrir cette semaine après un mois d’août plus calme où elles tournent moins, elles vont recommencer à être approvisionnées mais il y a quand même un gros trou, et les événements ont démarré mi juillet… Il y aura des conséquences économiques pour toute la filière qu’il est encore très difficile d’évaluer à ce jour. Il y a déjà des retours sur l’impact dans les travaux sylvicoles et les exploitations. On espère qu’il sera le moins important possible.

Concernant le bois incendié, a-t-on déjà une idée de ce qu’il sera possible de récupérer ou pas ?

Édouard Bentéjac, président d’Alliance Forêts Bois : Ça dépend de l’état de ce bois. Dans le bois incendié, on retrouve du bois qui a été léché par le feu et du bois qui a été brûlé à de multiples reprises et qui n’est donc plus exploitable. Nous n’avons pas encore le recul pour déterminer dans quelles proportions il le sera. C’est aussi une question de classe d’âge du bois : entre 0 et 12 ans, ce n’est pas exploitable ni en bois énergie ni en papeterie. C’est de la perte sèche. Concernant le bois marchand, à partir de 12 ans, s’il n’a pas trop brûlé - ce qui à mon avis sera le cas en majorité - il pourra être exploitable, à condition de pouvoir l’extraire de la forêt rapidement. Or, ce n’est pas possible pour l’instant parce que nous sommes dans une période encore très sèche et qu’on ne peut pas rentrer dans les parcelles avec les camions, les débardeurs et les abatteuses. Le feu est encore sous-jacent et risque de repartir. Si on peut y aller dans les semaines qui viennent, le bois ne se sera pas trop abîmé et sera certainement marchand. Les conséquences économiques en seront peut-être atténuées. Si on attend trop, il développera des champignons et des maladies et on ne pourra pas le valoriser aussi bien. Le temps va jouer. Nous sommes dans les starting-blocks. Nous avons des discussions avec les mairies pour nous organiser, histoire d’établir un quadrillage et de sortir les bois les plus marchands en premier.

Quels seront les débouchés possibles pour ce bois ?

Édouard Bentéjac, président d’Alliance Forêts Bois : Les arbres de moyenne circonférence, de 12 à 30 ans, partiront principalement en papeterie, ce qui est d’ailleurs généralement aussi le cas du bois non-incendié. Pour les plus gros bois, ça dépendra de leur état. Ils pourront partir en sciage ou en papeterie. Il peut aussi y avoir du bois énergie sur les plus jeunes. Mais certains endroits ont brûlé plus profondément que d’autres. Sur le premier incendie de Landiras (Gironde), certaines parties ont été incendiées plusieurs fois à cause du vent qui tournait.

Attendez-vous des mesures particulières de la part du gouvernement ?

Édouard Bentéjac, président d’Alliance Forêts Bois : Des annonces ont été faites quand le président Macron est venu sur les lieux cet été. Nous avons demandé que ces parcelles sinistrées puissent être prises en compte dans le plan de relance lié aux assises de la forêt pour aider au reboisement des parcelles malvenantes (mal entretenues, NDLR.). Nous souhaiterions que les parcelles incendiées puissent être incluses pour aider les sylviculteurs sinistrés. On ne parle pas des pertes d’exploitation sur les années à venir, juste qu’ils puissent reconstituer la forêt. On suit ça de près.

Avec les importantes fluctuations du marché du bois depuis la crise sanitaire et des prix du bois qui ont augmenté (+34 %), le cours du bois local ne risque-t-il pas d’être impacté avec cette matière en partie calcinée à écouler ?

Édouard Bentéjac, président d’Alliance Forêts Bois : C’est toute la question. Malgré tout, on pense que le marché va se tenir parce qu’il y a quand même une forte demande au niveau national. Alliance Forêt Bois exporte moins de 1 % de ce qu’elle vend, soit quelques bois de mauvaise qualité qui ne trouvent pas preneur en France. Il y a une forte demande pour le papier, la menuiserie et les autres débouchés. Avec le bois incendié, on pourra certainement alimenter tous les marchés les premières semaines mais le bois va quand même se dégrader au fur et à mesure du temps. On ne pourra pas sortir 27 000 hectares de bois en 15 jours, nous n’avons ni les machines ni les moyens humains pour ça. Nous allons faire notre possible. Heureusement, nous entrons dans la période hivernale, ce qui favorise moins les venues de maladie. Cela dit, le marché devrait rester assez stable en raison de cette demande qui reste forte. Nous devrons quand même alimenter le marché avec du bois vert parce que les industriels ne nous prendront pas que du bois incendié. Les discussions ont déjà démarré concernant les ratios d’alimentation de l’industrie. Nous souhaiterions panacher pour faire en sorte que le marché se tienne, mais on veut aussi que les industriels nous prennent le bois incendié.

Dans un communiqué publié ce 25 août, la préfecture de Gironde indique que l'incendie de La Teste-de-Buch est éteint et que "les restrictions d'accès aux massifs forestiers sont progressivement levées, à l'exception de quelques communes sur le secteur d'Hostens" (neuf communes concernées). La Gironde reste toutefois placée en vigilance orange pour les feux de forêt et "les activités forestières sont interdites entre 14h et 22h".

Gironde # Agriculture # Industrie # Banque # Services # Conjoncture