Gironde
Comment Monsieur TShirt est passé à la taille supérieure
Gironde # Textile

Comment Monsieur TShirt est passé à la taille supérieure

S'abonner

Passé d'un local aux puces de Saint-Ouen à un site de production de 1 000 m2 à Lormont (Gironde), la PME bordelaise Monsieur TShirt a habilement géré son changement d'échelle. L'entreprise, initialement spécialisée dans la vente de tshirts en ligne, s'est diversifiée, a investi dans un système d'information développé en interne et a fait rentrer un fonds d'investissement régional à son capital.

— Photo : Astrid Gouzik/JDE

Vu du premier étage du bâtiment situé à Lormont, en Gironde, c’est à s’y méprendre. Un flipper estampillé Jurassic Park, un bar, un grand écran, du mobilier tendance… La douce rengaine « esprit start-up » retentit déjà à nos oreilles. Mais le refrain est couvert par la lancinante mélodie des machines qui tournent à plein régime, en contrebas de ce hangar occupé par la société Monsieur TShirt. Les machines à broder et à imprimer les t-shirts côtoient des rayonnages dignes d’un (petit) entrepôt logistique. « Notre préoccupation principale, c’est le flux tendu. Cela fait sept ans qu’on bosse pour l’optimiser », s’empresse d’expliquer Vincent Péré, son PDG. Des poncifs du jeune startuper, il ne partage, à la limite, que le look de trentenaire décontracté. « On a une gestion prudente, de bon père de famille. On cherche à maintenir une croissance constante et régulière », commente-t-il. Le ton est donné.

Lorsqu’ils créent Monsieur TShirt, en 2013, les frères Vincent et Arnaud Péré et Simon Cagna veulent répondre à un besoin simple, le cadeau de dernière minute, et se positionnent sur le créneau du message rigolo imprimé sur un t-shirt, vendu sur internet. « On a commencé avec deux machines d’impression numérique, dans un petit local aux puces de Saint-Ouen. On en a passé des soirées à imprimer nous-mêmes les vêtements », se souvient Vincent Péré. Cinq ans plus tard, leur petite entreprise branche ses machines en Gironde, dans cet entrepôt de 1 000 mètres carrés, emploie de 15 à 45 personnes selon la saison. En 2019, la PME a réalisé un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros qui devrait être en progression en 2020, malgré la crise sanitaire.

Le défi de la personnalisation

Il faut dire qu’entre temps, l’entreprise a changé de dimension. En période creuse, 1 500 pièces sont expédiées quotidiennement, jusqu’à 5 000 pendant les fêtes de fin d’année. La société a dû faire d’importants efforts de structuration pour continuer à tenir sa promesse initiale : toute commande passée avant 13h30 sur le site est livrée le lendemain. Puis Monsieur TShirt décide de se diversifier, de ne plus se limiter à ce qui a inspiré son nom. Les trois associés investissent aussi dans des machines à broder et offrent la possibilité à leurs clients de personnaliser leurs commandes. Autant d’explications à leur obsession du flux tendu, une méthode d'optimisation de la production consistant à n’immobiliser aucun stock de produits finis afin de réduire les coûts. Les vêtements, chaussettes, caleçons et bodys pour bébés sont stockés « vierges » sur le site de production puis chacun est personnalisé à la commande pour être le plus flexible possible.

En 2017, pour accompagner ces changements, l’entreprise lance en interne un vaste chantier de refonte de son système d’information. « Trois développeurs ont travaillé dessus pendant deux ans. Le retour sur investissement en vaut largement le coût. On est très agiles, on ne dépend pas d’un ERP hyper lourd, et on n’a pas besoin d’attendre un prestataire pour faire une modification sur le site par exemple », soutient Vincent Péré. Par la même occasion, l’entreprise peaufine son logiciel de picking afin d’optimiser le parcours du produit et ainsi assurer les délais de livraison.

Monsieur Tshirt mise sur le BtoB pour lisser l'activité de son atelier au fil de l'année. — Photo : Astrid Gouzik/JDE

Galia Gestion entre au capital

Fin 2018, l’entreprise arrive sur une fin de cycle. En activité depuis cinq ans, elle a rapidement rencontré la rentabilité et cherche désormais à se consolider. La décision est prise de faire entrer un nouvel actionnaire par une opération de « cash out ». Le fonds d’investissement bordelais Galia Gestion entre au capital à hauteur de 15%, via son activité de capital développement. « Ils nous ont aidé d’un point de vue financier, nous avons amélioré notre rentabilité. Depuis leur arrivée, nous avons réalisé 2 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires », détaille Vincent Péré. « Lorsqu’ils nous ont contactés, on a découvert une belle entreprise, organisée, en croissance, avec trois dirigeants très complémentaires qui se challengeaient mutuellement. Pour nous, c’est assez rare, on est habitués aux petites boîtes avec un dirigeant omnipotent », raconte Pierre Arnaud, directeur des participations chez Galia Gestion. Débute alors un travail de fond pour affuter la stratégie de la PME (lire ci-dessous).

"On a découvert une belle entreprise, organisée, en croissance, avec trois dirigeants très complémentaires qui se challengeaient mutuellement."

L’un des leviers de développement ciblé est alors le B to B. Actuellement, le marché dédié aux professionnels compte pour 20 à 25% de l’activité totale de Monsieur TShirt. D’un côté, des commandes corporate pour des entreprises ou des associations, de l’autre des collections pour des enseignes de la grande distribution, à l’instar d’Intersport, Leclerc ou Carrefour, pour lesquels ils travaillent en tant que studio de création et de production. « A la période creuse pour nous, en septembre et octobre, on produit pour ces enseignes qui préparent déjà Noël. Cela nous permet de lisser un peu notre activité au fil de l’année », explique le dirigeant. « Leur expérience du flux tendu est un gros atout pour le B to B. Les clients n’ont pas à s’engager sur des gros volumes et ils sont livrés rapidement. Ils sont sûrs de faire de la marge dessus », analyse de son côté Pierre Arnaud.

Un impératif environnemental

Plus récemment, l’entreprise a lancé une nouvelle gamme de vêtements recyclés, « Filgood ». Cette collection, constituée à 50% de coton bio et 50% de polyester recyclé, est fabriquée au Portugal. Pour chaque t-shirt, quatre bouteilles en plastique sont recyclées. « Le t-shirt coûte deux fois plus à produire, notre marge est moins importante, mais on ne le fait pas à perte évidemment », détaille Vincent Péré. Un engagement environnemental qui semblait inévitable alors que l’industrie textile du coton est l’une des plus polluantes au monde. Depuis sa création, l’entreprise n’achète à son grossiste belge que des t-shirts en coton biologique, produits en Asie. Mais Monsieur TShirt n’a jamais voulu exploiter ce filon marketing, pas plus que celui du Made in France. « Selon les lois françaises, on pourrait estampiller nos produits Made in France. On n’a jamais voulu jouer avec ça, notre message a toujours été clair : on transforme en France », insiste le dirigeant.

Dans les locaux de Lormont, en plein « rush » avant les fêtes de fin d’année, les opérateurs s’activent. Alors que la France se retrouve de nouveau confinée, le report sur les sites e-commerce devrait profiter à la PME girondine, comme lors du premier confinement. Mais les jeunes dirigeants gardent la tête froide… une gestion de bon père de famille, on vous a dit.


Un fonds d’investissement pour consolider la croissance
Témoignage de Pierre Arnaud, directeur des participations chez Galia Gestion

« Lorsque Galia Gestion est entré au capital de Monsieur TShirt, nous avons d’abord été convaincus par les dirigeants. Ils sont venus nous voir, très simples, avec des chiffres superbes pour une jeune entreprise, en nous disant qu’ils n’avaient pas la science infuse et qu’ils avaient besoin qu’on les conseille. On préfère s’associer à des gens qui nous écoutent. Les résultats étaient bons, l’entreprise était structurée, il fallait préserver ce qui fonctionnait bien, comme leur faible besoin en fonds de roulement. Leur grande force est de produire ce que le client demande, de ne pas avoir de stock et de personnaliser les produits à volonté. Leur service création est crucial, il ne fallait pas toucher à tout ça. Je les ai simplement poussés à aller plus loin. Ils ne savaient pas exactement où ils gagnaient de l’argent, ni pourquoi cette année était meilleure que la précédente. Je les ai incités à développer un outil de reporting sur leurs trois activités (e-commerce, B to B et retail physique, NDLR). On a créé un thermomètre fiable qui permet, tous les mois, de déterminer quelle activité gagne de l’argent et pourquoi. Si vous découvrez vos résultats six mois après la fin de l’exercice, vous êtes morts. Pour piloter un bateau, il faut savoir précisément où l’on va. On se nourrit des indications de ce thermomètre pour aiguiller la stratégie. Pourquoi les marges baissent ? Sur quels produits ? Où sont les gisements de valeur ? On a par exemple découvert que le coût du marketing avait augmenté drastiquement entre fin 2018 et 2019, notamment à cause des adwords et de Facebook. Pourtant, c’était moins efficace. L’outil a permis de détecter cela très vite. Les dirigeants de Monsieur TShirt ont ensuite énormément travaillé dessus et ont redressé cet indicateur de manière surprenante. »

Gironde # Textile