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Comment les vins de Bordeaux virent au bio
Enquête Gironde # Culture

Comment les vins de Bordeaux virent au bio

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La production biologique représente aujourd'hui 7 % de la production totale des vins de Bordeaux (6 100 viticulteurs, 112 000 hectares de vignes, 65 appellations d'origine contrôlée). Une part obtenue en une dizaine d'années et qui connaît une croissance régulière. Plus exigeante techniquement qu'en culture conventionnelle, gourmande en main-d'oeuvre, cette production trouve actuellement ses débouchés, soutenue par une demande forte des cavistes et de la grande distribution.

Les vignerons des Côtes de Bordeaux exploitent 15 % de leur vignes en agriculture biologique, contre 7 % pour l'ensemble des vins de Bordeaux — Photo : AOC Côtes de Bordeaux

Amphithéâtre de Sciences Po Bordeaux, à Pessac. Dans le cadre de la mission Bordeaux Métropole 2050, une table ronde réunissait, fin janvier, les maires de Pauillac, Bergerac et Cognac, ainsi que le président du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB) sur le thème de la viti-viniculture en 2050. Au milieu des échanges, la question de la production de vin biologique s'impose rapidement. Ainsi apprenait-on de Daniel Garrigue, maire de Bergerac, que sa ville ambitionnait de voir son vignoble converti à 100 % en bio à cette échéance, contre 17 % aujourd'hui.

« Cette idée, ce défi, c'est une démarche sur laquelle nous travaillons beaucoup », confie le maire, bientôt rejoint par son homologue de Pauillac. « La démarche d'une appellation totalement bio est engagée sur notre commune », renchérit ainsi le maire Florent Fatin. De quoi faire réagir le public : « Et donc que va-t-on boire en 2050 ? Le vin sera-t-il bio partout ? »

Le label AB et tous les autres

Nul ne peut vraiment avancer de réponse. Les exploitations girondines sont pleinement engagées dans la dynamique nationale en faveur de l'agriculture bio. En 2016, l'Agence Bio plaçait la Gironde en première place en termes de nombre de producteurs de vin bio (481), devant le Vaucluse et l'Hérault. Et en deuxième position en termes de surface (8 010 hectares), derrière le Vaucluse. Un an plus tard, les exploitations étaient au nombre de 532 pour 8 700 hectares.

« La progression du vin bio est une tendance de fond, pas un effet de mode. »

« À cela, il faut ajouter les autres modes de production responsables. En 2014, 35 % du vignoble des vins de Bordeaux était engagé dans une démarche environnementale. En 2017, ce taux est passé à 60 % et notre objectif est de 100 % », affiche Allan Sichel, président du CIVB, évoquant les viticultures biologique, biodynamique, intégrée et raisonnée, et leurs labels AB, Demeter, Terra Vitis, Area, Agri Confiance et RSE Agro. La nouveauté sur les étiquettes, c'est aussi l'apparition de la certification HVE, pour Haute Valeur Environnementale, et son logo représentant un vignoble survolé d'un papillon. Là encore les chiffres indiquent une dynamique vertueuse : le nombre d'exploitations certifiées HVE est passé de 212 à 241 entre 2017 et 2018 en Gironde.

« Il y a aussi tous les avant-gardistes qui font du bio depuis plus de quinze ans sans le déclarer, travaillant déjà avec le cahier des charges de leur appellation plus ou moins contraignant », précise Patricia Zabalda, directrice de l'Union des Côtes de Bordeaux, qui rassemblent cinq AOC et produit 15 % de bio. Ce taux deux fois plus élevé que la moyenne des vins de Bordeaux s'explique, selon Patricia Zabalda, par la nature des exploitations, à plus de 90 % d'entre elles familiales, d'une moyenne de 12 hectares, et par leur proximité avec le client particulier.

Davantage de main d'œuvre

Yannick Sabaté, vigneron à Saint-Magne-de-Castillon, au château Fontbaude, a obtenu la certification Agriculture Biologique de ses 19 hectares en 2012. « Travailler en bio remet en cause certaines de nos pratiques et augmente le stress, notamment les années de fortes pression de mildiou (maladie de la vigne, NDLR), comme en 2018 », explique celui qui estime, par ailleurs, à 20 %, la part de main-d'œuvre supplémentaire en bio par rapport au conventionnel.

« Passer au bio demande d'avoir la capacité de le faire, techniquement et commercialement. »

Selon l'Agence Bio, le nombre d'emplois créés en bio connaît une croissance annuelle moyenne de +9,5 % depuis cinq ans. Le recensement agricole de 2010 indiquait que les fermes biologiques emploient en moyenne 2,41 UTA (unité de travail annuel) contre 1,52 UTA en conventionnel. Les écarts entre bio et conventionnel les plus élevés étant notamment observés dans la viticulture, avec 3,5 UTA.

Un marché du bio qui explose

Toujours selon le groupement d'intérêt public, en France, entre 2013 et 2015, le marché français du vin bio augmentait de 33 %, pour représenter en 2016, 792 millions d'euros d'achats par les ménages français. « La progression du vin bio est une tendance de fond, pas un effet de mode », reconnaît Éric Yung, directeur général de la Maison Johanès Boubée, centrale d'achat de vin du groupe Carrefour, basée à Bordeaux. « C'est un marché stratégique pour nous, qui a connu en 2018 une évolution de 18 % en valeur et 13 % en volume, quand la consommation en vin conventionnel régresse. » Entre 2022 et 2025, dans le cadre de sa stratégie "Act for Food", Carrefour souhaite porter la part du bio de 3,5 % de ses ventes à 10 %. « Il n'y a pour le moment pas assez de production. Nous cherchons de nouvelles appellations, de nouveaux partenariats et accompagnons des conversions », poursuit Éric Yung.

« La demande est tellement forte qu'elle incite des jeunes à reprendre. Certains par conviction, d'autres pour des raisons économiques. Mais passer au bio demande d'avoir la capacité de le faire, techniquement et commercialement. Il faut être bien accompagné sur ces deux parties », tempère pour sa part Stéphane Becquet, de l'association Vignerons Bio Nouvelle Aquitaine, lequel redoute que des nuages viennent assombrir cette embellie. « La filière se construit. Il n'est pas évident pour tous les vignerons de discuter avec les gros acheteurs. Restons attentifs aux coûts de production. Le bio pas cher, c'est l'assurance d'aller dans le mur. »

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