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Comment le discret Tehtris se fait un nom dans la cybersécurité
Gironde # Informatique # Levée de fonds

Comment le discret Tehtris se fait un nom dans la cybersécurité

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C’est la quadrature du cercle pour les jeunes pousses de la défense : trouver les fonds nécessaires pour financer leur croissance tout en conservant leur indépendance et en garantissant leur souveraineté. La PME Tehtris, experte en cybersécurité et cyberdéfense basée à Pessac (Gironde), est parvenue en novembre à lever 20 millions d’euros. Un record pour le secteur en France, une prouesse pour les deux fondateurs, Elena Poincet et Laurent Oudot.

Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine, s'est rendu dans les locaux de l'entreprise de cybersécurité Tehtris, à Pessac, aux côtés de ses dirigeants Laurent Oudot et Elena Poincet — Photo : Astrid Gouzik - Le Journal des Entreprises

« En 1997, un jour je suis allé voir mes professeurs et je leur ai montré que j’avais trouvé comment couper le réseau internet mondial », se souvient Laurent Oudot, directeur de la technologie de Tehtris (60 salariés, 3,5 M€ de CA en 2019). Ce qui pourrait paraître anecdotique en dit long, en réalité, sur l’histoire de la discrète start-up, spécialisée dans la cybersécurité et la cyberdéfense. Basée à Pessac, en Gironde, au sein de la société d’économie mixte locale (SEML) Route des lasers, la jeune pousse est depuis quelques semaines sous le feu des projecteurs.

Après une visite du président de la Région Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, dans les locaux de l’entreprise, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire lui-même y est allé de son message de félicitations et de soutien. Il faut dire que, pour sa première levée de fonds, Tehtris n’a pas fait les choses à moitié. Début novembre, l’entreprise a annoncé avoir bouclé une levée de fonds de série A de 20 millions d’euros, un record pour la cybersécurité française.

Une expérience forgée à la DGSE

Mais ce qui impressionne, c’est autant le montant de ce tour de table que la genèse de Tehtris, digne d’une bonne série Netflix. Elena Poincet et Laurent Oudot, les cofondateurs, endosseraient les rôles principaux. Elena Poincet a passé quatorze ans au sein de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en tant qu’experte opérationnelle dans la gestion et la conduite d’équipes spécialisées. « J’ai rencontré Laurent en 2009 pour une mission à l’étranger, j’avais besoin d’un cyber-espion », relate-t-elle. Prodige de l’informatique, Laurent Oudot raconte volontiers son parcours. Adolescent passionné d’échecs, il bat l’entraîneur du champion Garry Kasparov, alors en visite à Bordeaux. Un peu plus tard, étudiant à l’Enseirb-Matmeca, il est à l’origine de la création de la filière « cybersécurité » de l’école d’ingénieurs située à Talence.

Après plusieurs années sur le terrain, tous deux décident de quitter la DGSE et, en 2010, créent leur société. « Nous faisions des tests d’intrusion. On essayait d’aller chercher des documents sensibles dans les ordinateurs de nos clients », explique Elena Poincet. Ils en arrivent rapidement à un douloureux constat : les systèmes informatiques sont bourrés de failles. « Un samedi matin, en 2012, on était assis à la table de la cuisine, on a compris qu’on ne pouvait pas se contenter de pointer des problèmes, il fallait proposer des solutions », explique la PDG. Germe alors l’idée de ce qui deviendra la plateforme XDR (eXtended Detection and Response) capable de détecter et de neutraliser en temps réel et de manière automatisée des menaces numériques connues et inconnues dans les infrastructures d’entreprises. « Les virus sont arrêtés et automatiquement détruits. Notre intelligence artificielle découvre des choses qu’un humain ne pourrait pas trouver », insiste Elena Poincet. L’offre de Tehtris est hébergée chez OVH à Roubaix et à Strasbourg, afin de garantir une sécurité maximale.

Des concurrents de poids

D’un point de vue technologique, Tehtris fait de l’orfèvrerie et peut se targuer de n’avoir perdu aucun client en sept ans. Mais l’entreprise souffre d’un lourd déficit de notoriété sur un marché où ses concurrents s’appellent Microsoft, Cisco ou encore CrowdStrike. Les deux fondateurs veulent offrir plus de visibilité à leur solution et accompagner son déploiement à l’étranger, en Europe dans un premier temps.

« Nous avons préparé la levée de fonds pendant deux ans et demi, détaille Laurent Oudot. Nous avons d’abord rencontré discrètement certains investisseurs. Nous voulions trouver des personnes capables d’accompagner nos ambitions de croissance, comme des fonds sectoriels ». C’est auprès d’Ace Management, accompagné d’Open CNP (fonds de corporate venture de CNP Assurances), du fonds régional Nouvelle-Aquitaine Co-Investissement (Naco) et de business angels que Tehtris réalise sa levée de 20 millions d’euros.

Ace Management, fonds spécialisé dans l’aéronautique dirigé par Marwan Lahoud, ancien directeur général du groupe Airbus, a pris le "lead" dans ce tour de table via son fonds dédié à la cybersécurité Brienne III. Celui-ci est déjà au capital d’entreprises telles que l’éditeur de logiciels Egérie ou encore Trust in Soft. « Nous recherchions de la 'smart money’ (de l’accompagnement en plus de l’investissement, NDLR) et des équipes dédiées pour nous aider à élaborer notre business plan. Nous avons monté un comité avec les investisseurs, nous ne sommes plus seuls. Évidemment, il y a un effet de dilution pour nous mais cela nous permet de montrer au marché qu’on a une vraie assise avec des investisseurs solides », détaille Laurent Oudot. « Nous recherchions également une proximité avec notre région, ce que nous avons trouvé avec Naco. »

Courtisés par des fonds étrangers

Surtout, Tehtris a résisté aux appels du pied de sociétés étrangères. « Nous avons repoussé beaucoup d’offres d’achat, provenant d’Israël notamment », glisse Elena Poincet. Une situation connue par nombre de start-up du domaine de la défense et du renseignement, régulièrement courtisées par des fonds étrangers, plus structurés pour des mises importantes. La pépite pessacaise a réussi à ne s’entourer que d’investisseurs tricolores, une donnée cruciale pour les deux dirigeants qui ont dédié une partie de leur vie à servir leur pays.

Et un atout stratégique pour la France alors que les cyberattaques ont quadruplé pendant la crise du Covid-19, selon la Gendarmerie nationale, avec les entreprises en première ligne. « Y compris les TPE et PME, insiste Laurent Oudot. Les outils traditionnels comme les antivirus ou les firewall ne sont plus à la hauteur de la menace du moment. L’espionnage ou le sabotage, cela peut toucher tout le monde. » Et selon l’ingénieur, la crise sanitaire pourrait avoir d’importantes conséquences sur la cybersécurité mondiale. « On observe une modification des comportements, notamment dans certains grands groupes, qui veulent ralentir leurs investissements à ce niveau ». Alors que le développement du télétravail et l’accélération de la transformation numérique des entreprises nécessiteraient justement de maintenir, si ce n’est d’augmenter, les investissements dans des dispositifs de cyberdéfense.

Pour répondre à ces nouveaux besoins, Tehtris ambitionne de créer plusieurs centaines d’emplois sur trois ans, dont 90 à Bordeaux en 2021, afin de renforcer ses équipes marketing, commerciales et techniques. Quelques jours à peine après l’annonce de la levée de fonds, Laurent Oudot confiait avoir reçu plus de 600 CV… Comme quoi, la discrète entreprise bordelaise commence à se faire un nom !

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