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Comment la Nouvelle-Aquitaine se prépare à se passer du diesel
Enquête Nouvelle-Aquitaine # Industrie # Politique économique

Comment la Nouvelle-Aquitaine se prépare à se passer du diesel

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La flambée du prix du pétrole, conjuguée aux tensions liées à l’approvisionnement en hydrocarbures et à l’urgence climatique : tout semble sonner la fin du diesel dans les transports. En Nouvelle-Aquitaine, les filières se structurent, notamment autour des batteries et de l’hydrogène, sous l’impulsion de la Région. S’illustrera-t-elle comme pionnière du zéro diesel ?

ACC, coentreprise entre Stellantis, Saft et Mercedes-Benz, dispose de deux sites en Nouvelle-Aquitaine et y emploiera près de 700 personnes fin 2022 — Photo : ACC

Un litre pour 2,17 euros. Mi-avril 2022, dans une station-service de l’agglomération bordelaise, le prix du litre de diesel flambe, comme sur l’ensemble du territoire français. D’urgences climatiques en crises géopolitiques, la nécessité de préparer l’après diesel se fait impérieuse. La "dédiésélisation". Le néologisme est martelé, depuis presque 10 ans, par Alain Rousset, le président de la Région Nouvelle-Aquitaine, qui en a fait une priorité de sa politique environnementale, économique et industrielle. À chaque recoin du territoire aquitain, il y veille : un écosystème doit se former autour de ces technologies qui permettront de se passer des énergies fossiles dans le domaine des transports et de retrouver une forme de souveraineté.

Un Airbus des batteries en Charente

À Nersac (Charente), à une dizaine de kilomètres à l’ouest d’Angoulême, l’usine pilote de l’entreprise Automotive Cells Company a été inaugurée en mars. Ingénieurs et techniciens y planchent sur la voiture électrique du futur, sur les cellules et les modules de batterie plus précisément. C’est sans doute le fait d’armes le plus éclatant de la "task force" régionale : avoir ferré sur ses terres le projet phare de "l’Airbus des batteries". Pour réduire sa dépendance aux Chinois et aux Coréens concernant les batteries pour véhicules électriques, l’Europe a autorisé, dans le cadre d’un IPCEI (Important Projects of Common European Interest), l’afflux de 3,2 milliards de subventions au total pour faire émerger une filière européenne. Le projet d’ACC - coentreprise créée par Saft (filiale de Total Energies) et le groupe automobile Stellantis en août 2020, rejoints en septembre 2021 par Mercedes-Benz - a concentré 1,3 milliard de ces subventions. Le seul site de Nersac a nécessité un investissement de 100 millions d’euros. La Région a financé le projet à hauteur de 35 millions d’euros.

Quelques mois plus tôt, en septembre 2021, ACC avait déjà ouvert à Bruges (Gironde) un gros site de R & D employant 400 personnes. L’investissement s’est élevé à 30 millions d’euros dont 3,5 millions d’euros financés par la Région. "Nous y imaginons la batterie de demain, avec une mini-ligne de production pour ces prototypes. On fait des tests sur des mélanges de matériaux, on concrétise ces tests sur des petites piles rondes, puis progressivement des cellules puis des modules complets", détaille Matthieu Hubert, son secrétaire général. La troisième étape, pour la coentreprise, sera la construction de trois "gigafactories", une dans les Hauts-de-France qui devrait débuter fin 2023, une en Allemagne et une dernière en Italie. En Nouvelle-Aquitaine, d’ici à la fin de l’année, ACC emploiera plus de 700 personnes.

La locomotive Saft

Si le projet ACC a été aimanté par le sud-ouest de la France, c’est aussi parce que depuis 1949 son actionnaire Saft fédère autour de lui, à Bordeaux, une filière autour des accumulateurs électriques. Depuis son centre mondial de R & D, l’entreprise française conçoit et fabrique des batteries pour l’aéronautique, le ferroviaire et la mobilité "off road". Outre son vaisseau amiral bordelais, ses deux autres sites français sont d’ailleurs situés en Nouvelle-Aquitaine, un à Poitiers, l’autre à Nersac (à côté de l’usine pilote construite par ACC), et regroupe 1 500 salariés sur le territoire.

À Bordeaux, depuis 2019, Saft a lancé un programme de R & D, baptisé IDOLES, pour développer des batteries tout-solide. Plus denses en énergie et plus sûres, elles permettraient de répondre aux besoins massifs d’électrification des véhicules électriques ainsi qu’au stockage d’énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien. En soutien à ce projet innovant, dont le budget total s’élève à 36 millions d’euros, la Région a accordé une aide de 4,4 millions d’euros.

"Les entreprises viennent ici parce qu’on les aime et que, parfois, on est en avance", glisse Alain Rousset. "Lorsque nous avons commencé à prospecter les différents territoires en France pour passer à l’industrialisation, nous avons reçu une belle proposition d’accompagnement, très collaboratif entre l’État, la Région, et la communauté urbaine du Grand Poitiers", raconte Sophie Tricaud, directrice de la communication et des relations publiques pour Forsee Power qui a installé son usine à Chasseneuil-du-Poitou (Vienne) en 2018.

Favoriser la réindustrialisation

Traduction pécuniaire : une aide financière de 2 millions d’euros de la part de la Nouvelle-Aquitaine (pour un investissement total dont le montant n’a pas été communiqué). En facilitant l’implantation de l’entreprise parisienne - qui conçoit et assemble des systèmes de batteries pour les bus, trains, bateaux et véhicules agricoles – il s’agissait de renforcer cet écosystème autour du stockage de l’énergie mais aussi de réhabiliter une friche industrielle. En effet, Forsee Power a installé ses lignes de production sur l’ancien site de l’équipementier automobile américain Federal Mogul, racheté par l’agglomération et loué à l’industriel tricolore. À la clé, la création de 200 emplois et la possibilité de voir le site grossir encore alors que l’entreprise, qui a enregistré un chiffre d’affaires de 72,4 millions d’euros en 2021, vise 600 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2027.

À Lacq, l’hydrogène à l’étude

Mais l’électrique n’est pas la seule réponse à la "dédiésélisation". Une autre filière émerge et se structure : celle de l’hydrogène qui pourrait être utilisé comme carburant pour les véhicules, les trains et même les avions.

Au cœur du bassin industriel de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), Arkema, fleuron tricolore de la chimie, positionné sur la chimie de spécialité et les matériaux de performance, travaille sur des matériaux composites, des résines recyclables, pour les réservoirs à hydrogène et les piles à combustible. L’entreprise fait d’ailleurs partie des 15 premiers projets français sélectionnés dans le cadre du Projet important européen commun en matière d’hydrogène (PIIEC) pour bâtir une filière européenne. Trois des sites français d’Arkema sont concernés, aux côtés de celui de Lacq, celui de Pierre-Bénite (Rhône), et celui de Serquigny (Eure). Quant aux contours exacts du projet aquitain, pour le moment, ils ne sont pas définis. Avec ses matériaux, Arkema intervient sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’hydrogène mais ils demeurent pour le moment en phase de développement et de certification. "Nous n’en sommes pas au stade d’une nouvelle usine, ce sera à l’étude en fonction de l’évolution du marché", nous glisse-t-on chez Arkema qui emploie 160 personnes au sein de son groupement de R & D de Lacq.

De l’hydrogène vert sur le Port de Bordeaux

Du côté de Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB), on observe attentivement la stratégie hydrogène du bassin de Lacq. Leurs intérêts sont communs : promouvoir une filière néo-aquitaine. Au cœur de la stratégie du port, le colossal projet GH2 prévoyant la production d’hydrogène vert sur la presqu’île d’Ambès (Gironde). Début avril, le Port et la société GH2 signaient un avenant au contrat prévoyant de tripler la production initialement prévue pour atteindre 300 mégawatts. L’entreprise pourrait produire, dès 2027, 250 000 tonnes d’ammoniaque par an pour faire des agrocarburants, pour le maritime notamment. Le projet de GH2 représente un investissement total d’environ 300 millions d’euros, selon les estimations de GPMB. Avec ces capacités accrues, "nous espérons atteindre un prix de 2 euros le kg d’hydrogène, contre 12 euros le kg actuellement", prévoit Michel le Van Kiem, responsable du département développement, transition, innovation au port de Bordeaux et en charge des projets hydrogène. "Nous serions l’un des territoires de France les plus compétitifs. On attend des effets induits de cette stratégie, forts de nos infrastructures d’assèchement, on espère attirer de nouveaux clients. On espère aussi attirer des industriels de la chimie sur la presqu’île d’Ambès notamment pour produire les électro carburants". De quoi permettre au Port, dès 2028, de compenser les revenus qu’il aura perdus avec les hydrocarbures.

Avec un regret : dans le cadre de sa stratégie hydrogène, le Port n’a pour le moment pas reçu de soutien financier de la Région qui aurait pourtant induit des effets de levier importants. En revanche, elle a financé les infrastructures d’assèchement permettant la conversion de bateaux à l’hydrogène.

Mailler le territoire pour le GNV

Au titre des infrastructures financées par la Nouvelle-Aquitaine pour verdir les transports, la Région cherche à favoriser l’utilisation du BioGNV par les entreprises régionales de transport pour accélérer la sortie du tout pétrole. Depuis 2018, elle a engagé 4,4 millions d’euros pour la création de 14 stations, permettant la conversion au GNV de 180 poids lourds, et pour que ces stations délivrent du BioGNV au prix du GNV (la Région prenant en charge le surcoût du bio pour les usagers de la station les 4 premières années d’exploitation).

Une transition vers le gaz amorcée dès 2008 par l’ETI familiale girondine GT Solutions pour son client Samada. "Dès 2015, les retours d’expérience de cette première génération montraient une solution mature, en termes de coûts d’achat et de possession", note Romuald Chemin, directeur technique et achats chez GT Solutions. Un surcoût évalué entre 25 et 30 % par rapport à un véhicule classique, un ratio identique pour la maintenance. "On payait le GNV 25 % de moins que le gasoil. Aujourd’hui, le gaz est plus cher donc le bilan financier est ponctuellement mauvais, on ne sait pas pour combien de temps". Avec un parc de 1 650 véhicules moteur, GT Solutions dispose de 120 véhicules roulant au GNV.

Parmi les freins pointés par le transporteur, un maillage territorial insuffisant pour les stations de recharge. "Il est vrai qu’il en manque. La Région, ce n’est pas Total ou Picoty… Il faut qu’il y ait un engagement aussi des opérateurs de station-service. Et il faut également travailler sur des chaînes de valeur pour produire du gaz vert", reconnaît Alain Rousset.

Alors la Nouvelle-Aquitaine pourra-t-elle être une pionnière du zéro diesel ? "Oui, je le pense, en 2030 pour ce qui concerne les compétences de la Région", soutient l’élu. "Mais je ne peux pas imposer à un camion qui vient du Portugal de ne pas rouler au diesel. C’est toute la difficulté de la démarche de transition écologique, un certain nombre de décisions ne dépendent pas des Régions. Il faut que l’Europe et les États s’entendent aussi pour dédiéséliser les véhicules privés". À bon entendeur !

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