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Valérie Le Guern Gilbert (Mauviel) : « J’ai récupéré un héritage que je dois pouvoir transmettre »
Interview Manche # Restauration # Innovation

Valérie Le Guern Gilbert présidente de Mauviel 1830 Valérie Le Guern Gilbert (Mauviel) : « J’ai récupéré un héritage que je dois pouvoir transmettre »

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A la tête de Mauviel 1830 qui emploie 90 salariés dans la Manche, Valérie Le Guern Gilbert perpétue une tradition vieille de près de 200 ans : le fabricant d’ustensiles de cuisine est en effet dans les mains de sa famille depuis 1830. Pas question pour autant pour la Normande de se reposer sur cet héritage. L’heure est à l’innovation pour séduire le grand public et gagner de nouveaux marchés à l’international.

Valérie Le Guern Gilbert « Nous allons lancer une plateforme de e-commerce dès le mois de janvier. Notre objectif est de créer une véritable communauté Mauviel. »
— Photo : © D Delmas

Le Journal des Entreprises : Quand avez-vous su que vous voudriez poursuivre l’aventure familiale des Manufactures Mauviel, qui fabriquent des ustensiles de cuisine depuis près de 200 ans ?

Valérie Le Guern Gilbert : Très jeune ! Déjà à l’âge de 12-13 ans, j’ai des souvenirs où je me baladais dans l’usine et je savais déjà que je voulais y travailler. L’entreprise fait partie intégrante de notre éducation, nous l'avons dans le sang. Mes grands-parents ont été un véritable exemple pour moi, car ils y ont toujours travaillé. Ensuite, mon père a repris la société avec mon oncle et le flambeau a une nouvelle fois changé de mains dans la famille avec de nouveaux référents. C’est pour cela que j’ai souhaité la reprendre, avec cette volonté de la transmettre, pour que l’histoire continue.

Vous êtes la 7e génération de la famille Mauviel à diriger l’entreprise. Y en aura-t-il une huitième ?

V. L. G. G. : Mon fils aîné gère déjà les architectes d’intérieur pour l’entreprise et le BtoB, un réseau que nous avons développé depuis deux ans. Je ne sais pas encore s’il va aller au bout de l’histoire. Mais pourquoi pas ?

Vous avez repris les rênes de l’entreprise en 2006. Quelle a été dès lors votre ligne directrice ?

V. L. G. G. : On récupère un héritage que l’on doit pouvoir transmettre : c’est la ligne directrice au quotidien. Dans une entreprise familiale, on doit d’abord travailler dans le respect des six générations antérieures et tout faire pour la transmettre à la huitième, s’il y en a une. Il faut avoir beaucoup de volonté et de passion, car nous sommes confrontés à beaucoup de choses, encore plus que lorsqu’on rachète une entreprise extérieure. Mes enfants disent souvent que je n’ai pas un job mais une passion. L’important, c’est d’arriver à mixer au quotidien tradition et modernité.

« Dans une entreprise familiale, on doit d’abord travailler dans le respect des générations antérieures et tout faire pour la transmettre à la suivante, en apportant sa propre pierre à l’édifice. »

Justement, comment arrivez-vous à apporter de la modernité dans une entreprise presque bicentenaire ?

depuis l’arrivée de Valérie Le Guern Gilbert, tous les produits sont poinçonnés Mauviel 1830.
— Photo : © D Delmas

V. L. G. G. : On hérite d’une construction mais on a évidemment envie d’apporter sa pierre à l’édifice. Et il faut faire en sorte que cette pierre soit suffisamment solide pour que la 8e génération puisse éventuellement reprendre et apporter la sienne.

Avant mon arrivée à la tête de l’entreprise en 2006 (Valérie Le Guern Gilbert travaille dans l’entreprise depuis 1992, NDLR), pendant dix ans, nous avions vraiment développé le marché du grand public. Mon père et mon oncle étaient issus du marché professionnel et étaient de vrais techniciens, ce que je ne suis pas. Ils n’avaient pas envie d’aller au-delà. Ce n’était pas dans leur ADN d’axer le développement de l’entreprise via le marketing. Rendez-vous compte, en 2006, on vendait encore nos produits sous sac plastique ! Ils n’étaient même pas poinçonnés Mauviel dans leur totalité. Les produits se vendaient bien grâce à leur qualité et à leur renommée, mais on arrivait vite à la limite du système.

Le premier budget que j’ai développé est donc celui du marketing et j’ai embauché un directeur communication et marketing. C’était une nécessité économique. Ce budget représente plus de 8 % de notre budget annuel avec trois personnes embauchées. J’ai aussi développé l’événementiel pour accentuer encore plus la visibilité de la marque auprès du grand public. Nous avons lancé nos propres cours de cuisine intitulés « Moments de cuisine », en partenariat avec le chef Yannick Alléno, tous les week-ends, au pavillon Ledoyen à Paris. Enfin, nous avons ouvert nos propres ateliers culinaires au sein même de l’usine dans un show-room baptisé « In situ 1830 ».

Quels sont vos axes de développement ?

V. L. G. G. : Depuis 2013, nous avons multiplié les partenariats avec des professionnels tels que Gault et Millau, les Bocuse d’or… A ce jour, nous avons plutôt tendance à diminuer un peu le budget marketing pour axer notre stratégie, à partir de 2019, dans le développement du BtoC, via notamment le renforcement de notre présence sur les réseaux sociaux, et par notre présence sur des événements en lien direct avec le consommateur, pour aller jusqu’au bout de la chaîne de commercialisation de nos produits.

« Dans notre métier, l’innovation passe par la matière. Pour le grand public, nous axons nos recherches sur des matières plus légères, plus ergonomiques et moins chères. »

On nous pose régulièrement la question de notre présence commerciale sur Internet lors des salons. C’est donc un axe que nous allons développer en 2019. Nous avons embauché une personne à temps complet pour gérer et moderniser le site web et animer les réseaux sociaux. Nous avons également lancé une plateforme de e-commerce cette année. Notre objectif est de créer une véritable communauté Mauviel.

La dinanderie (travail du cuivre) est un métier en voie de disparition. Avez-vous du mal à recruter ?

V. L. G. G. : Oui, la dinanderie et la chaudronnerie sont des savoir-faire qui disparaissent. C’est pourquoi, en partenariat avec la Région Normandie, nous avons monté une école de formation interne en 2017, dans le cadre du dispositif « Une formation, un emploi ». Nous avons formé pendant un an trois jeunes qui sont maintenant en CDI chez nous. C’est un moyen de sauvegarder nos métiers. Dans l’entreprise, nous avons 90 salariés qui travaillent et façonnent les métaux à la main. En moyenne, Mauviel fabrique 1 400 à 1 600 produits par jour.

Quel est votre positionnement à l’international ?

V. L. G. G. : Nous avons enregistré un chiffre d’affaire de 15 millions d’euros en 2017, en hausse de 23 % par rapport à 2016. 70 % de notre chiffre d’affaires part à l’export, contre 50 % à mon arrivée en 2006. Nous sommes présents dans presque tous les pays et avons un centre de distribution aux Etats-Unis, qui reste notre plus gros marché. Je rentre du Japon avec Bpifrance et je pense que notre prochain développement à l’international dans les trois ans à venir passera par l’Asie : Japon, Corée et Chine.

Photo : © D Delmas

Quelle est la part de l’innovation dans une entreprise qui fabrique des produits que l’on pourrait considérer comme « classiques » depuis près de deux cents ans ?

V. L. G. G. : Nous développons régulièrement de nouvelles gammes. Cinq ont été créées depuis 2006, destinées à une clientèle plus grand public. L’innovation passe par la matière, car effectivement, nous ne pouvons créer sans arrêt des nouvelles formes d’ustensiles de cuisine. Outre le cuivre, matière historique de Mauviel, nous avons développé des produits en inox.

Pour le grand public, nous axons nos recherches sur des gammes aux matières plus légères, plus ergonomiques et moins chères : nous venons de lancer une gamme multi-couches inox. Actuellement, nous travaillons sur une gamme avec une nouvelle matière, mais je ne peux pas trop en dire pour l’instant !

Une autre façon d’innover est de proposer du sur mesure aux chefs. C’est pourquoi nous travaillons en permanence avec deux designers. L’avenir de l’entreprise sera peut-être aussi bien dans l’art de la table pour le service en salle que dans les cuisines...

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