Le territoire normand se revitalise grâce aux friches industrielles
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Le territoire normand se revitalise grâce aux friches industrielles

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Alors que les terres disponibles pour accueillir de nouvelles activités économiques se raréfient, les friches industrielles représentent encore, en Normandie, des gisements fonciers importants. Leur reconversion est donc un enjeu majeur pour accueillir de nouvelles activités économiques et industrielles, créatrices d’emplois, en favorisant un développement plus respectueux de l’environnement et en limitant la consommation d’espaces naturels ou agricoles.

L’ancienne raffinerie Petroplus a été reconvertie par la société Valgo à Petit-Couronne — Photo : DR

L’industrie est un des piliers de l’économie de la Normandie : c’est la région française où elle pèse le plus, avec 20 % de la valeur ajoutée régionale. Mais le territoire normand peut-il encore accueillir des zones d’activités industrielles ou commerciales ? "La question du terrain pour accueillir de nouvelles activités économiques va être un vrai sujet d’inquiétude dans les années à venir", confirme le président de Région Hervé Morin qui a fait établir un travail de recensement par l’EPF Normandie (Établissement public foncier) des terrains potentiellement disponibles entre Rouen et Caen, particulièrement sur les zones riveraines de l’autoroute A 13.

Le constat est sans appel : "Entre les zones inondables et les parcs naturels protégés, il ne reste que quarante hectares de disponible, c’est-à-dire quasiment plus rien." Un constat encore aggravé par le fait que beaucoup d’élus normands ne souhaitent plus de zones activités sur leur territoire mettant en avant le respect de l’environnement et un urbanisme "durable et responsable" : pour beaucoup, il est désormais hors de question de grignoter sur les terres agricoles ou urbaines.

Valoriser des bâtiments existants

Pour pallier ce manque de terrains, les aménageurs et les entreprises qui souhaitent se développer, se rabattent sur d’anciennes friches industrielles. Environ 2 500 friches industrielles existent en France. Selon la liste (non exhaustive) de Cartofriches, une application conçue par le Cerema (centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) pour recenser les friches en France, le territoire normand pourrait compter plus de 230 friches : soit environ plus de 1 862 hectares (ha) de surface de terrain disponible, avec en tête du podium, l’Eure (787 ha) et le Calvados (746 ha, dont 70 pour la presqu’île de Caen), suivis par la Seine-Maritime (252 ha), la Manche (54 ha), et l’Orne (22 ha).

Parmi les friches les plus importantes en cours de reconversion, celle de Val d’Hazey (7 000 000 m2) à cheval sur les communes de Gaillon, Aubevoye et Saint-Pierre-la-Garenne : c’est sur cette zone, qui abritait jusqu’à fin 2014 les usines de Draka Paricable, que Skytech spécialiste de la production de résines plastiques régénérées (soutenue par le plan France relance, dans le cadre de l’appel à projets "Relocalisation" à hauteur de 1,5 million d’euros), a choisi de déménager des Yvelines et d’installer un site de 22 000 m2 et trois lignes de production. Un investissement de 15 millions d’euros pour l’entreprise : "Nous disposons au Val d’Hazey d’un outil incroyable pour répondre à la demande croissante des industriels et pour atteindre notre ambition de devenir le leader européen de la production de plastique recyclé", s’était félicité Arthur Rozen, PDG de Skytech.

La friche de Val d’Hazey a séduit également la société des Carrières de Vignats Basaltes — Photo : Agglo Seine-Eure

Présentant une situation géographique idéale, à mi-chemin entre Paris et Le Havre, avec un accès direct à la Seine, et bien desservie par les réseaux autoroutiers et ferrés, la friche de Val d’Hazey a séduit également la société des Carrières de Vignats Basaltes (350 salariés, 150 M€ de CA) qui doit prochainement y installer sa plateforme multimodale. Coût du projet : 13,5 millions d’euros. "Cette nouvelle plate-forme nous permettra de renforcer notre présence locale et d’accéder au marché parisien en utilisant la voie d’eau", assure Geoffroy Colin, directeur général de la société des Carrières de Vignats. Sur les 12 hectares, six seront dédiés au transit de matériaux. La partie foncière restante pourra à terme accueillir d’autres entreprises souhaitant bénéficier des facilités modales proposées sur ce site. "Il y a de nombreux bâtiments qui pourront être valorisés. Notre objectif est que ce site revive une autre vie industrielle", ajoute-t-il.

Deux cents entreprises sur l’ancien site de la SMN à Caen

Parmi les reconversions emblématiques de ces dernières années, l’ancien site de la Société métallurgique de Normandie (SMN) sur le plateau de Colombelles, aux portes de Caen, fait figure de réussite. Lorsque le fleuron de l’industrie normande (qui a employé jusqu’à 6 300 salariés) a fermé ses portes en 1993, la communauté d’agglomération Caen la Mer hérite d’une friche industrielle de 160 hectares, la plus importante recensée en Normandie.

Après des années de travaux de démantèlement et un investissement de 30 millions d’euros, le site affiche une configuration entièrement renouvelée. Transformé en zone d’activités économiques et tertiaires, il accueille près de deux cents entreprises sur les deux campus, Effiscience et Normandial, plus deux quartiers d’habitations. Le pôle d’activités EffiScience (lancé en 2007) abrite les industries de pointe, des semi-conducteurs aux nanotechnologies ou encore la monétique (NXP, Sominex, le pôle TES, l’hôtel d’entreprises Innovaparc…), mais aussi l’Agence de développement de Normandie (AD Normandie). Normandial est davantage ciblé "agroalimentaire" et "services" (Chiron viandes, biscuiterie Jeannette, groupe Réussir…). Au total, plus de 3 000 salariés travaillent aujourd’hui sur le plateau de Colombelles.

La Grande Halle de l’ancien site de la SMN a été transformée en un tiers lieu circulaire et citoyen, le WIP — Photo : Eric Biernacki - Region Normandie

Parmi les derniers vestiges visibles de la SMN reconvertis, la Grande Halle (ancien atelier électrique) et la tour réfrigérante : le site a été transformé en un tiers lieu circulaire et citoyen, ouvert en 2019 et baptisé WIP, fort de 650 m2 de bureaux, et 1 000 m2 d’espace évènementiel. Pour Normandie Aménagement, société d’économie mixte basée à Colombelles, spécialiste des grands projets d’aménagements dans le Calvados et la Manche et chargé du projet, il a fallu trouver un juste équilibre entre intérêt économique et environnement : "La question est comment faire mieux avec moins ? Ici, nos équipes ont dû repenser les schémas de construction traditionnels pour pouvoir réutiliser le matériau existant." Un projet qui a nécessité trois ans de travaux et 7,6 millions d’euros d’investissement (partagé entre l’Établissement Public Foncier de Normandie, la SEM Normandie Aménagement, la Communauté urbaine de Caen la mer, la ville de Colombelles, la Région Normandie, l’Ademe et le Feder.)

L’ancienne raffinerie Petroplus "valgorisée" à Petit-Couronne

À Rouen, le président de la Métropole, Nicolas Mayer-Rossignol a fait de la transformation des friches, un des fers de lance de sa stratégie de développement économique : "Répondre aux besoins fonciers du territoire en résorbant nos friches et en évitant l’artificialisation des sols est une nécessité absolue", avait commenté le maire lors du conseil métropolitain du 8 février 2021, en annonçant un budget d’investissement de 1,5 million d’euros par an sur 6 ans pour l’acquisition de ces terrains et les études préalables à la décision d’acquisition de ces sites à finalités économiques. "L’objectif est de disposer en continu d’un stock d’offres foncières immédiatement aménageables afin de prévenir les risques de rupture préjudiciables à la dynamique économique métropolitaine."

L’une des plus grandes friches industrielles en cours de reconversion est l’ancienne raffinerie Petroplus (implantée depuis 1927, seconde raffinerie de France en 1969) à Petit-Couronne aux portes de Rouen. Le site de 260 hectares a été racheté en 2014 par François Bouché, PDG fondateur de la société Valgo, spécialisée dans la remédiation et la revitalisation de sites industriels (600 collaborateurs répartis sur 11 agences en France, 100 M€ de CA en 2021). Objectif de l’industriel qui a installé le siège de sa société sur place à Petit-Couronne : reconvertir la friche, "idéalement située en bord de Seine et proche des grands axes autoroutiers", selon le PDG, en site d’activité économique en lien avec les nouveaux usages et modes de consommation, et accompagné d’une diversité de dessertes.

La société applique alors au site, rebaptisé "Pôle d’Innovation des Couronnes (PIC), la "VALGOrisation" son modèle intégré unique de reconversion. Les anciennes unités de raffinage de la société Petroplus ont fait l’objet d’une vaste opération de "remédiation durable". De nombreuses phases de travaux de revitalisation se sont succédé : la décontamination, puis le démantèlement des vieilles unités de production et bâtiments, le recyclage des matériaux propres à être réutilisés sur site comme l’acier ou le béton. "Il a fallu ensuite dépolluer le site en traitant le sol comme la nappe phréatique, en extraire les déchets pétroliers et écrémer les hydrocarbures surnageant sur la nappe", explique la direction de l’entreprise. Un chantier dantesque avec 75 000 tonnes de métaux recyclés, 400 000 tonnes de béton déferraillé, concassé et réutilisé sur site, mais aussi 55 000 tonnes de déchets hydrocarbonés dont 33 000 tonnes valorisées thermiquement.

Le chantier qui a duré six années a nécessité un investissement de près de 60 millions d’euros dédié à la partie dépollution. Quatre cents millions ont été investis dans le projet global, dont 99 % de fonds privés et 50 M€ d’euros financés par Valgo.

Une nouvelle vie bienvenue puisque le nouveau site va permettre, à terme, la création de plusieurs milliers d’emplois et la mise en place de nombreuses infrastructures en rapport avec la vie en entreprise (restaurant, bureaux).

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