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Le mécénat normand confirme son ascension
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Le mécénat normand confirme son ascension

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Avec près de 3 700 entreprises ayant déclaré des dons sur le territoire, le taux de mécénat des entreprises normandes se place au-dessus de la moyenne nationale. Une tendance à la hausse depuis 2010, qui se confirme pendant la crise sanitaire, et a parfois entraîné la multiplication des actions solidaires.

Pour Legallais, à Caen, le mécénat ne signifie pas uniquement aides financières, il s'agit aussi de fédérer des salariés autour d'une action de solidarité — Photo : Legallais

Depuis 2010, le nombre d’entreprises mécènes ne cesse d’augmenter. En moyenne, chaque année, 10 000 entreprises supplémentaires deviennent mécènes en France. Le mécénat peut prendre la forme d’une aide financière ou matérielle pour soutenir une œuvre d’intérêt général. Et l’intérêt de l’entreprise peut prendre diverses aspects. En contrepartie d’un don, elle peut bénéficier d’une réduction fiscale allant de 40 à 60 % de réduction d’impôts. Mais au delà de l’aspect financier, nombre d’entreprises s’engagent aussi pour des questions de valeurs, de cohésion interne ou d’idéologie…

En Normandie, la tendance du mécénat se confirme à la hausse depuis une dizaine d’années. Selon une enquête récente publiée par Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial), le taux de mécénat des entreprises normandes atteint les 5,1 % (6,5 % pour l’ex Basse-Normandie et 4,3 % pour l’ex Haute-Normandie). Un taux supérieur à la moyenne nationale de 4,4 %, derrière le Centre Val-de-Loire (6,5 %), la Bretagne (7 %), et les pays de la Loire (9,56 %).
Entre 2010 et 2018, le nombre d’entreprises ayant déclaré des dons sur le territoire de l’ex Haute-Normandie a été multiplié par 3,1 pour 16,8 millions d’euros déclarés (contre 13 M€ en 2010). Le territoire de l’ex Basse-Normandie, sur la même période, compte un nombre d’entreprises mécènes multiplié par 4,4 pour 17,3 millions d’euros déclarés (contre 3,9 M€ en 2010). Une hausse d’abord due à la volonté croissante des chefs d’entreprises de s’impliquer davantage dans la vie locale, mais aussi plus récemment, de participer à la solidarité nationale dans la lutte contre la pandémie (dons de masques aux soignants, d’ordinateurs…). "Le don moyen des entreprises reste stable ou est en légère hausse en Normandie", confirme Maiwen Tanon, représentante régionale de l’Admical, "l’année 2017 étant une année exceptionnelle pour la Haute-Normandie en raison de la forte mobilisation des entreprises lors des 500 ans de la ville du Havre".

Le mécénat pour fédérer les salariés

En créant sa fondation d’entreprise en 2010 – la première de Normandie -, l’entreprise Legallais (groupe Grand Comptoir), spécialiste de la distribution de quincaillerie (1 250 salariés ; 320 M€ de CA en 2020, basée à Hérouville Saint-Clair) souhaitait avant tout renforcer ses engagements en matière de développement durable et de responsabilité sociétale. "Depuis de nombreuses années, l’entreprise faisait des donations ponctuelles. Nous n’avions pas vraiment de vision d’ensemble, nous avons voulu regrouper toutes ces actions au sein d’une fondation qui nous permettrait de professionnaliser le mécénat et en donner une meilleure visibilité", explique Brigitte Delord, présidente de la Fondation d’entreprise Legallais et directrice de la RSE.
Mais pour Legallais, mécénat ne signifie pas uniquement aides financières : "Il s’agit aussi de fédérer des salariés autour d’une action de solidarité. Chaque année, nous pouvons compter sur une centaine de salariés qui participent au moins à une action par an. Y compris quelques retraités de l’entreprise qui viennent aider à la braderie solidaire", confirme Philippe Nantermoz, président de Legallais et directeur général du Groupe Grand Comptoir. Un vent de solidarité qui souffle sur toute l’équipe : "Je ne connais pas un salarié qui n’ait pas participé un jour ou l’autre à une action soutenue par Legallais et la Fondation est présentée systématiquement à chaque nouveau salarié recruté." Une façon de créer du lien et du bénévolat entre les différents services autour d’actions solidaires.
Les domaines d’intervention et les aides accordées par la Fondation Legallais s’articulent autour du logement et de l’emploi et concernent plus particulièrement l’insertion et la formation professionnelle, la transmission des savoir-faire artisanaux et l’accès au logement. "En moyenne, nous recevons une centaine de projets par an et nous en retenons un peu plus d’un tiers" confirme Brigitte Delord. Ainsi, en 2019, la Fondation Legallais a soutenu 36 projets (272 au total depuis sa création) pour un total de 89 994 euros (825 120 euros versés depuis 2010).

La Fondation est financée par plusieurs sources : "1 % du chiffre d’affaires généré par la vente des produits à la marque Legallais sert à financer les actions sociétales de l’entreprise. Une partie est reversée à la Fondation Legallais sous forme d’une dotation annuelle de 80 000 euros", explique Philippe Nantermoz. Une tirelire virtuelle a également été constituée : 5 000 euros y ont été déposés, permettant d’accorder des micro-crédits à des micro-entrepreneurs partout dans le monde, élargissant ainsi les actions de la Fondation. "Par ailleurs, des produits de l’entreprise Legallais, en fin de série ou retirés du catalogue, sont remis à la Fondation afin d’être vendus lors de braderies solidaires, ce qui permet d’augmenter le budget" ajoute le dirigeant qui incite les entreprises à se lancer dans l’aventure du mécénat : "Nous avons la chance d’avoir en France des lois extrêmement généreuses pour les donateurs. Les entreprises ont besoin du travail effectué sur le terrain par les associations, qui, à mon sens, sont le ciment de la société civile. D’où l’intérêt pour toute entreprise de faire du mécénat : c’est non seulement un acte de développement durable mais cela a des conséquences positives sur le business."

Favoriser l’attractivité du territoire

Fédérer les salariés autour d’un projet, c’est aussi la vision du mécénat portée par le Crédit Agricole Caen Normandie. "Le mécénat nous donne l’occasion de participer à diverses causes nationales ou régionales. Aujourd’hui, la pandémie nous donne plus que jamais l’opportunité d’intégrer l’inclusion sociale dans les projets que nous soutenons. En 2020, nous avons engagé des actions en faveur des personnes âgées, cette année, nous aidons plus particulièrement les jeunes qui n’ont pas pu suivre leurs études en présentiel. Nous choisissons aussi des projets qui font sens avec l’ADN de notre entreprise, comme le développement rural", explique Pascal Delheure, directeur général du Crédit Agricole Caen Normandie. L’objectif poursuivi par le Crédit Agricole Caen Normandie est aussi de favoriser l’entreprenariat et de créer de l’attractivité sur le territoire, notamment lorsqu’il s’affiche en mécène pour aider à l’installation du Moho, tiers-lieu géant inauguré à Caen en mai 2021. "Nous avons également ouvert du mécénat de compétences à nos collaborateurs, notamment pour les salariés qui approchent de la retraite et le mécénat d’inclusion pour l’emploi des jeunes pour les former aux métiers de la banque."

Touchés par la crise sanitaire, les professionnels de la culture ont besoin d’aides pour survivre et cela passe souvent par le mécénat. Le groupe Matmut (6 400 collaborateurs ; 2,29 milliards d’euros de CA en 2020) entreprise mutualiste d’assurance, se pose comme l’un des principaux mécènes culturels de Normandie. Outre son Centre d’art contemporain à Saint-Pierre-de-Varengeville qu’il a souhaité libre d’accès et ouvert à tous, le Groupe est aussi mécènes de plusieurs festivals normands tels que le Festival Normandie Impressionniste depuis 2010. Malgré la crise sanitaire, le groupe a choisi de maintenir en 2021 son soutien auprès des 11 structures culturelles avec lesquelles il était déjà engagé par le passé. "Ne renonçons pas à réinventer le mécénat culturel, sous prétexte d’une situation déjà difficile. Place à l’inventivité, à la co-construction entre le mécène et l’acteur culturel", lance Stéphanie Boutin, directrice générale adjointe du groupe Matmut en charge de la communication, des mécénats et des sponsorings. "Il ne s’agit pas pour l’acteur privé d’interférer dans le continu artistique. Notre seule ambition, en tant que mécène est de contribuer positivement au programme, dans une logique gagnant-gagnant. Privilégions les échanges, l’accompagnement, la co-production pour un mécénat, plus responsable et plus éthique."

Avoir le sentiment d’être utile

Le mécénat n’attire pas que les grandes entreprises normandes. Des entreprises de plus petites tailles, ou des réseaux d’entreprises, cherchent également à apporter leur touche solidaire. Ainsi, le CJD (Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprises) Normandie (200 membres) s’engage régulièrement dans diverses actions collectives. "Le CJD de Caen a récemment noué un partenariat avec La Cravate solidaire pour aider aux collectes de vêtements. Au Havre, le CJD s’est engagé avec des associations malgaches", confirme Eleonore Mandel, dirigeante de AuContraire ! Consulting à Bénouville, et membre du CJD Rouen et CJD Normandie. Pour la jeune dirigeante très attachée à l’ancrage territorial, "il est aussi important de donner de son temps pour aider à la création de projets que de donner financièrement. Cela nous donne le sentiment d’être utile." Un mécénat qui peut se transformer en vrai sacerdoce pour une jeune entreprise qui démarre et qui n’a pas toujours le temps et les moyens humains et financiers de s’impliquer dans d’autres projets. "C’est un choix idéologique. Ce qui compte, c’est le partage. C’est du gagnant-gagnant au final pour l’entreprise et le bénéficiaire", ajoute Eléonore Mandel. Dans cette optique de la "stratégie des petits pas", le CJD Normandie participera d’ailleurs à la prochaine Nuit du Bien Commun à Rouen pour ajouter sa pierre à l’édifice.

Avec 1 624 entreprises mécènes en Haute-Normandie et 2 035 entreprises en Basse-Normandie en 2018 et "une tendance qui reste à la hausse selon l'Admical, le territoire poursuit sa marche vers plus de solidarité, d’autant que pour la représentante régionale de l’Admical, Maiwen Tanon, "de nombreuses entreprises mécènes ne font pas la démarche de déclarer leurs dons et fonctionnent plus au coup de cœur que sur une politique d’engagement formalisé."

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