Le transport combiné connaît en France une croissance importante qui se traduit par une hausse de la circulation et du tonnage moyen des trains. En effet, le trafic de l’année 2022 en tonnes/km a dépassé de plus de 30 % celui de 2019, période d’avant crise Covid. L’État ambitionne un triplement de cette activité à l’horizon 2030, notamment grâce aux investissements engagés par le plan de relance du fret d’un montant d’un milliard d’euros.
Le fret ferroviaire normand va être l’un des premiers à bénéficier de cette nouvelle donne. Ainsi, un vaste projet d’autoroute ferroviaire entre le port de Cherbourg (Manche) et le Centre Européen de Fret de Mouguerre, près de Bayonne, va permettre de relier l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Irlande via le Réseau ferroviaire Français, d’ici 2024. Un projet porté par la compagnie maritime finistérienne Brittany Ferries (2 250 salariés, 212,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021), qui investit près de 20 millions d’euros, dont 12 millions d’euros environ pour les wagons et 7 millions d’euros pour le terminal à Mouguerre.
Baisse de volume de fretentre la France et la Grande-Bretagne
La Brittany Ferries mise beaucoup sur ce projet d’autoroute ferroviaire vers l’Espagne car la liaison Irlande-Espagne a enregistré une forte hausse de 172 %, soit un volume de 13 644 unités (camions), sur une année. Selon la Brittany Ferries, "sur ce marché, on assiste à une accélération de la tendance vers les transports non accompagnés qui représentent désormais 45 % de l’activité". Le Brexit a, en effet, créé des opportunités de développement de routes maritimes directes vers l’Irlande, évitant le transit de fret par le Royaume-Uni. Sur les lignes France-Irlande, les volumes ont ainsi été multipliés par 6 avec 9 587 unités transportées. Cette tendance à la hausse n’est pas le cas des liaisons entre la France et la Grande-Bretagne puisque le volume de fret a accusé, en 2022, une baisse de -27 % et de -22 % entre la Grande-Bretagne et l’Espagne.
970 km d’autoroute ferroviaire
Le nouveau terminal multimodal de Cherbourg sera construit par Ports de Normandie (réunion des ports de Caen-Ouistreham-Cherbourg-Dieppe), le port de Cherbourg intervenant en tant qu’exploitant. Pour Ports de Normandie, ce projet représente un investissement de 7 millions d’euros, financés par la Région Normandie, le Département de la Manche et la Communauté d’agglomération du Cotentin. L’Europe soutient également le projet à hauteur de 1,4 million d’euros (inclus aux 7 millions d’euros).
Malgré un retard de deux années dû à la crise sanitaire, le chantier devrait démarrer en avril 2023 avec le détournement du boulevard maritime afin de libérer l’espace nécessaire à l’installation du terminal. L’autoroute ferroviaire, longue d’une distance de 970 km, sera composée de rames comportant chacune 21 wagons à poches doubles (spécial fret), permettant de transporter 42 semi-remorques, chargées et déchargées par roulage avec les mêmes outils de manutention horizontale que dans les ports. Le service ferroviaire travaillera en correspondance directe avec les ferries opérant vers et depuis Poole, Portsmouth, Rosslare à destination de Cherbourg pour une offre de transport de semi-remorques non-accompagnées avec le sud du Royaume-Uni, et de l’Irlande vers Bayonne/Mouguerre avec reprise routière vers la Péninsule Ibérique.
Pour le président de Brittany Ferries, Jean-Marc Roué, "le projet d'autoroute ferroviaire est un maillon complémentaire à l’offre de fret traditionnelle. Les transporteurs industriels qui voudront acheminer des marchandises entre l’Espagne et l’Irlande ou l’Angleterre auront désormais le choix entre la voie maritime ou ferroviaire." L’itinéraire ferroviaire sera accessible dès 2024 par Saintes, puis à partir de 2026 par l’itinéraire principal Poitiers-Angoulême-Bordeaux. La commercialisation du service ferroviaire sera ouverte à la clientèle de tous les opérateurs maritimes présents à Cherbourg ainsi qu’aux entreprises logistiques exerçant leurs activités dans l’hinterland (zone d’influence et d’attraction économique) de proximité du port normand. La Brittany Ferries estime que chaque semi-remorque transportée par autoroute ferroviaire sur 1 000 km permettra à la collectivité d’éviter 800 euros d’externalités négatives (accidentalité, bruit, congestion, émissions de CO2 et gaz à effet de serre…).
Les wagons fabriqués par l’industriel Lohr
Le projet mobilise de nombreux acteurs économiques, à commencer par l’entreprise en charge de la fabrication des wagons. Le marché a été attribué en janvier 2023 au groupe alsacien Lohr (1 300 salariés ; 150 M€ de CA en 2022). L’industriel bas-rhinois, spécialisé dans la conception et la fabrication de systèmes de transport, va livrer à Brittany Ferries 47 wagons "Modalohr" qui équiperont l’autoroute ferroviaire de Cherbourg. "Ce contrat de près de 22 millions d’euros avec Brittany Ferries arrive après trois ans de disette sur le fret ferroviaire", commente Marie-José Navarre, vice-présidente du groupe Lohr, qui siège à Hangenbieten, près de Strasbourg. La dirigeante travaille sur le projet depuis 2018 : la production des modules Modalohr a été lancée par anticipation pour fournir 22 unités dès 2023 et le reste en 2024. Les premières générations de Modalohr équipent déjà des liaisons ferroviaires en France, vers l’Italie et vers la Pologne : pour le contrat avec la Brittany Ferries, il s’agira de la quatrième génération de wagons Modalohr. "Un travail sur le design a été effectué par l’entreprise afin de réduire son coût industriel, le rendre plus compétitif et travailler sur sa maintenabilité (capacité d’un équipement à être dépanné)", confirme Cédric Ginet, technico-commercial au sein du groupe Lohr.
Un enjeu de compétitivité pour Haropa Port
Le fret ferroviaire a également la cote chez Haropa Port (réunion des ports de Paris-Rouen-Le Havre) et les initiatives se multiplient autour du transport de fret par voie de rail. "Le fret ferroviaire représente un enjeu de compétitivité avec de plus en plus de solutions massifiées et fiables pour l’acheminement des marchandises. Nous voulons faire passer de 4 à 8 % dès 2025 la part des conteneurs transportés par voie ferrée et étendre ainsi notre hinterland au-delà de l’Île-de-France, sur l’ensemble du territoire national et plus loin encore vers l’Europe. C’est un élément clé de notre plan stratégique", confirme Antoine Berbain, directeur général délégué Haropa Port, en charge de la multimodalité à l’échelle de l’axe Seine.
Les ports de Bruyères-sur-Oise (Val d'Oise) et Gennevilliers (Hauts de Seine) accueillent, depuis 2021, chacun une nouvelle offre de desserte pour les granulats, tandis que les fréquences de services de transport combiné sont renforcées entre Le Havre et Chalon-sur-Saône d’une part, et Lyon d’autre part. Depuis le 2 mai 2022, Delta Rail assure une deuxième rotation hebdomadaire sur le terminal multimodal de Haropa Port- Le Havre, les mardis et jeudis. De même, le service de transport combiné de Naviland Cargo entre Le Havre et Lyon-Vénissieux a été renforcé, avec le lancement de deux rotations supplémentaires en direct. La fréquence de ce service passe de cinq à sept allers/retours par semaine, permettant d’améliorer l’offre de service entre Le Havre, premier complexe portuaire français et la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Relier le port du Havre aux Aubrais par le rail
D’autres projets de terminal de transport combiné concernant le territoire normand vont voir le jour. En effet, l’État, et les Régions Centre Val-de-Loire et Normandie vont co-financer un projet de terminal de transport combiné près d’Orléans (aux Aubrais) dans le Loiret. L’annonce a été faite au siège de Régions de France, le 8 février 2023, à Paris, en présence de Clément Beaune, ministre des Transports. "Le fret ferroviaire a besoin à la fois du fluvial et du maritime", assure Matthieu Chabanel, PDG de SNCF Réseau, qui précise : "nous croyons fermement que le développement de l’intermodalité concourt à la croissance des ports français et du trafic ferroviaire de marchandises." Le projet des Aubrais nécessitera 10,3 millions d’euros d’investissements : l’État en apportera 50 %, la région Centre-Val de Loire 40,2 % et la Normandie 9,8 %. "Cet investissement est lié à celui de l’armateur italo-suisse MSC qui a investi 1 milliard d’euros au Havre et veut développer son trafic avec l’hinterland. Il nous fallait démontrer que nous étions capables de penser un nouveau modèle en développant le fret ferroviaire", commente Hervé Morin, président de la Région Normandie. Le pôle orléanais doit ainsi venir alimenter en conteneurs le port du Havre et à l’inverse, offrir à la zone portuaire normande la possibilité de desservir le Centre Val de Loire par le fret ferroviaire. Le stockage des containers sera possible sur trois étages. À terme, cette infrastructure permettra de transborder jusqu’à 150 conteneurs par jour. Le nouveau pôle de transport combiné doit accueillir deux rames de 250 mètres chacune. Au-delà, SNCF Réseau a encore la possibilité d’étendre les voies sur une longueur utile de 750 mètres, la longueur standard des trains de fret, afin d’éviter les manœuvres ferroviaires et fluidifier le trafic. Les travaux sont prévus de l’été 2023 à 2024 pour une mise en service au deuxième semestre 2025.