La crise du sucre frappe la Normandie et les Hauts-de-France
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La crise du sucre frappe la Normandie et les Hauts-de-France

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Le groupe allemand Südzucker a pris la décision de fermer ses sucreries européennes, à commencer par la France. Deux sites sont concernés : celui de Cagny, dans le Calvados, et celui d’Eppeville, dans la Somme. Aujourd’hui, l’inquiétude de toute une filière laisse place à une colère grandissante face au refus du groupe de négocier.

La sucrerie de Cagny (Calvados) pourrait fermer ses portes d'ici 2021: une catastrophe économique pour la région Normandie puisque 500 emplois directs et indirects dépendent de cette entreprise — Photo : © Isabelle Evrard - Le Journal des Entreprises

La nouvelle avait jeté un froid dans la plaine de Caen. En février 2019, le groupe Südzucker, maison mère de Saint-Louis Sucre, annonce la fermeture programmée des sucreries de Cagny (Calvados) et d’Eppeville (Somme), mais aussi de deux usines allemandes et d’une usine polonaise dès la campagne 2020-2021.

Le groupe allemand, acteur majeur de l’industrie agroalimentaire (28 sucreries en Europe et deux raffineries,19 200 salariés 6,8 Md€ sur 2018-2019), explique les raisons de cette décision : « Ce projet répond à la nécessité de s’adapter à la nouvelle donne du marché du sucre : libéralisation du marché européen depuis octobre 2017 avec suppression des quotas, surproduction à l’échelle mondiale et effondrement du cours du sucre sur les marchés mondiaux et européens. » De fait, le groupe Südzucker, a enregistré une perte de 239 millions d’euros sur l’exercice 2018-2019 pour sa branche sucre.

Südzucker refuse une offre de rachat

Depuis cette annonce, les salariés de l’usine, les betteraviers, élus régionaux et parlementaires ont engagé de multiples démarches pour tenter de sauver les sites français. A la suite de plusieurs réunions de crise, la Confédération générale des planteurs de betteraves a rédigé un courrier à destination du Premier Ministre Edouard Philippe, demandant « l’engagement du gouvernement à mettre en œuvre, sans délai, tous moyens et leviers permettant de lever les réticences à la reprise des sites, dans un esprit de coopération franco-allemande et de préservation de l’industrie européenne. Nous ne pouvons accepter la fermeture aveugle et unilatérale de deux sites économiquement viables ».

La Confédération des betteraviers et l’Agence pour le développement économique de la Région Normandie (ADN) se sont ainsi réunies pour bâtir un plan de reprise des deux sucreries et transmis au groupe, une offre d’achat de 30 millions d’euros pour les deux sites.
Mais le groupe allemand semble sourd face aux revendications de la filière. Dès le 23 mai, avant même de recevoir l’offre, le groupe allemand a affiché un refus catégorique de vendre ses sites. Selon le directoire du groupe Südzucker, le projet de reprise des sites de Cagny et d’Eppeville ne résoudra pas le problème de surproduction : « La France représente un marché excédentaire et produit deux fois plus de sucre qu’elle n’en consomme. La concurrence y est très forte, tant pour l’approvisionnement en betteraves que pour les débouchés. » Et le Dr Heer, président du Directoire, de confirmer : « Nous n’arrêtons pas la production de sucre pour la proposer à d’autres acteurs, mais bien pour retirer des capacités du marché ». Saint-Louis Sucre a également l’intention de maintenir les capacités de stockage de Cagny : concrètement, la sucrerie arrêterait la production de sucre et recentrerait son activité sur le stockage de sucre, de mélasse et la production d’alimentation animale à partir de mélasse. Des activités qui ne nécessiteraient que le maintien de huit emplois, soit dix fois moins que les effectifs actuels…

« Nous ne pouvons accepter la fermeture aveugle et unilatérale de deux sites économiquement viables »

500 emplois menacés

La production représente, chaque année, 36 000 ha de betteraves (21 000 ha à Eppeville et 15 000 ha à Cagny) et 500 000 tonnes de sucre soit près de 10 % de la production française. — Photo : ©Pixabay

Fleuron du paysage industriel normand depuis 1951, l’usine sucrière de Cagny s’étend sur une quinzaine d’hectares et emploie aujourd’hui 90 salariés permanents et 70 saisonniers. Celle d’Eppeville dans la Somme fait travailler 123 salariés. Au-delà des effectifs salariés, pour la sucrerie de Cagny, ce sont plus de 400 emplois indirects qui seraient concernés. Car c’est toute une filière qui est touchée : planteurs, transporteurs de betteraves, personnels de maintenance, sous-traitants, gardiennage… La production représente, chaque année, 36 000 hectares de betteraves (21 000 hectares à Eppeville et 15 000 hectares à Cagny) et 500 000 tonnes de sucre soit près de 10 % de la production française. Devant le refus du groupe Südzucker de négocier, l’inquiétude a laissé place à la colère chez les entrepreneurs de travaux agricoles normands qui ont collectivement investi près de 11 millions d’euros de machines betteravières, ces dernières années : « Attention à ne pas pousser à l’irréparable des hommes et des femmes qui ne sont responsables en rien de la gestion mondiale, européenne et nationale du marché sucrier mais qui ont collectivement investi ici, en Normandie », déclare Patrice Gauquelin, président d’EDT Normandie ( Entrepreneurs des Territoirs) et porte-parole du collectif des ETA (Entreprises de travaux agricoles) betteraviers normands en colère.

L’assemblée générale du groupe Südzucker se tiendra le 18 juillet prochain. Les Normands espèrent bien faire entendre leur voix d’ici là.

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