Hervé Morin: « La Région au capital d’une entreprise, ça rassure les investisseurs »
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Hervé Morin: « La Région au capital d’une entreprise, ça rassure les investisseurs »

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Brexit, énergies renouvelables, nucléaire, export… Les chantiers sont nombreux en Normandie et les opportunités de business ne manquent pas. Pour les soutenir, la Région dispose d’une boîte à outils spécifique avec l’Agence de Développement pour la Normandie (AD Normandie) créée à l’arrivée d’Hervé Morin à la présidence de la Région en 2016 et dont l’impact commence à se faire sentir sur les performances de l’économie locale. Le président de la Région Normandie revient sur les conséquences de l’incendie de Lubrizol pour en tirer des enseignements et mise sur la formation pour lutter contre le chômage avec la création d’une agence dédiée à l’orientation.

Hervé Morin: : « Au-delà de notre présence financière, le fait que la Région rentre dans le capital, c’est pour l’entreprise souvent aussi un moyen de débloquer le reste »
— Photo : © Sébastien Colle/JDE

L’Agence de développement pour la Normandie (AD Normandie) créée au début de votre mandat, guichet unique pour les entreprises normandes en matière d’aide économique, répond-t-elle a votre ambition de simplification de la vie des chefs d’entreprises et de financement de l’économie régionale ?

Hervé Morin : L’objectif de l’AD c’est d’avoir une équipe totalement dédiée portant une des grandes priorités de la Région qui est de redresser l’économie d’une région qui a beaucoup souffert de vingt ans de désindustrialisation et d’une politique très molle des deux anciennes majorités sur ces questions. De porter de nombreuses innovations comme la création d’un fonds d’investissement, d’un fonds de prêts participatifs, d’un accélérateur à l’export. Enfin, l’élément majeur de la création de cette agence, bras armé de la Région sur ces sujets, c’est de gérer la complexité. Moi, ce que je voulais, c’est, dans l’esprit d’une équipe de chargés de missions, que la complexité soit gérée par l’administration et non pas par le chef d’entreprise. En clair, un collaborateur avec sa boîté à outils, et en face, un chef d’entreprise qui lui dit : moi j’ai un projet comment vous pouvez m’aider ? Et avec un dossier le plus simple possible, et non pas des formulaires de 45 pages avec 36 conditions, qu’il puisse dire voilà la solution qu’on vous apporte. Que ce soient des crédits européens, régionaux, ou encore nationaux, des départements, ou d’intercommunalités, qu’on lui apporte une solution clé en mains. Le tout avec des délais courts pour une réponse en moins de deux mois, ce qui est le cas, et moins de dix jours à l’export.

Où en est-on avec le fonds Normandie participations ?

H.M : 38 entreprises pour le moment et une centaine de dossiers en court, pour 40 M€ engagés et 240 M€ levés, donc rapport de 1 pour 6. Il y a des modalités beaucoup plus longues car il y a la valorisation de l’entreprise qui fait toujours l’objet de débats, et le fait que nous intervenons en co-investissement. L’avantage de Normandie participations, c’est qu’au-delà du ticket que nous mettons, cela nous a permis d’avoir aujourd’hui entre 40 et 50 fonds et banques qui nous accompagnent pour participer au financement des entreprises

« Normandie participations doit prendre plus de risque qu’un fonds d’investissement classique »

A-t-il été difficile de faire venir ces fonds ?

H.M : Non, car il y a finalement beaucoup d’argent en France et que les fonds sont plutôt à la recherche de bons projets. Et au-delà de notre présence financière, le fait que la Région rentre dans le capital, c’est pour l’entreprise souvent aussi un moyen de débloquer le reste. Ça rassure. A côté du fonds d’investissement on a mis en place un fonds de prêts participatifs avec la Banque européenne d’investissement.

Le président de la Région Normandie, Hervé Morin, est venu fêter les trois ans du fonds Normandie participations au siège de Maison Berger à Bourgtheroulde, soutenue par le fonds en 2017 lors de la cession de la société. De gauche à droite: Hervé Morin, président de la Région Normandie, Olivier Sillon, président de Maison Berger et Franck Murray, président de Normandie participations — Photo : S.C

Qu’est-ce qui démarque Normandie participations des autres fonds d’investissement ?

H.M : D’abord il est régional. Le comité d’engagement est composé de chefs d’entreprise qui sont des références dans l’économie régionale. Donc ce sont des chefs d’entreprise qui s’adressent à des chefs d’entreprise, pas des banquiers qui s’adressent à des chefs d’entreprise. Bien sûr il y a une équipe dédiée à l’analyse financière. De plus, ce que je souhaite c’est que l’on prenne des risques, pas des risques insensés, mais plus de risques qu’un fonds d’investissement classique. L’entreprise qui fait 15 points de marge n’a besoin de personne., elle trouve autant qu’elle veut. Ce que je veux c’est que l’on s’adresse aux entreprises du champ traditionnel, pas uniquement des start-up et qu’on puisse être sur des entreprises dont les marges sont plutôt à 2 ou 3 points et pour lesquelles trouver des fonds est plus compliqué.

Le fonds va-t-il rester essentiellement dédié au développement des entreprises, ou allez-vous élargir ses missions ? Aux entreprises en difficulté par exemple ?

H.M : L’idée c’est qu’on soit plus sur le développement de l’entreprise, mais aussi sur la stabilisation du capital de l’entreprise, notamment au moment de la transmission de l’entreprise ou du rachat de l’entreprise. Et puis, quelques fois, mais c’est extrêmement rare, on peut l’être au moment où l’entreprise est en difficultés, mais ce n’est pas l’objectif premier.

Quelles sont vos inquiétudes face au Brexit ? Vous êtes le président du syndicat mixte ports de Normandie, pensez-vous que nos ports soient bien préparés en cas de Brexit dur ?

H.M : Oui, nous on a mis en place et financé les infrastructures nécessaires, et de son côté, l’Etat a mis les contrôles vétérinaires et douaniers qui vont bien, enfin disent-ils… Le problème risque de se poser de l’autre côté de la Manche. Lors de ma dernière rencontre avec les responsables des ports britanniques avec lesquels nous travaillons, j’ai constaté qu’aucun effort n’a été effectué, ils n’ont pas embauché un douanier, ni un contrôleur vétérinaire. Et d’un autre côté, ils nous indiqué qu’il y a 10 000 opérateurs, notamment des TPE et PME qui aujourd’hui avaient une partie de leur activité dans le lien transmanche, et qui n’avaient pas du tout étaient formés pour accomplir l’ensemble des formalités liées à la restauration d’une frontière. Donc le risque c’est que l’on ait des thromboses notamment liées au fait que les opérateurs privés intervenant ne soient pas en capacité de répondre à des exigences aussi simples qu’un dossier de douanes, l’ensemble des formalités liées à une opération d’exportation.

Colombie, Iran, Russie… Vous avez fait plusieurs voyages à l’export avec des entreprises régionales. Quelle est la place de l’export dans votre stratégie économique pour la région ?

H.M : On essaie d’y aller au maximum. A travers notre accélérateur à l’exportation nous avons 206 entreprises, dont 50% occasionnelles ou néophyte. Nous consacrons 6 millions d’euros par an pour aider les entreprises à travailler à l’export, parce que c’est toujours des aventures compliquées, couteuses, et notamment pour des PME. Nous avons des résultats à l’exportation qui sont nettement meilleurs que la moyenne nationale et je pense qu’on y est un peu pour quelque chose… puisqu’on est sur 50% de plus que la moyenne nationale en 2018, et encore sur 30 à 35% de plus que la moyenne nationale sur 2019. Quand on est dans un pays à croissance faible et dans un continent à croissance faible, aller chercher les marchés dynamiques, notamment d’Asie ou d’Afrique, ça fait partie des choses que doit faire une Région. Mais ce que fait la Normandie c’est ce que font les régions italiennes et les Land allemands depuis très longtemps, aller sur place avec des boites régionales ou accueillir sur place des délégations de chefs d’entreprises. Avec l’Iran on est à présent sur un échange régulier au moins une fois par an de chefs d’entreprises iraniens, mêmes si les français sont un peu moins chauds aujourd’hui... Nous allons également conclure un accord avec le fonds souverain marocain, pour co-financer des investissements d’entreprises normandes au Maroc ou marocaines en Normandie.

Naval énergies a mis fin à ses investissements dans l’hydrolien, estimant qu’il n’y avait pas assez de perspectives commerciales n’y de soutien public, ils se sont orientés vers l’éolien flottant et l’énergie thermique. Est-ce pour vous la preuve d’un manque de stratégie économique en France ?

H.M : Naval group a abandonné parce que l’Etat a décidé d’abandonner cette filière, avec des raisonnements technocratiques qui sont de regarder le court terme au lieu du long terme. On a eu le même débat sur le solaire, lorsque j’étais parlementaire à l’époque, et on nous expliquait que le solaire n’avait pas d’avenir, ce qui fait qu’on n’a pas de filière solaire aujourd’hui. Comme l’Etat nous a abandonné on s’est retroussé les manches. Aujourd’hui on a une société commune avec la seule société dans le monde qui fait des turbines et qui s’appelle Atlantis, on a créé une joint-venture entre Atlantis et Normandie participation. Nous avons récupéré auprès d’Engie EDF les deux concessions existantes, à titre gratuit, et nous avons obtenu gain de cause, auprès de l’Etat, sur le transfert de ces deux concessions pour notre société commune. Et donc il n’y a plus que les procédures administratives qui permettront à la société « Normandie hydrolienne » de fonctionner.

Hervé Morin, président de la Région Normandie — Photo : © Isabelle Evrard - Le Journal des Entreprises

Il y a de bonnes nouvelles en matière d’énergies renouvelables avec les partenariats noués entre GE Renewable Energy qui vont représenter un volume potentiel de 400 éoliennes à fabriquer sur Cherbourg, qui fabrique les pales… Une filière cette fois d’avenir et concrète ?

H.M : Oui, la très belle nouvelle c’est que GE est en train d’engranger marché après marché et donc très clairement, l’usine qui a été montée doit voir ses effectifs croitre de façon très significative, puisqu’aujourd’hui, Jérôme Pécresse, patron de GE sur ce secteur, nous annonce en tout l’embauche de 600 personnes, avec un carnet de commandes plein pour 6 a 7 ans. De son côté, Siemens va monter son usine au Havre. Ce que moi je craignais c’est qu’il y ait une usine de trop, mais a priori, grâce à l’export, il y aurait des volumes suffisants. Et sur Cherbourg nous avons investi 100 millions d’euros pour aider le projet. De plus, nous sommes en discussion avec Siemens, pour que l’assemblage définitif des éoliennes des champs de Fécamp et Courseulles soit réalisé sur le port de Cherbourg. Donc il faudra encore investir sur le port entre 10 et 15 M€ pour que l’activité puisse se développer. C’est Ports de Normandie qui fera l’avance. Il reste à déterminer les conditions précises mais au final, c’est Siemens qui paiera, pas le contribuable.

Vous avez annoncé en février la candidature de la Normandie pour la construction de nouveaux EPR, notamment à Penly. Est-ce toujours d’actualité vu les difficultés rencontrées par le réacteur ?

H.M : De toute façon, l’Etat ne prendra pas de décisions avant que Flamanville ne soit en fonctionnement, c’était la position du gouvernement, donc si je comprends bien on reprend deux ans, et j’imagine que tout sera retardé d’autant. C’est une filière importante chez nous (28 000 emplois, NDLR), énormément de commandes et de sous-traitants, avec un gros travail d’EDF en local avec son délégué régional, Alban Verbecke, que je remercie, pour faire en sorte qu’il y ait le plus de retombées possibles pour l’économie régionale. A La dernière réunion que nous avons effectué avec lui, il y avait plus de 400 chefs d’entreprises qui ont pu être éclairés sur ce qu’est en train d’investir EDF, puisque EDF est en train de faire du carénage sur ses centrales nucléaires, avec des commandes pour des travaux de plusieurs milliards.

Après des années d’efforts pour développer l’attractivité de l’agglo rouennaise, l’incendie de Lubrizol risque de tout remettre en cause et au-delà l’image de la Normandie. Que faire pour limiter les dégâts ?

H.M : Lubrizol c’est la preuve que la France ne s’est jamais préparée à une catastrophe industrielle. Après il y a toute une série de questions sur la formation et l’éducation des populations vivant à côté d’un site Seveso, les moyens de communication mis en œuvre par l’Etat pour ne pas générer l’angoisse qu’a généré la communication ? Comment on créé les conditions de la transparence, comment on dote l’ensemble des agents, policiers, gendarmes et autres autorités de moyens de protection ? De toute évidence tout cela n’a jamais été pris en compte en France. La commission d’enquête parlementaire aura cet immense avantage de permettre de faire le point sur tous les dysfonctionnements, et ce n’est pas seulement les maladresses gouvernementales, c’est surtout l’impréparation face à cela. Il faut que cette commission d’enquête dresse en quelque sorte un Vademecum très précis de ce qu’il faut mettre en place. Il y a beaucoup de choses à faire en profondeur. Il faut par exemple réaliser des exercices car ça n’est jamais fait.

Que faire pour préserver l’attractivité du territoire après un tel incident ?

H.M : D’abord il faut laisser du temps pour que les choses se posent. Il faut d’abord sortir de la période de doutes et d’aléas. Et ensuite il faudra bâtir une vraie stratégie. On avait réussi une très bonne séquence avec L’Armada, en impliquant beaucoup plus les milieux économiques que dans les Armada précédentes, on a bâti quelque chose de solide. Il faudra que les collectivités se mettent autour de la table, et se disent comment on relance les choses. A Toulouse, on a bien fini par réussir à retrouver une dynamique positive, il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas. Il sera d’ailleurs intéressant de voir comment Toulouse a procédé.

« L’orientation, c’est le grand chantier de la Région en 2020 »

Il y a des bons chiffres en matière d’emploi en Normandie avec des départements qui sont presque au plein emploi comme la Manche. Mais il y a aussi des filières comme l’aéronautique ou l’industrie, dans des domaines comme la chaudronnerie, qui n’arrivent pas à recruter. Vous avez parlé de mettre en place un outil, une agence régionale dédiée à l’orientation. Où en est-on ?

H.M : L’orientation c’est le grand chantier de la Région sur l’année 2020. L’Agence Normande d’Orientation, dont le siège sera à Brionne, sera officiellement créée au 1er janvier, en partenariat avec les Départements, les intercommunalités, les universités... Car une des clés de la lutte contre le chômage de masse, c’est la bonne orientation. Faire en sorte que des jeunes découvrent des métiers, appréhendent des métiers dont on peut vivre, sortent de la représentation dans laquelle ils étaient sur certains métiers. Pour moi c’est quelque chose d’extrêmement clé, très systémique en fait. C’est un énorme travail car c’est s’adresser à des centaines de milliers de jeunes. C’est à la fois beaucoup de dentelle car il faut avoir un travail par bassin d’emplois. Nous allons demander à l’Agence de développement pour le Normandie de nous aider, en demandant aux entreprises qui ont bénéficié de son aide de s’engager dans la formation et l’orientation. On a la un vrai sujet, avec la construction d’un modèle, avec lequel on fait en sorte que les jeunes puissent avoir une connaissance d’eux-mêmes, l’estime de soi nécessaire pour appréhender certains métiers, connaissent les métiers, connaissent les entreprises, que les enseignants puissent avoir une autre représentation d’un ensemble de métiers et surtout les familles puisqu’elles sont souvent déterminantes dans le choix d’orientation des jeunes. C’est un énorme chantier mais capital et clé, c’est une des clés pour permettre à l’économie régionale d’avoir les hommes et les femmes dont elle a besoin. Derrière cela, il y a aussi une question de lutte pour l’égalité, puisque c’est aussi de permettre aux jeunes femmes de pouvoir aller vers des métiers pour lesquelles elles ne se destinent pas pour l’instant compte tenu de représentations anciennes et assez insupportables. Ainsi, dans les start-up vous avez une grande majorité d’hommes… Ce sont des choses qui doivent changer.

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