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Fermeture de Chapelle-Darblay : quel avenir pour l’industrie papetière rouennaise ?
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Fermeture de Chapelle-Darblay : quel avenir pour l’industrie papetière rouennaise ?

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L’agglomération de Rouene a longtemps été l’un des plus importants bastions de l’industrie papetière française. Ses usines et les importations portuaires nourrissaient, notamment, la demande des imprimeries de presse de la région parisienne et au-delà. Mais le territoire subit le choc de la restructuration du secteur papetier avec la fermeture du site UPM de Chapelle-Darblay à Grand-Couronne.

— Photo : D.R

Sacré coup dur pour l’industrie papetière normande. Basée dans l’agglomération de Rouen, la papeterie Chapelle-Darblay de Grand-Couronne a fermé ses portes, laissant sur le carreau 230 salariés et impactant indirectement au moins 800 autres emplois. En septembre 2019, le géant finlandais UPM, premier producteur mondial de papiers graphiques, annonçait son intention de vendre sa papeterie normande. Coup de tonnerre au printemps. Faute d’acheteur, le groupe finlandais décide tout bonnement d’arrêter la production.

Suite à un accord passé entre UPM France SAS et les organisations syndicales dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi, le site sera maintenu en état de fonctionnement jusqu’en juin 2021. Au-delà, à défaut d’un repreneur, ce fleuron industriel sera voué au démantèlement. Un coup sévère à l’avenir de la filière papetière rouennaise, auquel personne n’entend se résoudre localement. Dans le cadre de la procédure dite Florange, le préfet de la région Normandie a assujetti l’entreprise à « une obligation de revitalisation industrielle pour garantir le maintien au plus haut niveau possible des emplois et des compétences sur le territoire concerné ».

Effondrement de la demande de papier

Financée par les dommages de guerre payés par l’Allemagne, la papeterie de Grand-Couronne, construite sur 33 hectares au cœur de la zone industrialo-portuaire de Rouen, a démarré sa production en 1928. La vénérable papeterie rouennaise a été piégée par la chute de la demande de papier journal dont elle assurait 15 % de la production française. Un choc dépassant largement l’Hexagone qui a poussé UPM (7 500 salariés, 4,5 Md€ de CA) à réduire sa capacité de production en Finlande et à vendre une papeterie au Pays de Galles.

Il faut dire que la production de papier est en recul, en valeur, de 13 % dans l’Hexagone en 2019, selon les chiffres de l’Union française des industries des cartons. Sur ce marché, les papiers dits graphiques - segment qui correspond à l’activité de l’usine de Grand-Couronne - souffrent particulièrement, avec une chute annuelle de 22 %. Supplantés par l’emballage (61 % des volumes), mais toujours devant les papiers d’hygiène (11 %), les papiers graphiques ne représentent plus que 22 % de la production tricolore. Ils pesaient plus du double il y a vingt ans.

Nicolas Mayer-Rossignol, président de la Métropole Rouen Normandie — Photo : Alan Aubry-Métropole Rouen Normandie

La fermeture du site UPM de Grand-Couronne laisse un grand vide pour l’industrie tricolore du recyclage. "Seule en France à produire du papier journal recyclé", l’usine de Chapelle-Darblay "assure le recyclage du papier de la moitié de la France. Sans elle, on devrait l’incinérer ou l’enfouir. S’en priver serait absurde", indique ainsi Nicolas Mayer-Rossignol, président de la Métropole Rouen Normandie. Trié, le papier usagé était transformé en papier journal grâce à trois unités de désencrage. L’usine en a produit 350 000 tonnes en 2018, et encore 250 000 tonnes l’an passé. Des bobines en majeure partie destinées aux imprimeries de presse en région parisienne. Mis en œuvre dès 1985, l’ensemble constitue un modèle d’économie circulaire.

Des pistes pour une reprise d’activité

« Chapelle-Darblay est un site industriel écologique remarquable », assure Arnaud Dauxerre, représentant du collège cadres au comité social et économique de l'entreprise qui, avec d’autres salariés, cherche à donner une nouvelle vie au site. Une reconversion n’est pas impossible. L’usine dispose d’une chaudière biomasse capable de chauffer l’équivalent d’une ville. Sa station d’épuration peut par ailleurs subvenir aux besoins de 400 000 habitants. «Toutes les pistes de diversification doivent être explorées », insiste Arnaud Dauxerre.

Entreprise spécialisée dans le recyclage des emballages ménagers et des papiers graphiques, Citeo a réalisé trois études pour mieux identifier les axes de diversification possibles. Ces études « ont permis d’identifier de nouvelles applications telles que la production de papier pour ondulé destiné à l’emballage, de pâte marchande pour les papiers sanitaires, de papier ramette 100 % recyclé, de cellulose moulée ou encore la production de ouate pour l’isolation", indique Arnaud Dauxerre. Les machines en place peuvent réaliser ces fabrications à condition de les adapter moyennant un investissement. Prêt à engager financièrement sa collectivité, le président de la métropole de Rouen estime lui aussi que la papeterie "peut trouver de nouveaux débouchés". Notamment "dans l’isolation thermique ou l’e-commerce".

Tout espoir n’est donc pas éteint. En Normandie, État, Région, collectivités locales ou encore salariés sont engagés dans une course contre la montre pour faire revivre ce site. Cette résurrection pourrait être menée par un industriel belge.

La possibilité VPK ?

Le groupe VPK s’intéresse en effet à la reprise du site de Grand-Couronne. Actif dans une vingtaine de pays, ce groupe familial belge présidé par Pierre Macharis affiche 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Mi-octobre, le dirigeant assure avoir été par le passé en relation avec UPM pour reprendre l’usine normande. Mais « la transaction n’a pu se réaliser à ce jour (du fait) de la complexité créée par la crise sanitaire », assure-t-il. Une précision qui peut laisser penser que les négociations ne sont pas au point mort.

Le groupe VPK consomme 1,2 million de tonnes par an de papier pour onduler destiné au cartonnage. Il en produit lui-même la moitié. Au siège basé à Alost, on souligne que l’entreprise est l’un des plus gros acheteurs de papier à onduler du marché. Et l’on ne dissimule pas l’intention « d’intégrer sa propre capacité de production ».

DS Smith Paper, à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime)
— Photo : DS Smith

C’est dans cette stratégie qu’il faut replacer le rachat, suivi de la conversion, d’UPM Stracel de Strasbourg « avec grand succès » considère l’industriel belge. Un site en Normandie cadrerait donc avec cette stratégie en permettant d’y produire le papier utilisé par les unités de production de VPK dans l’ouest de la France, et également au Royaume-Uni. De plus, le groupe est déjà présent en Normandie avec deux cartonneries, l’une à Lisieux (Calvados), l’autre aux Andelys (Eure), employant quelque 300 personnes.

Un secteur qui n’a pas dit son dernier mot

À Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), la papeterie fondée elle aussi en 1928 était dans les années soixante la plus grande unité de production de papier journal à base de pâte mécanique en Europe. Elle abrite aujourd’hui l’une des trois usines françaises du groupe britannique DS Smith (30 000 salariés, près de 7 Md€ de CA). Deux entités complémentaires (une papeterie et une cartonnerie) cohabitent sur le site stéphanais. « Avec un effectif de 160 personnes, nous produisons ici 280 000 tonnes par an de bobines de papier recyclé destinées à la fabrication d’emballages carton dont 65 % à usage interne. Le reste est vendu à des clients extérieurs », indique David Deparis, directeur général de la papeterie. La cartonnerie est, elle, spécialisée dans la production d’emballages industriels pour produits lourds ou de grandes tailles comme les pièces détachées pour l’automobile.

Le trafic papiers et pâtes à papier via les terminaux du port de Rouen représente un flux annuel dépassant 200 000 t — Photo : Haropa port de Rouen

En 2019, DS Smith a vendu à International Paper, deux de ses cartonneries normandes, à Saint-Amand (Manche) et à Cabourg (Calvados). Le papetier américain disposait déjà d’une unité de ce type à Saint-Langis-lès-Mortagne (Orne).

Autre présence papetière de poids en Normandie : Double A à Alizay (Eure). Le groupe thaïlandais avait acquis le site en 2013 auprès du Département de l’Eure qui l’avait racheté pour 22 millions d’euros au Finlandais M’Real. Il avait fallu trois ans pour trouver cette solution qui allait se traduire par la création de 300 emplois avec la reprise en 2015 de la production de pâte destinée à la fabrication de ramettes de papier de bureau.

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