Pourquoi ces PME misent sur le "made in France"
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Pourquoi ces PME misent sur le "made in France"

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Outil de communication, relais de croissance, le "made in France" est avant tout, pour beaucoup, une conviction profonde. L’engouement autour de la fabrication française se traduit dans la région Hauts-de-France par l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, soucieuse de sauvegarder les savoir-faire d’hier pour créer les emplois de demain.

Située à Beauvais, l’entreprise Bioseptyl a renoué avec la croissance en misant sur des approvisionnements 100 % français et écoresponsables. Un argument qui fait mouche auprès des consommateurs — Photo : Bioseptyl

Saluée ou moquée, l’apparition d’Arnaud Montebourg arborant sa fameuse marinière "made in France", en 2012, aura eu au moins le mérite de poser la question de la provenance de leurs achats à nombre de consommateurs. 75 % d’entre eux seraient d’ailleurs prêts à débourser quelques euros supplémentaires pour soutenir le "made in France", selon une étude réalisée par MIF Expo et Tudigo. L’engouement autour du salon du "made in France", dont la septième édition, en novembre à Paris, a rassemblé sur trois jours 500 exposants et près de 70 000 visiteurs, confirme cette tendance.

De nouvelles aspirations

Fortement marquée par la désindustrialisation, la région Hauts-de-France n’échappe pas au regain d’intérêt pour le "made in France", au croisement de nombreuses préoccupations contemporaines, de la sauvegarde des emplois à celle de la planète. Aux côtés des géants de l’industrie ou de la distribution, qui de plus en plus jouent la carte « locale », s’épanouissent sur ce terreau quantité de petites structures. Elles trouvent dans le "made in Hauts-de-France" un marché de niche, satisfaisant les aspirations d’une nouvelle génération d’entrepreneurs autant que celles de leurs clients.

Fabricante du fameux « Slip Français », l’entreprise familiale Lemahieu (6 M€ de CA, 92 salariés), dernière bonneterie toute intégrée en France installée à Saint-André-lez-Lille (Nord), vient ainsi d’être reprise par deux entrepreneurs, séduits par le potentiel d’une tradition 100 % française.

« Ayant beaucoup travaillé en Asie, j’ai vu de près les méfaits du grand import. »

« Il y a dix ans, je n’aurais pas forcément choisi de reprendre une boîte comme Lemahieu », souligne Martin Breuvart, qui a fait ses armes au sein du groupe de textile technique nordiste Sweetco. « Mais en ayant beaucoup travaillé en Asie, j’ai vu de près les méfaits du grand import. En quelques années, le monde et les mentalités ont évolué. Entre le chômage, la pollution, le drame du Rana Plaza (qui a vu mourir 1 135 ouvriers du textile dans l’effondrement d’un immeuble au Bangladesh en 2013, NDLR), beaucoup de perceptions ont changé. Désormais, les gens veulent de l’éthique et du durable. » Il poursuit : « C’est une tendance de fond, et nous avons eu de la chance de pouvoir reprendre une belle entreprise, à un moment où les indicateurs sont au vert. Actuellement, nous avons beaucoup d’appels entrants, et ça devient même problématique de tenir nos délais. » Depuis 2017, la filière textile recrée de l’emploi en France, une première depuis trente ans.

De plus en plus, la production est relocalisée en Europe, voire en France. « Le "made in France" a pour lui la simplicité opérationnelle : quand les lieux de production sont à quelques heures de route, le contrôle qualité est plus facile et la réactivité, plus grande. Et sans décalage horaire, la communication est simplifiée. Les surcoûts sont compensés par les économies sur le transport, et la diminution des défauts et des contrefaçons. Et ce, sans compter que ce sont des produits qui s’exportent très bien », énumère Charles Huet, chargé de développement au Salon du Made in France.

Vers des approvisionnements plus locaux

Le secteur textile est loin d’être le seul concerné par la vogue du "made in France". Sur la plateforme web Made In Local, créée depuis Merville (Nord) par Mathieu Allart, 600 entreprises de toutes tailles et de tous les domaines se retrouvent pour collaborer dans les Hauts-de-France.

« Après quinze ans comme acheteur dans la grande distribution, j’ai eu envie de mettre en avant le local. J’ai d’abord créé, en 2014, Pepper Buy, un cabinet de conseil spécialisé, au travers duquel j’aide mes clients - des entrepreneurs de tous les secteurs - à trouver des fournisseurs près de chez eux en maîtrisant leurs coûts. En 2015, j’ai adossé à cette activité une plateforme communautaire. Elle recense l’ensemble des entreprises locales et indépendantes, qui se fournissent elles-mêmes auprès d’acteurs locaux. De plus en plus de dirigeants de la région se posent la question de leur sourcing et essayent de se fournir au plus près de chez eux », explique l’entrepreneur, dont l’activité commence à gagner d’autres régions.

Bioseptyl, dernier fabricant de brosses à dents en France

Rendu parfois compliqué par la désagrégation de certaines filières, le problème du sourcing "made in France" peut être résolu par l’économie circulaire. Située à Beauvais (Oise), l’usine Bioseptyl est la dernière de France à fabriquer des brosses à dents. Au bord de la faillite en 2012, l’entreprise est reprise par Olivier Remoissonnet, un ancien salarié du site. « J’ai voulu démontrer que même sur un produit courant et jetable, on pouvait être compétitif en faisant du 100 % français. C’est un tour de force, mais notre entrée de gamme est à 2,50 euros, soit moins chère que certains produits importés d’Asie. Nous sommes rentables depuis la première année, alors que l’usine était en déficit depuis quinze ans. Aujourd’hui, nous sommes 30 salariés, fabriquons 8 millions de brosses à dent par an, et nous réalisons un chiffre d'affaires de 4 M€, en augmentation », détaille le dirigeant.

« Le plus compliqué avec le "made in France", c’est de recréer des filières disparues. »

Pour réussir, Olivier Remoissonnet a pris plusieurs mesures : opter pour la vente directe, par Internet, sur abonnement, ou dans des magasins bio, et faire baisser la facture énergétique de son usine. Surtout, depuis un peu plus de deux ans, Bioseptyl récupère les brosses à dents usagées auprès de ses clients, pour en réutiliser le plastique. « Nous avons pu mettre cela en place parce qu’on est en local et que l’on connaît nos clients et nos distributeurs. Pour nous, le recyclage et l’écocitoyenneté sont partie prenante de la démarche "made in France", qui n’est pas une fin en soi », estime Olivier Remoissonnet.

Avec 4 % de parts de marché, Bioseptyl reste un "petit poucet". Mais l'entreprise commence à exporter ses produits jusqu’en Asie et se diversifie dans la brosse à cheveux. « Le plus compliqué, c’est de recréer des filières », témoigne le dirigeant. « Lors de la reprise, je me suis associé avec un plasturgiste spécialisé dans le plastique biosourcé et recyclé, et nous avions le savoir-faire depuis 170 ans, donc c’est allé tout seul. Pour les brosses à cheveux, il a fallu trouver une exploitation de hêtre française, puisqu’on n’allait pas vendre un bout de bois qui aurait fait 10 000 km. Mais il a fallu recréer tout un savoir-faire et cela a été plus long. »

Les recrutements restent un frein

Les délocalisations de ces trente dernières années dans la région ont eu des effets désastreux sur l’emploi industriel, pointent du doigt tous nos interlocuteurs. Plus que la matière première, c’est la main d’œuvre qui fait défaut aux entreprises souhaitant produire localement. Tout comme Lemahieu et nombre d’industries régionales, Cabanon, une fabrique de tentes haut-de-gamme située près de Bailleul (6,7 M€ de CA, 57 salariés), dans le Nord, se heurte à des problèmes de recrutement.

« C’est le seul frein au développement, et ce malgré tous les efforts menés sur le territoire. Il doit y avoir 14 % de chômeurs dans le Dunkerquois mais on ne les voit pas. De plus, nos techniques sont très spécifiques, il faut compter deux ans de formation pour nos couturiers… Nous allons bientôt nous heurter à un problème de renouvellement de génération », se désole Pierre Cerulus, qui a repris l’entreprise en 2013. Il va pourtant bien falloir trouver un moyen de remplir les usines, puisque la vague du "made in Hauts-de-France" ne semble pas près de se briser.


Nord Terre Textile, un label artisan du "made in France"

Lancé en 2014, le label Nord Terre Textile rassemble aujourd’hui 26 entreprises des Hauts-de-France. Tisseurs, teinturiers, dentelliers ou faiseurs, elles ont toutes réussi à maintenir leurs savoir-faire, malgré un contexte morose. Aujourd’hui, la filière se ranime et fait valoir, plus que jamais, la qualité de sa production. « En 2017, pour la première fois depuis longtemps, les effectifs ont augmenté au lieu de chuter comme ils l’ont fait en continu », se réjouit Jean-Dominique Aublin, directeur du développement du label. « Perdre un savoir-faire, ça va très vite, et dans la région, nous en avons perdu beaucoup. Le label est un outil pour préserver et pérenniser la filière, puisqu’il garantit qu’au moins 75 % des transformations sont réalisées sur place ou dans une autre entreprise labellisée. »

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