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Octave Klaba, fondateur d'OVH : "Si on ne sait pas recruter, on ne peut pas croître"
Interview Nord # Informatique # Ressources humaines

Octave Klaba Octave Klaba "Si on ne sait pas recruter, on ne peut pas croître"

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Fondateur et directeur général d'OVH, Octave Klaba revient sur son parcours atypique. C'est une aventure démarrée grâce à une cabane en bois, aux Etats-Unis, qui a donné naissance quelques années plus tard au géant roubaisien de l'hébergement et du cloud en Europe, avec 1 600 salariés.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Les débuts d’OVH, aujourd’hui leader européen du cloud, sont très atypiques. Le Quelques anecdotes ?

Octave Klaba : Durant mes études, je passais beaucoup de temps sur un site Internet personnel, qui comprenait des forums et de petits utilitaires. Ce site était hébergé aux Etats-Unis,en Pennsylvanie, chez un petit prestataire. Cet hébergeur a voulu me couper la ligne parce que j'utilisais trop de ressources. Je lui ai dit : « stop, donne moi une semaine ». Et je me suis rendu chez lui, aux Etats-Unis, pour installer un serveur dans ce qui, en fait, était une cabane en bois avec quelques machines. Ca m'a permis de me rendre compte que le métier d'hébergeur n'était pas si compliqué que ça en réalité. De retour en France, j'ai lancé ma propre activité d'hébergement, de manière modeste, en empruntant 3.800 euros à mes proches et en louant dix serveurs chez un prestataire parisien. Mes parents m'ont vite rejoint dans l'aventure puis mon frère, quelques années plus tard. Après mes études, j’avais le rêve de créer une entreprise différente, plus communautaire.


Tout comme votre entreprise, l’effectif d’OVH comporte lui aussi un profil différent du salariat tel qu’on a l’habitude de le rencontrer…

O.K. : Toute personne qui vient travailler chez OVH confirme que cette société n’a vraiment pas d’équivalent. Dès l'an 2000, j’ai recruté une première équipe solide - après quelques déconvenues et premiers licenciements. À Roubaix, j’ai construit l’équipe sur le recrutement des compétences et des expertises qu’il me manquait. J’ai rencontré des personnes ouvertes d’esprit, avec qui on peut échanger, qui ont envie de changement. Tout l’esprit d’OVH est là : se demander avec les autres quel sera le changement de demain. Ça doit être une excitation pour nos salariés, pas une zone de stress. Depuis six mois environ, je cherche une nouvelle compétence chez les candidats : le leadership. C’est-à-dire des personnes qui donnent envie aux autres d’aller plus loin, elles n’ont pas forcément en charge un service, un projet ou une infrastructure mais elles ont en charge des gens. Ils font exactement ce que des parents feraient avec leurs enfants : les élever pour les faire vivre de manière autonome. Ça reste difficile comme construction d’équipes : on a une cellule d’une quinzaine de personnes au recrutement pour l’embauche de 40 collaborateurs toutes les deux semaines.


Comment être passé, du point de vue des ressources humaines, de la petite cellule des débuts au géant numérique qu’OVH représente aujourd’hui avec ses 1.600 salariés ?

O.K. : Ça a demandé beaucoup de travail de formation surtout. C’est passé par beaucoup de stages qui ont fini en job. Je ne voulais pas entendre parler de stages non rémunérés, il y a de vraies responsabilités même en tant que stagiaires. Si l’on demande aux gens de s’investir et délivrer des choses, il n’y a pas de raison que ça se fasse sans rémunération. Certains de ces stagiaires font dorénavant partie de l’entreprise, certains depuis 14 ou 15 ans. L’autre recette : l’autonomie et de responsabilité. Je leur dis : « voilà la problématique à résoudre, à toi de te débrouiller. Tu as carte blanche ». C’est pour ça que je suis à la recherche de ce type de personnes autonomes, capable de s’entourer eux-mêmes des bons éléments. savoir s’entourer des bonnes personnes et la création des équipes, c’est plus de 50 % de la réussite. On a beau être entouré de technique, de datacenters, de serveurs… Ce boulot-là reste essentiellement humain. Si on ne sait pas recruter, on ne peut pas croître.


Quand vous évoquez OVH, vous parlez d’une âme… Qu’est-ce qu’une entreprise avec une âme ?

O.K. : Il est question de valeurs, de communauté. Ce qui fait tourner OVH aujourd’hui, c’est ce qui m’a poussé à fonder l’entreprise à ses débuts : une âme. On ne fait pas ce qu’on fait juste pour le business ou juste pour remplir nos journées. Je suis persuadé que tout est possible, à condition de s’en donner les moyens. Il y a une part de travail, une part de chance aussi. Mais surtout, OVH répond à un challenge permanent. Nous savons avancer sans même connaître la destination. On vit dans un contexte en perpétuel changement. Ça peut générer de l’anxiété et de la peur. Chez OVH, ça génère une excitation et un goût du défi. Moi, j’aime les changements. Je m’y sens comme un poisson dans l’eau. Et je préfère toujours voir le verre à moitié plein. Si on ne voit aucune solution le matin en se levant… autant rester dans son lit !


Vous êtes parrain de la dernière promotion Start by Euratech. Qu’est-ce qui vous motive à l’accompagnement de cet univers ?

O.K. : Ca m’intéresse d’échanger avec les entrepreneurs d’Euratechnologies pour toujours mieux saisir l’évolution des choses : pourquoi font-ils ce qu’ils font ? Comment ? Quelles sont les motivations pour changer le monde ? Je m’intéresse aussi à d’autres points de vue européens, à Londres ou Berlin. La Silicon Valley aussi où j’ai rencontré un état d’esprit proche de celui d’OVH. Je m’inspire de ce que je vois et réfléchis à la manière dont ça peut inspirer OVH. Raconter mon histoire personnelle peut aussi être enrichissant : je suis parti de rien, sans capital. J’ai dû me battre pour que mes parents me prêtent la moitié du capital, le père de mon ex m’ayant prêté l’autre partie pour pouvoir être capable de créer ma boîte. Ils ont dû céder, finalement, pour avoir la paix. J’entends souvent des gens se demander s’il est possible de commencer comme ça, si ce n’est finalement pas que de l’utopie : je suis pourtant bien réel et OVH existe bien. On est pourtant arrivé d’une Pologne communiste dans les années 90, sans rien dans les poches. Je suis bien un exemple que c’est possible. L’entreprise vaut aujourd’hui plus d’un milliard et on continue encore de croître.


Et votre métier de dirigeant, que pouvez-vous en dire ?

O.K. : On sous-estime les difficultés d’un patron à " driver " son entreprise au quotidien. Les écoles ne forment pas à ce type d’exercices. Parmi l’une des qualités essentielles selon moi : le défi de l’embauche. Je me suis fait aussi débaucher des salariés. Il faut savoir les payer et conserver leur attrait pour l’entreprise. Ce n’est pas avec un Smic que l’on crée des qualités et des valeurs à l’embauche. Et puis, il y a quelque chose de dommageable à l’esprit français : si on réussit, on est un voleur et si on échoue, vous êtes un loser. C’est assez dingue de réfléchir encore comme ça. Les choses commencent à évoluer, via les incubateurs, via des cours d’entrepreneuriat à l’école, etc. Il y a des tonnes de talents à booster en France, et ce quels que soient les domaines ou les publics. Nous vivons une transformation profonde et chacun peut s’y inscrire à sa manière.

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