L'intelligence artificielle à la conquête des entreprises
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L'intelligence artificielle à la conquête des entreprises

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L’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres et au bout de nos doigts, derrière les écrans de nos smartphones… mais a-t-elle franchi la porte de nos entreprises ? Malgré les réticences, elles sont de plus en plus nombreuses à s’emparer de ces technologies protéiformes. Un booster de productivité en perspective pour l’entreprise.

— Photo : CC0

Les entreprises françaises sont-elles prêtes à faire le grand saut dans l’intelligence artificielle ? Rien n’est moins sûr, si l’on en juge l’étude publiée fin 2017 par Bpifrance-Le Lab, qui s’alarmait du fait que « 87 % des dirigeants de PME et d’ETI françaises n’affichent pas la transformation digitale comme une priorité stratégique pour leur entreprise ».

Un chiffre inquiétant quand une autre étude, réalisée par Accenture en 2017, estime que l’IA et les technologies qui en découlent (machine learning, deep learning...) aurait le potentiel de faire doubler le taux de croissance français d’ici 2035, et de booster la productivité des entreprises françaises de 20 %. Un relais de croissance dont beaucoup d’entre elles ne sauraient se passer, et qui surtout risque, dans les années à venir, de creuser un fossé entre les entreprises qui maîtrisent et utilisent ces technologies, et les autres. D’autant plus que tous les domaines d’activité peuvent y trouver un intérêt, même les plus traditionnels.

L’IA, pour qui ?

Territoire aussi vaste que nébuleux pour les néophytes, et dont on n’explore encore que les lisières, l’intelligence artificielle n’en offre pas moins déjà des applications bien identifiées et mises en œuvre, dans les Hauts-de-France, par des entreprises de toutes les tailles. La société informatique lilloise Decideom (70 salariés, 8 M€ de CA) accompagne déjà certains de ses clients sur ce terrain. « Les clients sont à l’affût. Ils entendent parler de l’IA, comme tout le monde, et certains se positionnent d’eux-mêmes sur ces sujets, en recrutant des data scientists par exemple, explique Christophe Malbezin, son dirigeant. Les technologies liées à l’intelligence artificielle rentrent peu à peu dans les entreprises, qui s’équipent de solutions pour le traitement de données, mais aussi pour se doter de nouveaux outils d’analyse, élaborer de nouvelles stratégies commerciales ou améliorer la segmentation de leur parc clients. »

« Dans les Hauts-de-France, historiquement forte sur le retail et la vente à distance, là où l’IA peut être précieuse, c’est dans la prédiction des ventes, l’optimisation des coûts ou celle des tournées de livraison. Mais énormément d’applications sont possibles bien sûr, et nous avons reçu beaucoup de marques d’intérêt de la part des entreprises régionales lors de la création de l’institut », estime Philippe Preux, chercheur et responsable de l'équipe-projet SequeL au sein de l’Inria Lille. Il complète : « Autre secteur intéressant, celui de la santé, avec une amélioration des prévisions et de la détection des maladies, et le développement d’outils d’aide à la prise de décision pour les soignants. »

La machine contre l’homme ?

Concrètement, l’intelligence artificielle peut intervenir dans tous les domaines intéressant les entreprises. Elle peut, en outre, gouverner l’outil qui permettra de raccourcir la supply chain, ou, sous forme de robot conversationnel (chatbot), devenir un instrument de communication externe ou interne. De manière générale, elle est à même de renforcer la productivité des humains, en leur redonnant le temps de se consacrer à des missions utiles.

« L'intelligence artificielle augmente l'humain, elle ne le remplace pas. »

« En aucune façon, nos solutions ne remplacent l’humain. Elles viennent l’aider dans sa tâche et lui épargner les plus répétitives, mais seulement pour lui permettre de se concentrer sur d’autres, plus valorisantes », assure Manuel Davy, qui a bâti Vekia (50 salariés, CA non-communiqué), l’une des start-up pionnières en intelligence artificielle dans la région, d'après ses recherches au CNRS. « L’IA augmente l’humain, elle ne le remplace pas », résume pour sa part Jean-Baptiste Branquart, vice-président en charge du pôle retail chez CGI, qui développe, dans son démonstrateur de Lille, des solutions à destination de sa clientèle de retailers.

Boîte noire et patte blanche

Reste que la technologie, aussi innovante qu’omnipotente, n’a pas toujours bonne presse. Croque-mitaine favori de la science-fiction, l’IA nourrit nombre de fantasmes, alimentés par la puissance vertigineuse des algorithmes de plateformes comme Facebook, dont les fondateurs eux-mêmes peinent à expliquer le fonctionnement. Ce phénomène de « boîte noire » est largement observé : les données fournies à l’algorithme sont connues, et ses résultats sont confirmés, mais impossible de comprendre le cheminement de la machine.

« Quantité de solutions arrivent sur le marché en se réclamant de l’IA... mais beaucoup sont aussi un peu gadget. »

Pour être acceptée, l’intelligence artificielle va donc devoir montrer patte blanche, et les acteurs l’ont bien compris. « Nous donnons beaucoup d’importance à l’éthique, qui fait partie intégrante de notre conception de l’IA. Nous nous sommes donné pour règle de ne collecter aucune donnée personnelle », assure par exemple Manuel Davy, dont les modèles prédictifs de gestion des stocks se nourrissent de quantité de données, dont certaines glanées sur les réseaux sociaux. « Et nous sommes en train de travailler sur des modules d’explication des résultats de notre solution, pour permettre à nos clients de mieux comprendre leurs résultats. » « En Europe, la législation est protectrice. Et surtout, les mentalités ne sont pas les mêmes qu’ailleurs, ce qui fixe des limites », rassure Jean-Baptiste Branquart, de CGI.

Comment se lancer ?

Toutes précautions prises donc, reste à savoir comment les entreprises régionales peuvent embrasser ces outils pleins de promesses. Passer par un intégrateur, ou par une solution en SaaS, pour tester sans s’engager, est une première option. D’autant plus que cela laisse à un spécialiste le soin de faire le tri. « Évidemment, en ce moment, quantité de solutions arrivent sur le marché qui se réclament de l’IA. On en voit beaucoup qui sont un peu gadget. C’est à nous de trouver celles qui auront une vraie valeur ajoutée pour nos clients… Mais les solutions évoluent sans cesse ! » décrit Christophe Malbezin, de Decideom.

Pour la start-up Heart Never Lies, qui a besoin d’une solution sur mesure, la stratégie sera toute autre : elle vient de lever 1 M€ pour notamment, développer toute une palette d’outils utilisant l’intelligence artificielle et compléter sa solution de marketing émotionnel. « L’IA va nous permettre d’améliorer considérablement tous les systèmes algorithmiques développés pour notre solution. Nous allons pouvoir traiter un nombre beaucoup plus important de données, et améliorer l’analyse, pour des résultats beaucoup plus fins. Nous sommes encore au début de la démarche. Pour le moment, nous n’avons pas atteint le volume critique de données à partir duquel nous allons pouvoir commencer à travailler, mais nous y sommes presque », détaille Antoine Deswarte.

L’entreprise de six salariés compte recruter pour le développement de ces modules, et s’appuyer sur l’écosystème existant en région. « Entre Villeneuve d’Ascq et Lens, nous avons un pôle d’excellence international sur ces questions, c’est une chance et une vraie opportunité technique que nous avons à portée de main, » se félicite le dirigeant.

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