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Emeraude Bensahnoun, la touche-à-tout devenue entrepreneuse de la restauration
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Emeraude Bensahnoun, la touche-à-tout devenue entrepreneuse de la restauration

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Emeraude Bensahnoun est la fondatrice et la dirigeante du Grand Bain, ouvert en février 2017. Cette enseigne de restauration roubaisienne permet aux chefs de tester un projet culinaire auprès du grand public, avant de lancer leur propre restaurant. Portrait d’une entrepreneuse persévérante et engagée.

— Photo : Le Grand Bain

À 44 ans, Émeraude Bensahnoun est une entrepreneuse aussi hyperactive que souriante. Difficile de garder longtemps l’attention de son regard vert : il se pose tantôt sur la cuisine ouverte de son restaurant, les badauds de passage derrière les vitres, une liste d’ingrédients posée là par une jeune chef ou encore les clients qui entrent pour le déjeuner, et qu’elle accueille chaleureusement. Une forme de dispersion qui révèle très vite un trait de personnalité de la dirigeante : Émeraude Bensahnoun est une touche-à-tout.

Le grand bain de l’entrepreneuriat

Cette entrepreneuse est aussi dotée d’une grande persévérance : la création de son restaurant le Grand Bain n’a pas été un parcours de tout repos. « Il est difficile de se lancer dans la restauration, un secteur en difficulté et donc blacklisté par les banques », souligne-t-elle. Difficile, cela l’est encore plus quand on n’est pas soi-même issu de ce secteur d’activité. Avant Le Grand Bain, Émeraude Bensahnoun était à la tête de Projob, une entreprise dans l’audiovisuel, qu’elle a créée en 2013. La restauration était donc loin d’être un destin tout tracé pour cette entrepreneuse originaire de Valenciennes et fille d’ouvriers. Plus jeune, son rêve était d’ailleurs tout autre : devenir danseuse professionnelle. Mais un accident de la route, qui survient alors qu’elle n’a que 19 ans, en décide autrement et la laisse en fauteuil roulant durant quelque temps. « C’est sans doute de là que me vient ma capacité de résilience », souligne la dirigeante.

« J’avais besoin de 120 000 € pour faire naître Le Grand Bain et j’ai dû faire 14 banques avant de les trouver… »

L’idée du Grand Bain est quant à elle venue à force de filmer des chefs étoilés et des restaurateurs : « Ils me disaient que la restauration était un parcours du combattant et qu’ils auraient aimé pouvoir tester leur enseigne avant de la lancer », se souvient la dirigeante. À cette époque, elle en parle avec deux amies, qui lui confirment que l’idée est bonne et s’associent avec elle dans ce projet de restaurant tremplin pour les chefs. « J’avais besoin de 120 000 € pour faire naître Le Grand Bain et j’ai dû faire 14 banques avant de les trouver… C’est HSBC qui nous a fait confiance en nous prêtant 70 000 €. Nous avions déjà eu un apport de 20 000 € d’Initiative France mais nous n’avons pas réussi à trouver les 30 000 restants. Il a fallu se démener pour pouvoir ouvrir quand même », raconte la dirigeante. Un défi qu’elle a relevé haut la main puisque Le Grand Bain tourne depuis un an, avec deux salariés et a déjà reçu 12 chefs en immersion.

Un engagement sociétal

« Ouvrir à Roubaix, cela représentait un risque économique », indique la dirigeante. Mais c’était aussi un choix sociétal : « J’ai connu Roubaix il y a 20 ans. Je travaillais alors pour l’émission Opération Télécité, pour France 3, et j’ai été amenée à monter une équipe avec des jeunes issus des cités. Je suis tombée amoureuse de cette ville et j’en ai marre que Roubaix se résume aux pompiers et au commissariat qui morflent ou à la délinquance. En y installant Le Grand Bain, j’ai voulu contribuer à son élan économique et rappeler que cette ville a habillé et nourri le monde pendant un temps », explique celle qui a également été chargée du développement économique de La Condition Publique de Roubaix. Un métier qu’elle a exercé pendant six ans, avant de créer Projob. « J’accueillais notamment les entrepreneurs qui y louaient de l’espace : je me suis fait un réseau de cette façon et j’ai aussi été séduite par l’entrepreneuriat à force d’en côtoyer ses acteurs ».

Le Grand Bain a pris place boulevard de Cambrai, dans un ancien hôtel particulier. Un bâtiment qui existe depuis 1921 et dans lequel Émeraude Bensahnoun a tenu à recréer « un décor des années 1930, une période qui marque le plein essor industriel de Roubaix ». Habillé de bleu, d’un carrelage piscine au sol et de mobilier en bois et fer noir, le restaurant compte 28 places. Il accueille ses clients le midi. « Le soir, nous recevons des groupes de 20 personnes minimum : des particuliers qui veulent venir cuisiner pour leurs proches et peuvent le faire avec un chef », précise la dirigeante.

D’autres plongeons en vue

« Tout le monde me dit que je suis folle d’avoir ouvert à Roubaix », sourit-elle, « pourtant Le Grand Bain parvient à être à l’équilibre en payant deux personnes et en rémunérant les chefs sur les menus vendus ». La dirigeante ne se prend pas encore de vrai salaire en revanche : « Je regrette qu’on ne laisse pas de répit aux entrepreneurs, le temps d’installer leur société. Les 1 200 € que je rembourse chaque mois pour le lieu, c’est de la communication en moins… Et si je n’avais pas de charges sur les salaires pendant trois ans, cela permettrait de passer ce cap sereinement. J’aimerais qu’on facilite la vie aux entrepreneurs car on prend des risques ! Macron parle du droit au chômage pour les chefs d’entreprise, mais cela revient déjà à penser à leur chute. Il vaudrait mieux détaxer pour les aider à réussir. » Pour autant, ces difficultés ne sont en aucun cas susceptibles de lui faire baisser les bras.

« Macron parle du droit au chômage pour les chefs d’entreprise, mais cela revient déjà à penser à leur chute. »

En attendant de se prendre un salaire, la dirigeante donne des cours de développement personnel et poursuit l’activité de Projob le week-end : « J’ai connu le système D toute ma vie. ». Elle rit aussitôt en se rappelant une anecdote : « À une époque, je cherchais un sponsor pour une émission que je lançais : Un jour, un job. Je suis allée voir Bruno Bonduelle, alors président de la CCI Grand Lille et je me suis mise en scène. On m’avait dit que c’était un fan des années 1950, alors je suis arrivée à la CCI avec des vêtements de cette époque. Ma tenue lui a rappelé sa mère et il a bien accroché à mon projet, qu’il a sponsorisé. Depuis nous sommes restés en contact et je vais le voir souvent. »

Pour donner une nouvelle dimension à son aventure, la dirigeante est d’ailleurs à la recherche d’un groupement d’entrepreneurs, ou d’investisseurs, qui pourraient l’épauler financièrement et prendre en charge la partie gestion. « Je suis davantage une développeuse qu’une gestionnaire, j’ai du flair pour ça ». Au programme : le lancement d’autres Grand Bain dans des villes comme Lille, Paris ou Bruxelles. Elle ajoute : « Mon rêve, ce serait d’avoir à Lille un Grand Bain avec un plateau télé, sur lequel des chefs se livreraient à des challenges culinaires ».

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