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Secteur textile : les revers du crédit d’impôt collection
Enquête Vannes # Textile # Juridique

Secteur textile : les revers du crédit d’impôt collection

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Le crédit d'impôt collection est logé au sein du crédit impôt recherche. Il doit permettre aux industriels des secteurs du textile, de l’habillement et du cuir de développer des collections. Depuis 2019, il s’adresse à ceux qui ont une activité industrielle. Ce critère change la donne pour des entreprises qui l’ont perçu sans être industriels.

Pascal Opsomer et Frédérique Gignoux, dirigeants de Mousqueton à Plescop (Morbihan), ont reçu une demande de remboursement du crédit d'impôt collection. — Photo : Ségolène Mahias

228 000 euros. Cette somme, c’est celle que l’administration fiscale réclame à l’entreprise Mousqueton, située dans la périphérie de Vannes, dans le Morbihan. Le motif : une demande de remboursement du crédit d’impôt collection, une niche du crédit impôt recherche, que cette PME a perçu depuis 2012 avec un effet rétroactif remontant à 2009.

Pour cette société spécialisée dans la conception et la vente de vêtements marins colorés, ce courrier a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Il faut remonter à 2012 pour y voir plus clair. « Nous avons demandé à bénéficier de ce crédit d’impôt collection car nous y étions éligibles sur le plan des critères à remplir. Pour nous, il s’agissait de bénéficier d’une aide à la création française dans le textile », atteste Pascal Opsomer, directeur général de la société. En 2012, cette aide est accordée. Cette même année, Mousqueton fait l’objet d’un contrôle spécifique. « Nous étions bien éligibles au crédit d’impôt collection. Ce contrôle l’a montré. Qui plus est, nous avons eu un contrôle fiscal en 2015. Ce point avait également été vérifié par les services compétents », commente le dirigeant.

Crédit d’impôt collection : un levier pour recruter des spécialistes

De 2013 à 2018, Mousqueton poursuit sa croissance et ses développements. Frédérique Gignoux et Pascal Opsomer, les codirigeant et associés (une autre personne extérieure à l’entreprise est aussi associée, NDLR) se dotent d’un nouveau siège, ouvrent de nouvelles boutiques, se développent en Bretagne mais aussi à l’export. Dans le même temps, les effectifs grandissent. « Nous avons affecté les aides reçues via le crédit impôt collection aux recrutements de personnes qui élaborent des modèles. Elles interviennent sur les premiers échantillons, les prototypes. » Ainsi, entre 2013 et 2019, la marque a pu embaucher deux nouveaux talents qui travaillaient jusqu’alors dans des fleurons du textile français.

Dans ses déclarations et communications avec l’administration fiscale, la société vannetaise indique avoir « toujours mentionné le temps passé par ces personnes à l’élaboration des collections. » L’ombre au tableau est arrivée fin 2018 – début 2019 où la notion de production est apparue. « Cela a été une découverte pour nous. Jusque-là, le texte était flou mais nous n’avons jamais caché que nous faisions de l’élaboration de collection. C’est notre conception, nos modèles. La créativité, c’est Mousqueton et c’est ici dans le Morbihan. » En effet, si Mousqueton fait fabriquer quelques produits en Bretagne, les autres sont conçus par des partenaires d’Europe de l’Est ou chinois. « Nous cherchons plus de partenaires locaux mais c’est compliqué. Les fabricants européens recherchent avant tout de gros volumes. »

Le « coup de rabot » de l’État n’est pas sans trace dans l’entreprise. « Cela nous met à terre. » À ce jour, outre son siège et son magasin de Plescop, la marque de vêtements bretons compte 12 boutiques en Bretagne et en Loire-Atlantique. Elle emploie jusqu’à 35 salariés en saison. Son chiffre d’affaires est de 6,4 M€ avec une progression de 15 % chaque année. « L’an passé, nous avons dégagé un résultat net de 350 000 euros, nous n’avions pas dégagé de bénéfice. Notre entreprise n’a pas de trésorerie en tant que telle. Tout est réinvesti. »

« Une erreur d’appréciation »

Face à cette situation, Pascal Opsomer et Frédérique Gignoux ont choisi de se faire épauler par des avocats. Leur souhait : « Être reconnus de bonne foi, surtout que nous avons été contrôlés par l’État. » La procédure est en cours. De son côté, l’administration aurait confessé à l’entreprise avoir, à l’époque, « commis une erreur d’appréciation sur son dossier. » Tout au plus, Mousqueton aimerait que la demande de remboursement ne concerne pas les années antérieures à l’arrivée de la notion de « fabriqué en France. » Interrogé sur ce sujet, un spécialiste de la question indique que « certes il y a des évolutions du texte des procédures fiscales en 2019. Mais là, la demande de remboursement porte aussi sur des années antérieures à cette évolution du texte. Aujourd’hui, il y a un débat sur la véritable portée que peut avoir le crédit d’Impôt collection. Ce crédit est un avantage si on en remplit les conditions. »

La situation de Mousqueton n’est pas un cas isolé. En Bretagne, plusieurs acteurs du textile sont dans la même situation. Certains expliquent sans se cacher « ne pas avoir bénéficié de ce crédit d’impôt » à l’image de Dolmen, à Guingamp, ou Guy Cotten (250 salariés et 15,9 M€ de CA fin 2018) dans le Finistère. Basé à Trégunc, le fabricant français de vêtements pour les professionnels ou les amateurs de la mer vient de construire une toute nouvelle usine de 4 500 m² sur un terrain de 10 000 m². Pour ce faire, ils ont investi 5 millions d’euros. La marque au célèbre bonhomme jaune, dessine, façonne, découpe, coud dans ses ateliers. Elle compte aussi un site de production à Madagascar qui emploie une centaine de salariés. Guy Cotten vend 44 % de ses produits à l’export. Pour sa croissance et ses développements, elle a fait le pari de l’international ou de l’innovation, notamment technique, sur ses vêtements pour professionnels. Concernant le crédit impôt collection, l’entreprise confie : « Nous ne rentrions pas dans les cases et nous ne pouvions pas en bénéficier. » Autre entreprise emblématique : Armor Lux. Cette ETI emploie 550 collaborateurs et a réalisé 92 M€ de CA en 2017. Installée elle aussi en Bretagne Sud, elle est en pole position des fabricants français de vêtements marins devant le normand Saint-James. La marque quimpéroise vend quelque 500 000 marinières chaque année. Quid donc du crédit d’impôt collection dans cette entreprise qui vient d’investir 3 millions d’euros pour agrandir son magasin de Quimper ? Interrogée sur ce sujet, la direction de la communication d’Armor Lux a indiqué : « Nous ne préférons pas répondre à ce sujet. »

Une épée de Damoclès au-dessus de la tête

À l’image d’Armor Lux, le sujet du crédit d’impôt collection embarrasse de nombreuses entreprises qui ont pu en bénéficier et qui, aujourd’hui, font l’objet de demandes de remboursement. Toujours sur la façade atlantique, un autre acteur, qui souhaite garder l’anonymat, témoigne. Actuellement en plein contrôle par l’État, il confie « avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. » En parcourant encore et encore le texte, il considère « être dans les clous » mais demeure parfois perplexe sur certains points. Il confesse que le crédit d’impôt collection aura été un levier de croissance pour son atelier et juge normal que « l’État contrôle l’utilisation de ce crédit ». À ce jour, si sa société conçoit une partie de sa production en interne, ce dirigeant travaille aussi avec des tiers industriels. « Cela peut-être la Chine ou autre, mais nous créons nos collections. C’est long et c’est onéreux. » Si cette société compte dans ses murs des couturières, elle travaille aussi avec des sous-traitants. Et c’est sur ce point que ce chef d’entreprise ne trouve pas les textes clairs. « Qu’entend-on par sous-traiter à des tiers ? » Il souhaiterait aussi que la création de collection puisse être reconnue comme une valeur ajoutée et un véritable investissement. « Développer une collection est coûteux. Il y a parfois de la récurrence dans les collections, mais pas toujours. »

Le Minor pourrait en bénéficier en 2022

Si le crédit impôt collection crée des sueurs froides à certaines entreprises, il y a aussi ceux qui lui manifestent plus que de l’intérêt. C’est le cas du Minor à Guidel, près de Lorient. « Nous avons repris une entreprise qui a enregistré de longues pertes, donc aujourd’hui nous ne sommes pas dans la situation qui nous permettrait de bénéficier de ce crédit d’impôt. » Reprise il y a presque deux ans par Sylvain Flet et Jérôme Permingeat, les créateurs de la marque française Le Flageolet qui commercialise des nœuds papillon, Le Minor compte aujourd’hui 48 salariés pour un chiffre d’affaires de 2,5 M€ de chiffre d’affaires. Sur le papier, le fabricant de vêtements bretons, notamment de pulls marins, apparaît éligible à ce crédit d’impôt. Sa spécialité est et demeure le tricotage. « Nous venons d’acheter quatre nouvelles machines à tricoter. » Si elle souhaite encore faire grandir ce parc de machines, elle doit aussi recruter du personnel qualifié. Si elle coche la case du fabricant, elle coche aussi celle de la conception. « Nous avons une activité de design de collection », ajoute Sylvain Flet. L’équilibre financier doit être atteint à court terme : 2022 au plus tard. « Nous pourrions alors bénéficier du crédit impôt collection qui devrait nous permettre de franchir un cap. Notre volonté est de nous positionner sur le haut de gamme, à la frontière du luxe. »

Complexe et évolutif, le crédit d’impôt collection gagnerait sans doute à être clarifié. Y souscrivant ou pas, les entreprises évoquent toutes un sujet compliqué et des dossiers chronophages à remplir. En Bretagne, Mousqueton espère qu’une solution équitable sera trouvée sur ce sujet. À l’heure où nous bouclons ce dossier, l’information sur sa situation est remontée à la préfecture du Morbihan qui aurait connaissance de dossiers similaires. Interrogés sur ce sujet, les services de l'Etat ne sont pas revenus vers nous.


« Un soutien à la créativité des entreprises textiles »

Basé à Cholet, le Pôle Mode Ouest est un syndicat professionnel qui assure la promotion de l’habillement, de l’industrie de la mode dans le grand Ouest, Pays de la Loire, Bretagne et la région Centre Val de Loire. Il représente 105 entreprises adhérentes spécialisées dans le textile, l’habillement et la maroquinerie, soient environ 5 000 salariés pour un chiffre d’affaires global de 500 M€. Pour son délégué général Laurent Vandenbor, les contrôles effectués sur l’utilisation du crédit impôt collection ne sont pas une nouveauté. « Ce dispositif existe depuis environ une vingtaine d’années, précise-t-il, et il est largement connu dans la profession. Les contrôles reviennent donc régulièrement de manière cyclique. Pour notre part, faire la promotion de ce crédit d’impôt n’entre pas dans notre champ de compétences, puisque ces dispositions sont des outils pour les entreprises et entrent dans leur stratégie. Elles font plus appel pour l’utiliser à leur expert-comptable, leur commissaire aux comptes ou à un cabinet de conseil. » Néanmoins, ce dispositif a pour Laurent Vandenbor toute son utilité : « Quand une entreprise développe une collection, cela représente un investissement que ce crédit d’impôt vient soutenir pour ne pas freiner sa créativité. À ma connaissance, dans la plupart des cas les contrôles effectués se passent bien et s’il y a redire, ce n’est pas toujours parce que l’entreprise a mal usé de ce dispositif, mais plutôt parce qu’il faut refaire une forme d’inventaire car les modalités de son utilisation évoluent. »

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