« Les eurodéputés ne sont pas assez sensibilisés à l’économie de la mer »
Interview # Maritime # Innovation

Thomas Lockhart (Groupement des industries de construction et activités navales) Thomas Lockhart (Groupement des industries de construction et activités navales) « Les eurodéputés ne sont pas assez sensibilisés à l’économie de la mer »

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Ancien commandant de la frégate Montcalm, Thomas Lockhart est passé par l’Ecole Navale et le UK War College. Délégué Recherche, Développement et Innovation et numérique pour le Groupement des industries de construction et activités navales (Gican), il est lobbyiste à Paris et Bruxelles.

— Photo : DR Gican

Vous avez été coorganisateur du forum Safe Sea Tech, dédié à la sécurité en mer et aux drones. Quelle suite est donnée à cette première, à Etel ?

Thomas Lockhart : Dans notre pays, souvent les développements sont là mais on cherche les besoins. On a l’ingénierie, il nous manque l’expérience et le retour terrain. L’intérêt du Safe Sea Tech était de dire aux services de l’État, souvent donneurs d’ordres, de ne pas hésiter à travailler avec les gens de mer. Cela vaut aussi pour le privé. Il faut coopérer avec les écosystèmes. Un exemple : lorsque je rencontre des acteurs de l’économie décarbonée, je leur demande s’ils ont un volet maritime dans leur politique. Je leur parle aussi des perspectives ouvertes par les drones, qui apportent une technologie de rupture dans les usages. Lorsque vous travaillez dans le maritime, le drone se heurte à une culture, celle des gens de mer, très attachés à la navigation. Or, il ne s’agit pas de remplacer l’homme – ni de succomber à un effet de mode - mais d’apporter en complément de nouveaux usages, de permettre à l’homme d’aller là où il n’ira pas de toute façon…

Vous êtes délégué pour le Gican, à Paris et à Bruxelles. La France saisit-elle le virage des nouvelles technologies dans l’économie de la mer ?

Thomas Lockhart : Je suis « lobbyiste » dans le bon sens du terme. Je recherche le positif pour les industriels de la mer. Je n’oppose pas l’offshore pétrolier, la construction navale, les énergies marines renouvelables, par exemple… La filière maritime est d’une grande diversité en France. Et, rappelons-le, c’est une filière qui exporte à 70  %. L’enjeu à Bruxelles consiste notamment à sensibiliser les eurodéputés à l’économie de la mer. De mon point de vue, ils ne le sont pas assez. Il est urgent de renforcer notre présence à Bruxelles. Mais il n’y a pas de complexe français à avoir. Seulement, nous n’avons pas de spécificités comme en ont les Danois, les Néerlandais, les Italiens ou les Allemands, qui ont des spécialisations bien identifiées. Notre rôle est à la fois de favoriser le développement de politiques et de programmes transversaux en local et de réaffirmer nos lignes de force en Europe.

Plus globalement, êtes-vous inquiet pour la filière maritime française au sujet du brexit ?

Thomas Lockhart : Les Britanniques sont pragmatiques et quoi qu’on en dise, ils ne se mettront pas dans le rouge. Et il n’y a pas de volonté de l’Union européenne à les mettre dans le rouge non plus. La campagne d’influence sur les réseaux sociaux a joué à plein et les partisans du Brexit n’ont pas mesuré l’ampleur des conséquences, c’est indéniable. Mais ne faisons pas l’injure pour autant de penser que les Britanniques font n’importe quoi. Derrière l’agitation apparente, les gens en responsabilité travaillent. Les Britanniques sont confrontés à eux-mêmes, à un temps de leur histoire qui doit les amener à se poser les bonnes questions. De notre point de vue, nous avons énormément d’intérêts en commun. Donc, je continue à entretenir d’excellentes relations avec les Britanniques.

Les acteurs sont tétanisés par l’échec car le code des marchés publics interdit l’échec

Qu’est-ce qu’un bon investissement d’avenir, de votre point de vue ?

Thomas Lockhart : Dans le privé, c’est celui qui va permettre de grandir mais en se gardant de trop tirer sur le blé pour qu’il pousse plus vite. Cela ne marche pas… Dans le public, c’est plus complexe encore : l’État impécunieux ne peut pas soutenir le territoire comme il le voudrait. L’administration est prisonnière de l’exigence de résultats. Les acteurs économiques sont tétanisés par l’échec car le code des marchés publics interdit l’échec ! Il faut du temps pour que l’ensemble des acteurs publics comme privés en prennent la mesure. Mais une fois que la prise de conscience est là, les progrès sont remarquables…

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