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La semaine de quatre jours stimule les entreprises
Enquête Bretagne # Industrie # Ressources humaines

La semaine de quatre jours stimule les entreprises

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Passer à la semaine de quatre jours est aujourd’hui le quotidien de plusieurs entreprises bretonnes. Industriels, artisans, sociétés de services, leurs profils sont divers comme leurs objectifs et leurs déclinaisons du sujet. Si la semaine de quatre jours gagne du terrain, la jeune génération de salariés n'y est pas toujours favorable.

La semaine de quatre jours à 32 heures : c’est la nouvelle organisation que teste l’ensemble de l’équipe d’Orignal à Lorient — Photo : Orignal

La semaine de quatre jours a plus que jamais le vent en poupe dans le monde des TPE-PME. ADP, acteur mondial des solutions de paie et RH, en atteste à l’occasion de la publication de son enquête People at work 2022 : 64 % des salariés français interrogés, en France et ailleurs, "souhaiteraient bénéficier d’une plus grande flexibilité dans l’organisation de leurs horaires de travail avec la possibilité de condenser la durée de 35 à 39 h sur quatre jours au lieu de cinq". Autre enseignement tiré de cette étude, la volonté des salariés de passer à la semaine de quatre jours est en hausse de quatre points de plus qu’en 2019. Appel du pied important chez les salariés, sujet largement médiatisé depuis que LDLC, le groupe de négoce de matériel high-tech et électronique rhônalpin y a souscrit, la tendance gagne-t-elle pour autant les entreprises bretonnes ? Une chose est claire : il n’existe pas de données recensant le nombre d’acteurs régionaux qui auraient mis en place cette mesure. Mais le sujet est sur la table. "L’attente des salariés est forte dans une période où recruter est difficile. C’est à suivre", confie Philippe Guillou, secrétaire général du mouvement des entreprises du Morbihan.

La pression salariale s’invite donc dans cette nouvelle optique du temps de travail. C’est également ce qu’observe Jean-François Bertrand, cofondateur et dirigeant de Kom & Do (entreprise de mise à disposition de compétences) et du cabinet de conseil et de recrutement Kom & Do Recrutement, à Rennes (Ille-et-Vilaine). Il observe une évolution du marché de l’emploi avec plus d’équilibre dans le dialogue entreprises/salariés ou candidats potentiels, voire des déséquilibres sur certains métiers en tension. De quoi assister sur certains métiers, comme les développeurs, a des "guerres des talents". La solution : "répondre à leurs attentes, et rendre l’expérience en entreprise la meilleure possible. Les nouvelles générations, notamment, veulent plus de flexibilité dans leurs horaires, l’organisation du travail", note ce spécialiste des RH.

Yprema pionnière depuis 1997

En Bretagne, certaines entreprises ont devancé depuis bien longtemps ces questions. Elles font même figure de pionnières. C’est le cas d’Yprema à Carhaix (Finistère). Cela fait 25 ans que ce groupe de recyclage de matériaux du BTP (100 salariés, 24 millions d’euros de chiffre d’affaires) est passé aux 35 heures effectuées en quatre jours. Une orientation qui invite à un petit regard dans le rétroviseur pour bien comprendre : 1997 marque l’entrée en vigueur de la loi Robien sur l’aménagement du temps de travail. Yprema décide de se saisir de cette opportunité et opte pour la semaine de quatre jours pour ses équipes de production. Un choix qui se révèle positif selon Claude Prigent, son dirigeant. "Pour les salariés, à rémunération égale, c’est un plus indéniable en termes de qualité de vie et de bien-être au travail. Ils sont d’ailleurs 85 % à se déclarer satisfaits de cette organisation." Et l’acteur du BTP est aussi gagnant. Il a ainsi enregistré une hausse de ses capacités de production de 12 %. "Paradoxalement, passer à la semaine de quatre jours nous a permis de produire plus et de vendre plus", se réjouit le dirigeant qui a doublé à la fois ses effectifs et son chiffre d’affaires depuis 1997. Car dans le même temps, ce dirigeant parie sur l’outil, soutien matériel à cette organisation. Il va désormais aller plus loin en faisant profiter l’ensemble de ses salariés de la semaine de 32 heures sur quatre jours sans perte de salaire, fonctions supports et commerciales comprises.

De "bonnes journées" productives

Les entrepreneurs du bâtiment bretons ont bel et bien une appétence de toujours avec cette semaine des quatre jours. Si Yprema est un poids lourd du secteur, d’autres sociétés plus petites ont aussi fait preuve d’agilité et d’adaptabilité sur ce sujet. La semaine des quatre jours ne date pas d’hier dans l’entreprise artisanale costarmoricaine Raulet-Boulaire (4 salariés, 600 000 euros de chiffre d’affaires en 2021). "Les ouvriers déjà ne venaient pas le lundi mais ils travaillaient le samedi matin", se souvient Erlé Boulaire, qui a racheté la société spécialisée en électricité, plomberie, chauffage et ventilation basée à Plouguenast-Langast en 1995. Le dirigeant, patron de la Capeb des Côtes-d’Armor, observe parallèlement que le samedi n’était pas productif. Entre le déchargement du chantier de la veille, le nouveau chargement et le transport, le temps effectif de travail n’était souvent que d’une heure. "Et puis il y avait les frais de transport le samedi et ceux de restaurant le samedi midi… J’ai donc réuni les salariés et nous avons discuté." La décision prise à l’issue de cette discussion, il y a 20 ans, est le passage à une semaine de quatre jours, en 39 heures, du mardi 8 h au jeudi à 19 h et le vendredi de 8 h à 18 h. Cela fait des grandes journées mais ils savent que le vendredi soir, ils sont tranquilles jusqu’au mardi."

Tester avant de valider

Conjuguer bien-être des salariés, rentabilité et économie, c’est aussi l’équation à laquelle l’entreprise Briero (35 salariés dont 8 apprentis et 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires) souhaite répondre. Le constructeur de maisons bois et expert en charpente, couverture et désamiantage de Mauron (Morbihan) vient d’opter pour la semaine de quatre jours. "Lorsque j’ai vu les hausses continues du prix du carburant, j’ai eu envie de trouver une solution qui apporte aux salariés et aussi à l’entreprise. J’ai consulté mes équipes et mon encadrement. Ils étaient d’accord. Nous avons démarré en avril 2022 pour une phase de test qui nous permettra de décider que l’on continuera ou pas", détaille Bertrand Briero, dirigeant de l’entreprise de bâtiment. Pour Briero, pas de réduction du temps de travail, les journées feront 9 h hors temps de trajets sur les chantiers et la semaine de quatre jours, si elle est validée, se fera du mois d’avril-mai aux congés d’août. "80 % de notre activité a lieu à l’extérieur. Cette période d’avril à début août est la seule où nous pouvons mettre en place ce système." En amont, sa mise en place exige de la préparation et de l’organisation pour optimiser ces quatre journées. "Il nous faut maintenir la même productivité sur les chantiers. Les retours des salariés sont positifs pour le moment, ils apprécient cette journée supplémentaire de repos." Les gains sont aussi au rendez-vous pour l’entreprise : ses véhicules ne roulent plus que quatre jours comme l’ensemble de ses matériels qui ne sont plus utilisés que sur cette périodicité.

Les 32 heures en 4 jours

La phase de test, c’est aussi ce qu’expérimente l’agence de communication Orignal (5 salariés, 2 alternants et 200 000 € de chiffre d’affaires) à Lorient (Morbihan). À une différence majeure près : elle teste la semaine de 4 jours à 32 heures payées 35. À l’orée de ses dix ans d’existence, ses fondateurs ont choisi de réfléchir à la prochaine décennie en intégrant l’idée d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Valoriser le bien-être au travail, libérer du temps pour plus d’inspiration et de créativité ont guidé la réflexion. Membre du CJD de Vannes, Catherine Radenac, l’une des cofondatrices a beaucoup lu, visionné des webinaires avant de se lancer avec l’équipe dans l’aventure. "Début avril 2022, ça a été le saut dans le grand bain. Il ne faut pas se le cacher, c’est aussi du stress : trouver notre organisation, que les clients et l’équipe soient satisfaits et qu’économiquement, cela soit viable." Côté organisation, le lundi est un jour "obligatoire de présence" avec une réunion d’organisation et d’ajustement, le mercredi est un jour où certains sont absents comme le jeudi et le vendredi. "Nous utilisions l’outil de planification Slack. Nous continuons en ayant ajouté un volet pour la passation car nous travaillons en binôme voire en trinôme sur nos dossiers. C’est un point essentiel." Au quotidien, les journées sont plus concentrées et doivent être plus efficaces. "Nous optimisons. Les brainstormings se font avec celles et ceux dont la présence est vraiment nécessaire. Nous sommes sollicités sur des consultations, nous ne répondons plus à toutes. Il faut être efficient." Si la période test s’achève bientôt, c’est en fin d’année à l’heure des bilans que sera validé ou non ce mode de fonctionnement. "Les retours de l’équipe sont bons. Ils considèrent qu'ils ont du temps pour eux et pour leurs proches. Nos clients nous parlent beaucoup de cette nouvelle organisation et certains prospects signent avec nous en évoquant ce sujet."

Une démarche expérimentale

D'autres entreprises comme Monique Ranou (groupe Agromousquetaires - Finistère) ont pu faire quelques allers-retours sur les 32 heures. L'industriel compterait 30 % de son personnel travaillant avec ce forfait hebdomadaire annualisé. Il vient d'ouvrir des discussions pour l'élargir et donc recruter. Séduisante sur le papier, la semaine des 4 jours n'est cependant pas une quête d'absolue, si l'on regarde comment les choses se déroulent dans la société de marketing digital MV Group (320 salariés et 53 M€ de CA) à Rennes.

Toujours en pointe sur le volet RSE notamment, le groupe de marketing digital dirigé par Olivier Méril, a mis en place la semaine de quatre jours depuis 2019, suite à un voyage du Codir à Copenhague. Cependant, sur les 280 salariés éligibles à cette opportunité (les personnels non-cadres NDLR), seuls six d'entre eux ont choisi cette option contre six autres lui préférant un rachat de RTT, et une très large majorité d'entre eux (268 collaborateurs), de la souplesse horaire dans la journée. Le dirigeant y voit un autre mode de fonctionnement de ses plus jeunes salariés : "la nouvelle génération, elle, ne veut rien sacrifier. Elle a envie globalement de finir à 17 heures tous les jours, pour faire du sport ou aller boire un verre en terrasse… C'est juste une évolution sociétale". A contrario, la semaine de quatre jours implique de plus gros horaires au quotidien.

Si la semaine des 4 jours est donc encore très expérimentale chez MV Group, le patron rennais, qui évolue dans un secteur où la chasse aux talents est permanente, estime qu'elle a toute sa place pour valoriser sa marque employeur, "à condition que ce ne soit pas du marketing" , met-il en garde. "L'objectif c'est de proposer aux salariés de s'adapter par rapport à leurs propres aspirations personnelles."

Pour Olivier Méril, la semaine des 4 jours participe à un bien être des collaborateurs, ce qui va servir l'entreprise au final. "Pour que le client soit content, il faut que les salariés soient bien dans leur tête. La semaine de quatre jours fait donc du chemin en Bretagne. Sa pertinence économique et la volonté partagée des dirigeants ainsi que des salariés d'en faire une réussite guideront ou non son ancrage dans le temps.

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