La filière nautique se réinvente face à l'annulation des salons
Enquête # Nautisme

La filière nautique se réinvente face à l'annulation des salons

S'abonner

C’est l’un des puissants vecteurs de promotion et de commercialisation du nautisme : les salons peuvent initier plus de 50 % du chiffre d’affaires. Dernier avatar en date, l'annulation du salon du Mille Sabords, la veille pour le lendemain. Mais la profession ne manque pas d’imagination pour faire face.

— Photo : Théo Lecomte et Océane Mazy / Mille Sabords

Comment la filière nautique affronte-t-elle l’annulation des salons ? Leur suppression liée à la pandémie impacte lourdement la filière du nautisme et de l’économie de la mer en général. Au même titre que les constructeurs automobiles, qui misent gros sur les salons internationaux, les acteurs du nautisme fréquentent assidûment le Mets (Marine Equipment Trade Show) d’Amsterdam, organisé en novembre, le Nautic à Paris, en décembre, et le Boot à Düsseldorf, en janvier. Ces salons européens concentrent à eux trois l’essentiel des prospects, devant le Grand Pavois de La Rochelle ou encore le Mille Sabords en presqu’île de Rhuys, le "local" de l’étape. Or, ces trois salons français de référence ont annoncé successivement l’annulation de leur édition 2020 et l’incertitude reste de mise pour les entreprises du secteur, sur la possibilité de couvrir les autres salons internationaux.

L’enjeu est important quand on mesure le poids de la filière du nautisme : selon la Confédération du nautisme et de la plaisance, elle représente 50 000 emplois pour 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. À lui seul, le Morbihan pèse près de 10 % de la filière en France, avec un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros réalisé par 490 entreprises. L’agence de développement économique Vipe avait estimé, dans une étude réalisée en 2015, à 875 millions d’euros ses retombées directes et indirectes dans l’économie morbihannaise (soit 4,6 % de son PIB). Le Morbihan est aussi le premier département dans la course au large avec 120 bateaux de course, de classe "Mini" de 6,50 mètres aux "Ultim", classe des fameux géants des mers apparue lors de la Route du Rhum 2010. Le Finistère suit de près.

Incontournable pour sentir les tendances

À Brech, le chantier naval Astus Boats (7 salariés), qui développe des gammes de trimarans modulables et transportables, comptait sur le Grand Pavois et le Nautic. « Jusqu'à ce jour, je pouvais miser sur le Mille Sabords, à Arzon. » Il espérait en effet pouvoir y tenir son stand alors que, le 29 octobre, premier jour du salon, le Mille Sabords a été annulé à la demande de la Préfecture, la veille du nouveau confinement. « Le Mille Sabords avait bien différencié les zones pour rester sous les jauges », constatait Jean-Hubert Pommois, le dirigeant d’Astus Boats (40 % du chiffre d’affaires à l’export en Europe et en Amérique du nord). Reste le Boot de Düsseldorf. « Il doit être maintenu en janvier, mais le seront-ils jusqu’au bout ? Et si oui, vont-ils accepter les Français ? Nous sommes obligés d’attendre le dernier moment pour s’organiser. Or, les salons sont le meilleur moyen de capter les ventes à venir, souvent à l’horizon d’un an et demi à deux ans. Cela permet aussi de sentir les tendances. C’est indispensable quand on est positionné sur une niche. »

Ils investissent les salons virtuels

Pour pallier les annulations en série et les difficultés à anticiper ses déplacements, la filière s’organise. L’heure est ainsi au salon virtuel. Acteur historique du bassin de Lorient, Plastimo Group (102 salariés, 26 millions d’euros de chiffre d’affaires), spécialiste des équipements de sécurité en mer qui travaille notamment pour les Forces spéciales, propose aux clients des rendez-vous en visioconférence et part même à leur rencontre. La PME, qui réalise 60 % de ses ventes, entre mars et juillet, a choisi de passer à l’offensive. "En septembre, nous avons organisé deux à trois visioconférences par semaine avec nos clients canadiens et japonais qui ne pouvaient se déplacer. Nous avons ainsi pu leur présenter nos nouveautés. " Mais l’entreprise a aussi choisi de passer du virtuel au réel avec Zhik, la marque australienne de vêtements dédiés à la plaisance et à la course au large dont elle est devenue le distributeur exclusif, en allant à la rencontre de ses clients avec un camion dédié. "C’est un moyen logistique exceptionnel pour nous et adapté au contexte."

Férue d’innovation, la jeune PME de Sarzeau Nodus Factory (connecteurs textiles pour le nautisme, l’ostréiculture, le BTP, 12 salariés, plus de 1 million d’euros de CA) s’intéresse aussi de près à la vidéo. « Nodus Factory se rendait au Mets depuis 2016. Cette année, nous allons y tenir un stand virtuel. Nous venons de préparer un film qui sera diffusé au démarrage, explique Yves Laurant, le dirigeant. Tous les salons devraient le proposer, ils ont les fichiers et les outils pour. » L’entrepreneur voit malgré tout une limite à cette alternative : « Les contrats ne sont pas signés sur un salon, mais on voit bien au taux de réussite que les ventes se font après. Les salons physiques permettent des échanges de meilleure qualité, techniques. Je pense qu’il faut du relationnel pour entrer dans le vif d’une problématique client. » Seule exception notable, la conchyliculture : « L’absence de salon impacte moins les affaires, nuance ainsi Yves Laurant, présent sur ce segment où il propose des attaches clipsables pour casiers ostréicoles. C’est un autre monde. Il faut aller les voir sur place, surtout quand on sait qu’il y a encore des ostréiculteurs qui n’ont pas d’adresse mail ! » Localement, Nodus Factory noue cependant de bons contacts sur le salon national de la conchyliculture, à Vannes, qui a été maintenu en septembre dernier.

Le mini-salon a le vent en poupe

Autre alternative en vogue : organiser son mini-salon. Plusieurs PME de Bretagne Sud se sont fédérées et espèrent créer leur événement pro informel à Lorient-La Base, fin novembre. D’autres optent pour des portes ouvertes améliorées, sur site. Le finistérien Pogo Structures (85 salariés pour 9,8 millions d’euros de chiffre d’affaires) a organisé son propre salon en octobre à Sainte-Marine avec possibilité d’essayer ses bateaux, à l’occasion de la sortie de son dernier-né, le Pogo 44, et grâce au succès de son bateau à foils Pogo Foiler, développé avec l’architecte morbihannais Guillaume Verdier. D’autres chantiers sud-bretons organisent aussi leur salon maison comme Marée Haute (33 salariés) à Concarneau. À Brech, Astus Boats a organisé des journées propriétaire. Il a aussi compensé l’annulation des salons en développant sa communication sur les réseaux sociaux et en réalisant un film.

Ils repositionnent leurs produits

Jean-Hubert Pommois a également repensé la sortie de ses derniers modèles : « J’ai reporté un modèle de trimaran transportable plus important et sortis deux nouveautés de plus petite taille, comme l’Astus 14.5, conçu avec le cabinet VPLP Design. C’est moins risqué financièrement. Et deux sorties dans le contexte actuel, c’est déjà pas mal ! » Le dirigeant d’Astus Boats a vendu une quarantaine d’exemplaires de son trimaran « 20.5 » et a décidé de se diversifier dans les remorques de loisirs. « Là encore, j’ai dû faire face à l’annulation de salons, comme celui du Bourget. Mais le démarrage est intéressant et confirme la tendance : les clients recherchent des bateaux et des véhicules de loisirs indépendants et autonomes. Ils délaissent les bateaux type croisière et investissent plutôt dans des petits modulables avec en complément un paddle, un kayak ou un dériveur. »

La tendance post-Covid se dessine : échaudés, dans l’incapacité de rejoindre leur bateau aux Antilles ou en Méditerranée, certains clients reviennent aux petits modèles transportables. Cela impacte plus fortement les grands chantiers, comme le groupe Bénéteau, que les petits. Les ventes de petits bateaux transportables redécollent et les paddles et kayak se vendent à des niveaux jamais égalés. Le vannetais Tiwal (10 salariés et 1,4 million d’euros de chiffre d’affaires) a expédié son 1 500e dériveur gonflable cet été. Créée il y a sept ans par Marion Excoffon et Emmanuel Bertrand, la société a percé le marché américain en créant une filiale à Boston. « Il nous a fallu cinq années pour trouver nos marques et définir une stratégie payante. Le potentiel de croissance reste important », note Emmanuel Bertrand. Aujourd’hui, 72 % de ses ventes se font à l’international.

La donne est un peu différente pour les cabinets d’architecture navale. VPLP Design (24 salariés, 4 millions d’euros de chiffre d’affaires), très diversifié, possède une entité à Vannes (ingénierie course au large, innovations) et une à Paris (ingénierie bateaux de croisière et yacht). Si son positionnement innovant (développement des systèmes d’ailes Ocean Wing, participation au bateau-laboratoire Energy Observer…) met plutôt le pôle vannetais à l’abri, l’entité parisienne est directement exposée à l’annulation des salons à l’export, en particulier vers les États-Unis et le Royaume-Uni. « VPLP Design a développé beaucoup de synergies entre les deux entités qui finissaient par travailler de plus en plus dans leur domaine », résume à l’envi Vincent Lauriot-Prévost, le cofondateur. Cette stratégie, lancée il y a plusieurs années, s’avère bien utile dans le contexte actuel.

Et les recrutements ?

L’impact sur les ventes n’est pas tout. L’absence de salons pose aussi problème pour les recrutements : « Les salons sont des leviers de développement précieux pour embaucher, témoigne Véronique Reynes, directrice des ressources humaines du groupe Altenov (électricité industrielle, 60 millions d’euros de chiffre d’affaires, plus de 400 salariés). Le groupe est notamment implanté dans le Morbihan à Plumelin via sa filiale ID Automation (45 salariés, cinq embauches en cours). Il développe des solutions et des équipements complets pour l’industrie, le transport, l’agroalimentaire et les métiers de la mer et maintient un rythme soutenu d’embauches, soit jusqu’à 60 à 70 postes par an actuellement. « Nous compensons en étant encore plus présents dans les écoles dès septembre-octobre au moment des recherches de stage. Un salon permet de capter du chiffre d’affaires, mais aussi des talents… » Là aussi, la pandémie a compliqué la donne.

# Nautisme