Fédération régionale des travaux publics Bretagne : « L'ascenseur social fonctionne toujours dans nos métiers »
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François Coville président de la Fédération régionale des travaux publics Bretagne Fédération régionale des travaux publics Bretagne : « L'ascenseur social fonctionne toujours dans nos métiers »

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L’embellie économique gagne les travaux publics en Bretagne. Un secteur qui retrouve son niveau de 2009. François Coville, président de la Fédération des travaux publics du Morbihan, de la fédération régionale bretonne et dirigeant de TPC Ouest près de Vannes, livre les détails de cette reprise sans euphorie. Des points noirs demeurent : des marges non retrouvées, des difficultés à recruter, les aléas de la commande publique... La fin éventuelle de l'exonération fiscale sur le gasoil non routier met également vent debout la profession, car elle impacterait de plein fouet la filière.

"La Bretagne a une position périphérique qui nécessite que ses infrastructures soient efficaces et entretenues", estime François Coville, dirigeant de TPC Ouest à Saint-Avé (Morbihan), président la fédération des travaux publics du Morbihan et de la fédération régionale. — Photo : Ségolène Mahias

La filière travaux publics a-t-elle retrouvé des couleurs à l’heure où 2019 s’annonce ?

François Coville : 2017 aura été un plancher bas. L’activité générée par le secteur privé est repartie. En 2018, le secteur public a suivi le même chemin. Au global, nos métiers retrouvent des couleurs : nous tendons vers un niveau d’activité que nous n’avons pas vu depuis 2009. Nous le sentons dans les carnets de commandes mais pas encore dans les prix. Or, les prix ce sont nous qui les faisons…

L’embellie bretonne est-elle une exception ?

F. C : Non, la Bretagne suit la tendance d’autres régions même si cette reprise est à modérer face aux gros investissements qui voient le jour ici et là en Île-de-France (liés au Grand Paris, NDLR). Nous avons un carnet de commandes de 4,6 mois en Bretagne quand il est de 10,9 mois en Île-de-France. Nous n’avons pas réussi à avoir ce nouvel aéroport de l’Ouest alors que le monde de l’entreprise était persuadé que cela se ferait. La fracture est d’autant plus forte. La Bretagne a une position périphérique qui nécessite que ses infrastructures soient efficaces et entretenues.

Les territoires bretons sont-ils égaux dans ce contexte de reprise ?

F. C : Aujourd’hui, nous observons clairement un développement par les métropoles. Nous n’échappons pas à cette règle. Rennes est très dynamique en termes d’activités avec la LGV, la nouvelle ligne de métro, le quartier EuroRennes… suivie par Brest avec le plateau des Capucins, le Polder… C’est plus mitigé dans le Morbihan même si la zone littorale est dynamique. La reprise se fait moins ressentir dans les Côtes-d’Armor.

Quid de la loi NOTRe et de la baisse des commandes publiques ? Ont-elles réellement des incidences sur votre activité ?

F. C : C’est la grande excuse de nos donneurs d’ordre pour tout ce qui a trait aux travaux d’eau potable et d’énergie. La commande publique, c’est 60-70 % de notre activité. Depuis deux ans, les bases imposables sont dynamiques autour des métropoles et en Bretagne Sud avec une activité immobilière active. Ce sont des leviers que ces marchés peuvent actionner.

Vous évoquez l’urgence de rénover les réseaux, pouvez-vous être plus précis ?

F. C : Les infrastructures sont vieillissantes en France. Ce n’est pas un acquis perpétuel. Elles ont besoin d’être renouvelées. Nous avons soulevé ce sujet depuis longtemps en étant peu ou pas entendus. Les choses commencent à changer. Toutefois, il faut être clair, le renouvellement de conduites d’eau ou d’assainissement est beaucoup moins électoraliste car moins visible qu’une nouvelle route ou des projets de construction ou d’infrastructures majeurs. Concrètement, il faudrait pouvoir doubler aujourd’hui les moyens qui vont dans les réinvestissements en eau et assainissement pour ne pas arriver à des points de rupture.

Vos métiers sont-ils en tension en matière d’emplois ?

F. C : C’est une problématique de fond. Sur 12 000 salariés en région, nous sommes sans doute déficitaires d’un millier d’emplois. Et pourtant notre CFA régional des travaux publics affiche complet à Ploërmel. Nos métiers souffrent d’un déficit d’image. Pourtant notre profession permet toujours à l’ascenseur social de fonctionner. Les tâches sont mécanisées, la digitalisation est là et le niveau de rémunération est supérieur au Smic dès le début de carrière grâce à diverses primes ou frais. Nous avons des campagnes pour attirer les jeunes mais nous sommes en concurrence avec d’autres filières.

Y-a-t-il des opérations de consolidation dans vos entreprises ?

F. C : Les travaux publics fédèrent un nombre très hétérogène d’entreprises. En face, nos clients ont tendance à se renforcer et à grossir. Il est vraisemblable que la taille critique de nos entreprises augmente. Elle est en moyenne de 5 M€ de chiffre d’affaires aujourd’hui. Il est probable qu’elle passe à 10 M€ demain.

Comment réagissez-vous face à l’annonce de la fin de l'exonération fiscale sur le gasoil des entrepreneurs non routiers (GNR) dans les travaux publics1 quand il perdure encore dans d’autres secteurs d’activité ?

F. C : C’est un scandale. Une mesure fiscale de cette envergure est inouïe. Ce GNR, moins taxé que le gasoil routier, est le carburant avec lequel roulent toutes nos machines. Une telle mesure augmente de 40 à 50 centimes le litre. Moi, j’ai fait l’addition pour mon entreprise (TPC Ouest, près de Vannes, NDLR) : c’est 150 000 euros de coûts en plus. À l’échelle des travaux publics, c’est 500 M€ qui seront prélevés. C’est colossal, brutal. Nous sommes vent debout. Comment répercuter cela à nos clients avec des marchés déjà passés. L’État va venir ponctionner 60 % de la marge nette de nos entreprises. Nous n’allons pas en rester là. Nous serons peut-être l’une des premières professions à descendre dans la rue.

1 Le 4 décembre, le gouvernement a suspendu pour six mois la fin de cette exonération qui devait entrer en vigueur au 1er janvier 2019.

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