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Cinq Degrés Ouest reprend des couleurs en diversifiant son offre de produits de la mer
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Cinq Degrés Ouest reprend des couleurs en diversifiant son offre de produits de la mer

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Pour mieux franchir le cap mouvementé de la pandémie, la société fondée par Alexis Taugé a étoffé sa palette de métiers, en même temps que son catalogue. De quoi arrimer solidement l'activité d'un outil de production lancé en 2018 sur le port de Lorient Keroman qui impose Cinq Degrés Ouest comme un acteur central dans la transformation des produits de la mer.

Entre 2020 et 2022, le chiffre d'affaires de Cinq Degrés Ouest (5DO) est passé de 8 à 31 millions d'euros — Photo : Bertrand Tardiveau

Contre vents et marées, Cinq Degrés Ouest (5DO) poursuit un essor fulgurant dans le secteur de la valorisation des produits de la mer, avec une spécialité reconnue : le décorticage par haute pression des crustacés et des coquillages. Le Covid a pourtant fortement déstabilisé cette société dont le chiffre d'affaires, tributaire du secteur de la restauration hors domicile, est brutalement tombé en 2020 de 13 à 8 millions d'euros. L'année suivante, à la sortie des confinements sanitaires, l'activité connaît un rebond spectaculaire pour atteindre 18,5 millions d'euros de chiffre d'affaires avec un résultat net de 382 000 euros. Un renouveau confirmé l'an dernier avec un exercice à 31 millions d'euros, et des effectifs portés de 40 à 65 en équivalent temps plein.

Coquillages et crustacés

Aux origines de l'entreprise, en 2010, il y a l'héritage d'une dynastie ostréicole. Le jeune Alexis Taugé s'engage à matérialiser la vision du grand-père François Cadoret, patron d'un chantier ostréicole à Locmariaquer, qui rêvait de pouvoir décoquiller et conserver les huîtres pour mieux en maîtriser la chaîne de valeur. Poursuivant une patiente démarche R&D, Cinq Degrés Ouest s'installe d'abord à Riec-sur-Belon, dans le Finistère, où la jeune start-up obtient l'appui déterminant de Jean-Jacques Cadoret, un cousin également ostréiculteur.

Un procédé original est alors mis au point assurant le décorticage des crustacés et des coquillages au moyen d'une cellule haute pression capable de monter entre 2 000 et 3 000 bars. "A la différence de la vapeur, ce traitement à froid permet de préserver toutes les qualités organoleptiques du produit, dont les chairs crues sont ensuite retirées à la main, avant une surgélation IQF (individually quick frozen) à l'azote, suivie d'un emballage sous film", résume Alexis Taugé. Ce savoir-faire révolutionnaire éveille l'intérêt de Christian Guyader, industriel breton des plus influents avec la société agroalimentaire du même nom (120 millions d'euros de CA, 600 salariés), qui prend une participation minoritaire dans le projet pour le faire advenir.

La restauration et l'export

Avec ses partenaires, Alexis Taugé réunit près de 4 millions d'euros pour lancer en 2018 un outil de production flambant neuf sur le port de pêche de Lorient Keroman. Plus que les huîtres, le homard bleu et le homard canadien assurent bientôt le gros de l'activité. "Nos volumes ont atteint environ 600 tonnes l'an dernier, soit le double de ce que nous réalisions au lancement de l'usine," révèle le dirigeant, âgé de 38 ans, dont les équipes peuvent travailler aussi la grosse langoustine.

Le marché privilégié de 5DO, lui assurant plus de 65% de ses revenus, ce sont les restaurateurs. "Les grandes brasseries, les établissements gastronomiques et les tables étoilées constituent nos premiers clients. Avec notre avantage concurrentiel, nous leur permettons de travailler des produits de la mer selon leur saisonnalité, tout en assurant un approvisionnement régulier et qualitatif", précise Alexis Taugé, avant d'estimer à environ 40 % la part de l'export dans le chiffre d'affaires de 5DO sur ce segment. L'Europe méridionale surtout, mais aussi le Japon, voire la Chine, offrent de belles perspectives commerciales à l'industriel breton.

L'autre marché de 5DO, c'est la grande distribution (environ 20 % du CA) et l'industrie agroalimentaire. Pour les homards notamment, le rendement matière est ainsi maximisé avec la vente des coproduits (têtes, carapaces) à des sous-traitants parmi lesquels Groix Nature, entité de la galaxie Guyader, pour l'élaboration de sa fameuse huile de homard, mais aussi ses soupes et tartinables.

Ouverture aux poissons

De novembre à janvier, les huîtres sont décoquillées et cryogénisées à hauteur d'environ 100 tonnes avec une analyse préalable permettant de garantir l'absence de traces pathogènes comme le norovirus. Conditionnés dans leurs coquilles par barquettes de 12 unités avec une date limite de consommation étendue à deux ans, les calibres standards intéressent particulièrement le segment de la croisière. La chair des plus gros calibres conserve des débouchés significatifs sur les marchés asiatiques.

Malgré ses promesses, les perspectives de développement de 5DO ont été perturbées par les répercussions de la pandémie de Covid, dans ses approvisionnements comme dans ses échanges commerciaux. Tout en échouant à imposer la technologie hyperbare 5DO dans segment des jus de fruits et légumes avec la société Kruzoé, liquidée en 2020, Alexis Taugé signe un prêt garanti par l'État à hauteur de 600 000 euros pour maintenir à flot la société malgré ses pertes d'activité.

"Il a fallu réinventer notre approche en ouvrant davantage nos gammes aux poissons", explique le dirigeant qui a trouvé des solutions de valorisation en lien avec la pêche locale, dans une logique de circuit court. Pour adresser de nouveaux marchés au delà de son savoir-faire caractéristique, le transformateur s'est positionné l'an dernier pour acheter, surgeler et conditionner 80 tonnes de merlu débarquées par l'armement lorientais Apak et préparées par le mareyeur Top Atlantique, avec à la distribution l'enseigne Picard. Si ce type d'activité pèse actuellement moins de 5% de l'activité de Cinq Degrés Ouest, il permet de maximiser l'exploitation du tunnel de surgélation et pourrait à terme gagner de l'ampleur.

Atelier cuisson

"Lotte, sole, turbot, églefin, merlan, mais aussi, rouget bar, daurade : nous travaillons une grande variété d'espèces, en fonction de la demande des clients, signale Alexis Taugé. La clé, c'est la valeur finale du produit fini auprès du consommateur. Consolider cette logique de filière intégrée devient une nécessité qui suppose de pouvoir processer lorsque les cours du poisson sont au plus bas. Il y a cependant un important chantier à mener pour atteindre une meilleure transparence entre chacun des acteurs."

Autre voie de diversification, un atelier cuisson a également été développé avec l'installation d'une marmite à injection vapeur pour traiter entre 1 et 2,5 tonnes de coquillages et crustacés à l'heure. De quoi faire passer des volumes sur des marchés plus classiques, voire d'opportunité. Parmi les nouvelles spécialités de 5DO, figurent ainsi le tourteau mais aussi la crevette monodon du Mozambique et plus récemment le poulpe, qui prolifère actuellement sur la côte Atlantique. "Nous avons pu transformer plus 200 de tonnes de matière première afin de proposer des tentacules top qualité, notamment vers le marché espagnol", fait valoir le dirigeant qui mise sur cette palette élargie de métiers pour consolider l'ancrage de sa société au cœur du premier pôle halieutique de Bretagne.

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