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Myxyty : les raisons d'une liquidation éclair
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Myxyty : les raisons d'une liquidation éclair

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Entre manque de cash et difficulté à choisir le bon investisseur, Olivier Courtade, dont la société Myxyty a été liquidée en mai dernier, témoigne de la difficulté à financer l’innovation en France.

Photo : Gaëlle Cloarec

Fin 2017, Google Home lançait son assistant vocal en France, en juin 2018 c’était Amazon. Ceux de Myxyty auraient été mis sur le marché dans l’année, si l’entreprise n’avait pas été liquidée le 23 mai dernier. Le Myxypod et la Myxylamp de Myxyty sont des box permettant de contrôler toutes les fonctionnalités domotiques de l’habitat à la voix, intégrés dans une enceinte et une lampe – des best sellers du petit électroménager – pour entrer plus facilement dans les foyers. Elles se démarquent de la concurrence américaine en garantissant l’absence de collecte des données personnelles des utilisateurs.

Créée à Valbonne en 2009 par Olivier Courtade, Myxyty préparait une levée de fonds de 3 à 5 M€ avec Invest Securities, via sa fintech Pre-Ipo, avant une introduction en Bourse, afin de financer l’industrialisation et le déploiement commercial de ses produits. Sur le papier, les rouages étaient parfaitement huilés. Mais c’est un autre papier, qui a eu raison de Myxyty et de ses 27 salariés.

« J’avais négocié un échéancier sur 24 mois avec l’Urssaf pour régler 680 000 euros de dettes fiscales et sociales, explique Olivier Courtade. Chaque mois, je me démenais pour trouver l’argent. J’ai eu un retard de 10 jours sur une échéance et j’ai reçu un courrier indiquant que je devais tout rembourser d’un coup. » En cessation de paiements, l’entreprise est placée en redressement judiciaire et, deux mois plus tard, c'est la liquidation. « Cela a été très rapide car nous n’avions pas assez de chiffre d’affaires pour établir un plan de redressement », poursuit l’ancien dirigeant, qui avait affecté, depuis 2016, une grande partie de ses équipes au développement du Myxypod et ne réalisait plus que 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires fin 2017, contre plus de 5 millions d’euros fin 2014.

Tronçonner les financements

Les prix IOT Heros du Mobile World Congress de Barcelone obtenu début 2016 et le CES Innovation Awards obtenu début 2017, ainsi que les partenariats signés avec IBM, avec l’opérateur de télécoms toulousain Sigfox et avec le moteur de recherche européen Qwant, ont conforté l’entrepreneur dans son choix de se concentrer sur la R&D. « Il a fallu plus d’un an rien que pour intégrer la technologie Watson d’IBM (permettant le pilotage à la voix, NDLR) dans les box », justifie-t-il. Mais, comme l’explique une ancienne salariée de l'entreprise, le modèle économique de Myxyty « n’était pas facile à assumer pour une start-up de cette taille. Il n’y avait pas que le développement d’une application, derrière il y avait les coûts de stockage, les serveurs, les ingénieurs, etc. Chez Myxyty, les levées de fonds n’étaient pas assez importantes. Chacune était un sursaut au lieu de nous permettre de grandir. »

« Là où il faut lever 1 à 2 millions d’euros dans le logiciel, il en faut 10 à 20 dans l’objet connecté. »

Cette problématique a été identifiée par le pôle SCS, pôle de compétitivité dédié aux technologies numériques, implanté à Rousset et à Sophia-Antipolis. « Là où il faut lever 1 à 2 millions d’euros dans le logiciel, il en faut 10 à 20 dans l’objet connecté, car il faut non seulement investir dans le logiciel, mais aussi en électronique, en informatique et en télécommunication, explique Olivier Chavrier, directeur général adjoint du pôle. Cela change le profil de risque pour les investisseurs et l’offre est rare. Il faut alors tronçonner les financements pour y arriver et ça ralentit le développement. »

C’est bien ce qui s’est produit pour Olivier Courtade, qui indique avoir levé et obtenu divers prêts pour environ 15 millions d’euros ces dernières années, auprès d’une quinzaine de business angels et de Bpifrance notamment, et qui a également vu passer à son capital SFR, Altran et Delta Dore.

La reprise par Qwant échoue

La dernière levée de fonds de plusieurs millions d'euros n'a en revanche jamais eu lieu. « Je n’ai pas imaginé une seconde que Pre-Ipo ne serait pas capable de lever 3 millions d’euros. Ils m’ont vendu un nouveau véhicule financier qui n’a pas fait ses preuves et on a essuyé les plâtres », affirme Olivier Courtade. Pre-Ipo, le véhicule en question, doit permettre de financer la phase de croissance qui précède l’introduction en Bourse. « Nous avons choisi Myxyty, car le modèle était intéressant, mais nous avions mis une condition suspensive. Il fallait la signature d’au moins un contrat significatif avec un gros client », relate Olivier Moccafico, en charge des relations investisseurs chez Pre-Ipo. Olivier Courtade estime avoir « fait le travail », en produisant « des lettres d’intention de grands corporates dans l’assurance, la banque ou le retail », parmi lesquels Media Saturne, La Fnac, La Poste, ou Allianz, selon nos informations, avec « des chiffres comme 500 000 unités pour la première commande puis 3 millions d’unités sur 24 mois » et « un pipe commercial de plus de 43 millions d’euros ».

À bout de ressources, Myxyty s’est retrouvée dans un nœud gordien avec, d'un côté, des grands comptes attendant une levée de fonds pour déclencher une commande et, de l'autre, des investisseurs attendant une commande pour lancer la levée de fonds. L’issue, brutale, a été le dépôt de bilan de Myxyty. Eric Léandri, le fondateur de Qwant, qui avait investi plusieurs centaines de milliers d’euros sur un produit commun avec Myxyty, s’est positionné pour reprendre les salariés et l’outil industriel, mais n’est pas parvenu à un accord avec le tribunal de commerce et son conseil d’administration. « Je me suis battu comme un fou mais on était les seuls. Mon board ne voulait pas investir dans l’IoT (l’Internet des objets, NDLR) et ne m’a pas donné son accord final », précise Eric Léandri. « Ça fait 27 personnes sur le carreau. Mais on ne s’est pas battu comme ça pour rien. Notre technologie et notre équipe intéressent des gens, prévient Olivier Courtade. D’une manière ou d’une autre, l’aventure va continuer. »

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