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Alteo Gardanne : « Il faut changer la façon de voir l’industrie »
Interview Marseille # Industrie

Frédéric Ramé président d’Alteo Alteo Gardanne : « Il faut changer la façon de voir l’industrie »

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Le groupe Alteo a repris en 2012 l’activité d’alumine du site historique de Gardanne (Bouches-du-Rhône), créé en 1894 et successivement détenu par Péchiney, Alcan et Rio Tinto. L’entreprise, qui compte 450 salariés à Gardanne, et qui fait régulièrement les gros titres de la presse pour ses rejets, a pourtant misé sur la croissance durable.

Frédéric Ramé, président d’Alteo — Photo : Photo D.R.

Le Journal des Entreprises : Le groupe Alteo se présente comme le leader mondial de l’alumine de spécialités. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce secteur spécifique du marché des alumines ?

Frédéric Ramé : Le groupe Alteo est issu de la cession par Rio Tinto de son activité d’alumine de spécialité en 2012. Nous représentons 500 salariés dans le monde et nous générons de l’activité pour environ 400 collaborateurs issus de sous-traitants. En moyenne, tous les jours, 850 personnes travaillent sur notre site, à Gardanne. Nous sommes la seule usine d’alumine en France et nous avons également créé un petit atelier de production, à Taïwan. Nous générons par ailleurs environ 3 000 emplois indirects dans l’écosystème et, bien sûr, notre activité est largement tournée vers l’export : 72 % de notre chiffre d’affaires est ainsi réalisé à l’international. Chaque année nous fabriquons près de 500 000 tonnes de produits. L’alumine est une poudre blanche extraite de la bauxite, qui vient de Guinée, qui sert à faire notamment l’aluminium. Mais nous nous sommes surtout positionnés sur des produits plus spécifiques, que l’on appelle alumines de spécialité. L’alumine a des vertus réfractaires et peut être utilisé comme céramique. Nos produits se retrouvent ainsi dans du carrelage, dans des filtres à particules de voitures, dans les gaines de câbles électriques et dans les écrans plats de smartphone, de tablettes ou de télévisions. Nous sommes le premier fournisseur d’alumine pour écran LCD. En 2017, nous avons également développé, en R&D, de l’alumine destinée à la fabrication de batteries électriques. Notre activité industrielle, qui remonte à l’aube du 20e siècle, contribue ainsi à la transition énergétique, au monde connecté…

Comment est constituée la concurrence ?

F.R. : Nous avons une dizaine de concurrents, mais un seul, Allemand, est présent sur les marchés internationaux. Nous disposons de nos propres filiales de distribution en Amérique du Nord et en Asie. Nos 600 clients dans le monde sont des entreprises de transformation. Il s’agit d’une activité très diversifiée, avec de multiples débouchés, qui ne dépend pas d’une seule structure…

Le groupe Alteo a beaucoup fait parler de lui à cause des fameuses boues rouges rejetées en mer. Plus récemment ce sont des poussières soulevées par le vent qui ont notamment fait réagir des habitants de Bouc Bel Air. Où en êtes-vous dans la gestion de vos rejets ?

F.R. : L’activité industrielle génère un impact et nous travaillons en permanence afin de réduire notre empreinte environnementale. Depuis 2015, nous avons cessé tout rejet de boues rouges en mer. Une démarche qui a nécessité plus de 20 M€ d’investissement. Nous avons mis en œuvre des installations uniques au monde et nous séparons aujourd’hui les rejets solides, des liquides. Depuis 2015, date de la mise en service de notre station de traitement d’eau, nous éliminons 99% de la matière solide de nos rejets. Entre 2016 et 2017, nous avons encore réduit de 70% la concentration des métaux dans les rejets liquides. Mais nous voulons aller encore plus loin…

Qu’en est-il des rejets solides ?

F.R. : L’ensemble du procédé produit toujours des résidus solides de bauxite de couleur rouge. Ce sont des déchets classés comme non dangereux. Ils peuvent même être réutilisé pour d’autres types de production. Nous travaillons à mieux gérer les poussières dégagées par jour de vent. Nous avons ainsi investi 400 000 euros avec la Société du Canal de Provence afin de faire de l’arrosage automatique de ces déchets. Par ailleurs, actuellement 10% de ces résidus sont utilisés pour la couverture d’anciennes décharges. Nous cherchons d’autres solutions pour réexploiter ces produits, comme matière première secondaire, pour fabriquer des bétons légers ou pour faire des tuiles. Les résidus peuvent, par ailleurs être utilisés pour dépolluer des sites. Cela fonctionne. Il faut maintenant passer à des expérimentations à grande échelle. Pour cela il faut lever encore quelques contraintes. Cette réutilisation des résidus heurte encore les mentalités. Mais les procédés permettent d’avoir des bénéfices pour l’environnement. Nous changeons de siècle, de façon de voir l’industrie.

D’où le lancement d’une création d’une station de traitement des eaux résiduelles par injection de CO2 ?

F.R. : Exactement. Nous avons validé ce traitement totalement innovant par CO2 après avoir fait fonctionner un pilote pendant un an, avec notre partenaire Air Liquide. Nous venons de lancer la construction d’une station capable de traiter 270 m3/heure d’eau pour un montant de 7 M€. Elle sera opérationnelle au premier semestre 2019. Cette neutralisation par CO2 ne nécessite pas de produits chimiques et permet d’éliminer 6 000 tonnes de CO2 par an. Cette installation va diviser par trente la concentration résiduelle d’alumine. Nous aurons ainsi donc les normes de qualité concernant le PH et les concentrations métalliques qui nous sont imposées par l’autorisation d’exploitation du site de Gardanne, en avance par rapport à l’objectif de 2021.

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