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« Les tribunaux de commerce sont des abattoirs »
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« Les tribunaux de commerce sont des abattoirs »

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Dans un livre coup-de-poing, le chef d'entreprise Nicolas Faguier raconte le cauchemar qu’il a vécu pour sauver sa PME de 24 salariés de la liquidation judiciaire. Le dirigeant dénonce notamment les dysfonctionnements des tribunaux de commerce.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Vous dirigez France Génoise, une PME agroalimentaire de 24 salariés basée dans le Maine-et-Loire qui a été mise en procédure de sauvegarde en 2008 suite à un déménagement dans une nouvelle usine qui s’est mal passé. Après avoir redressé l’entreprise, qui est redevenue bénéficiaire depuis deux ans, vous racontez votre histoire dans un livre. Vous y accusez les tribunaux de commerce d’être responsables d’une « euthanasie économique ». Pourquoi ?

Nicolas Faguier : Les chiffres sont accablants : 99 % des entreprises qui déposent le bilan sont mises en liquidation judiciaire. En Allemagne, on comptabilise 22 000 liquidations d’entreprises par an. En Angleterre, 25 000. En France, on monte à 60 000 !

Les juges des tribunaux de commerce vous répondront que c’est en partie la faute des chefs d’entreprise qui frappent à leur porte trop tardivement pour pouvoir sauver les entreprises…

N.F : Bien sûr que les chefs d’entreprise arrivent trop tard dans les tribunaux. Mais il y a une vraie raison : c’est qu’on ne fait rien pour les aider. Pour France Génoise, on a même cherché à nous nuire.

Qu’est ce qui ne fonctionne pas ?

N.F : Votre entreprise est malade. En frappant à la porte du tribunal de commerce, vous pensez rentrer dans un hôpital et vous vous rendez compte que vous vous rendez à l’abattoir. Mais attention, loin de moi l’idée de verser dans le " tous pourris ". Sur le papier, je pense même que c’est un excellent système. Les juges que j’ai rencontrés sont dévoués, bénévoles, compétents et disponibles. C’est aussi grâce à eux que France Génoise s’en est sorti. Mais, à côté des juges, il y a les administrateurs et les mandataires judiciaires qui n’ont qu’un seul objectif, c’est de vendre l’entreprise dans le cadre d’une liquidation.

Qu’est-ce qui selon vous ne va pas avec les administrateurs et les mandataires judiciaires ?

N.F : Ils échappent à tout contrôle. Les juges n’ont absolument pas d’autorité sur eux. D’abord parce qu’ils ont un monopole. Ces personnes sont indéboulonnables car le tribunal de commerce n’a pas d’autre choix que de les faire travailler. Ensuite, administrateurs et mandataires judiciaires n’ont ni la formation, ni l’expérience pour redresser une entreprise. Ils ont un regard juridique et comptable… Après, vient la question de leur statut. Ce sont des auxiliaires de justice assermentés, qui parlent au nom de l’État. En même temps, ils ont un statut libéral. Est-ce que vous imaginez un gendarme qui soit aussi détective privé ? C’est pourtant ce qui nous est arrivé : notre administrateur, par ailleurs avocat d’affaires, a défendu à plusieurs reprises les intérêts d’un industriel, contre ceux de France Génoise !

Le salaire médian d’un administrateur judiciaire est de 25.000 euros nets par mois, selon un rapport de l’Inspection générale des finances datant de 2012. Vous dites que leur mode de rémunération favorise les liquidations…

N.F : Un administrateur a financièrement intérêt à ce que l’entreprise ne survive pas. Une société qui se redresse comme France Génoise leur fait gagner assez peu d’argent. Pour 18 mois de procédure, il nous a facturé 50 000 euros. En vendant un de nos bâtiments, il peut gagner quasiment autant ! D’ailleurs, le jour où l’on a voulu vendre un de nos bâtiments, notre administrateur s’y est opposé. Comme on le vendait de gré à gré, dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, il n’a pas touché un centime de commission. Si on avait été en liquidation, il aurait empoché entre 20 000 et 40.000-euros. Des exemples, comme cela, j’en raconte des dizaines dans le livre. Quand j’ai essayé de restructurer la dette, le mandataire judiciaire s’y est opposé. Il ne faut pas oublier que plus vous avez de dettes, plus le mandataire peut toucher de l’argent…

Robert Badinter dans les années 1980, Arnaud Montebourg dans les années 1990 ou Emmanuel Macron quand il était ministre de l’Economie ont tenté de réformer les tribunaux de commerce. Par où commenceriez-vous ?

N.F : Il faut absolument réformer les rôles de l’administrateur et du mandataire, même s’il ne faut pas oublier que certains se plient en quatre pour le chef d’entreprise. Il faut revoir leur monopole, leur mode de rémunération et les contours de leur mission. Ils devraient être là pour dire le droit, aider au redressement d’un strict point de vue juridique. L’erreur que l’on fait en France, c’est d’avoir une approche juridique et comptable. Une entreprise, avant tout, c’est de l’humain. Regardez Apple, qui a été pendant dix ans au fond du trou avant que Steve Jobs en fasse l’une des plus riches du monde. La réussite dans l’entreprise n’est certainement pas le fait des comptables.

Tout n’est pas non plus noir. Même s’il vous a fallu surmonter de nombreuses épreuves, le recours au tribunal de commerce a permis de sauver France Génoise…

N.F : La procédure de sauvegarde est une super procédure ! Parce qu’on n’est plus dans une logique de sanctionner le chef d’entreprise qui a échoué, mais dans une logique de lui donner une deuxième chance. Dans les tribunaux de commerce, c’est comme dans le reste de la société, l’échec est stigmatisant. Quand vous êtes en redressement judiciaire, on vous dépossède de votre entreprise au profit de l’administrateur. Clairement, vous êtes estampillé " incompétent ". Avec la sauvegarde, c’est beaucoup mieux. Le dirigeant garde les clés, l’administrateur est censé l’appuyer. Avec la sauvegarde, on intègre donc le fait que le chef d’entreprise, qui investit, qui prend des risques, qui essaie des choses, peut à un moment donné connaître une défaillance. Finalement, si vous n’avez jamais échoué, c’est peut-être que vous n’avez jamais osé prendre de risques !

On parle assez peu des 60.000 entreprises qui disparaissent chaque année en France. Vous dîtes que la collectivité mériterait de davantage s’y intéresser…

N.F : L’Etat pense à tort que les tribunaux de commerce ne lui coûtent rien parce que les administrateurs et les mandataires se paient sur la bête et que les juges sont bénévoles. Mais le fait de liquider chaque année plusieurs dizaines de milliers d’entreprises coûtent énormément à la collectivité. D’abord, ce sont des ardoises pour les caisses de l’Etat. Ce sont aussi des ardoises pour les autres créanciers de l’entreprise. Pour eux, c’est du bénéfice en moins. Pour la collectivité, c’est donc de l’impôt sur les sociétés en moins. Ce sont aussi des milliers de salariés au chômage et des milliers d’entrepreneurs brisés. Si on arrivait ne serait-ce à sauver 30% des entreprises qui passent au tribunal de commerce, les bénéfices pour les finances publiques seraient considérables.

C’est pour cela que vous avez écrit ce livre ?

N.F : Je crois en la force du témoignage. Je rêve maintenant d’écrire la suite, d’écrire un deuxième livre en regroupant des témoignages d’autres entrepreneurs qui ont créé, pris des risques et qui, comme moi, ont un jour mis un genou à terre et ont franchi la porte du tribunal de commerce. J’invite les entrepreneurs à m’écrire, à partager leurs expériences, et j’espère qu’on arrivera à mettre en lumière les dysfonctionnements d’un système. Ce qui est regrettable, c’est que cela soit un non sujet actuellement en France.

Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs qui s’apprêtent à frapper à la porte d’un tribunal de commerce ?

N.F : De prendre un bon avocat et de s’entourer d’entrepreneurs bienveillants. Il ne faut surtout pas rester seul. Et il n’y a pas mieux qu’un chef d’entreprise pour se faire coacher.

France Génoise est-elle aujourd’hui sortie de l’ornière ?

N.F : Cette histoire n’est pas totalement derrière nous. Au niveau de la dette, il nous reste encore deux années à payer – nous ne rembourserons au final que 70% de notre dette suite à des négociations avec nos créanciers. Mais nous sommes revenus dans une dynamique positive, avec un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros en 2016. Nous avons renoué avec les bénéfices en 2014, six ans après l’ouverture de la procédure de sauvegarde.


Livre Tribunaux de commerce, l’euthanasie économique, Nicolas Faguier, éditions Baudelaire.

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