Les transporteurs des Pays de la Loire en panne de solutions face à la hausse des coûts
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Les transporteurs des Pays de la Loire en panne de solutions face à la hausse des coûts

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Les transporteurs ligériens font grise mine. L’inflation galopante touche toutes les fournitures, au premier rang desquelles le carburant. Chacun tente d’en atténuer le choc, mais aucune des pistes ne s’avère miraculeuse. Sortir de cette situation s’annonce vital pour ces 1 500 entreprises de transport routier des Pays de la Loire et leurs 36 000 salariés, mais aussi pour toute l’économie que leurs camions irriguent.

Les transporteurs routiers doivent composer avec la hausse des pris de l’essence, mais aussi des pneus des véhicules, de la maintenance, des péages ou encore des assurances — Photo : Ageneau Group

"Cela fait 42 ans que je suis dans le métier et je n’ai jamais connu de situation aussi grave. En 2008, la crise des subprimes, c’était déjà costaud, mais là, c’est pire !" Pascal Trubert est administrateur de la FNTR (Fédération des transports routiers) pour les Pays de la Loire et directeur général du sarthois Négo Transports (120 salariés, 15 M€ de CA).

Le prix du gasoil en hausse de 34,5 %

Ce qui a augmenté ? "Tout ! Le gasoil en premier, c’est une évidence", annonce Estelle Gillois, PDG des Transports Gillois, basés en Mayenne (89 salariés, 10,8 M€ de CA). Pascal Trubert a une idée très précise de ce que représente cette hausse du carburant pour son entreprise : "En mars, le gasoil a connu une hausse considérable. En nous basant sur 2021, nous avions prévu un budget à 364 610 € HT et le montant des achats gasoil a été de 490 890 HT, soit + 34,5 %." Mêmes chiffres étourdissants pour Guillaume Ageneau, directeur général d’Ageneau Transports, installés à Cholet (400 salariés, 70 M€ de CA) : "En mars, cela a représenté un surcoût d’environ 300 000 euros. On a acheté le litre de gasoil jusqu’à 1,90 € HT, voire 2 €". "Le diesel a pris 55 % depuis septembre 2021, et la hausse s’est accentuée ces deux derniers mois. C’est LE point majeur. Cela représente 25 à 30 % de notre coût de revient, avec la difficulté de la fluctuation et de l’imprévisibilité", témoigne Vincent Lesage, coprésident de la FNTR Pays de la Loire et PDG du groupe mayennais Breger (925 salariés, 140 M€ de CA). De fait, si le prix est redescendu aux alentours de 1,50 € le litre, "la situation reste imprévisible et il peut augmenter très rapidement, presque d’un jour à l’autre, de 10 à 15 centimes", craint Guillaume Ageneau.

Les salaires, 40 % du coût de revient

La deuxième hausse qui pèse, ce sont les salaires, qui représentent environ 40 % du coût de revient d’un transporteur routier.

Pascal Trubert et son fils Aurel co-dirigent Négo Transports — Photo : ©Francois.Jouanneaux

"On a donné cette année un gros coup de pouce aux salaires, de 6 % (5 % en début d’année, plus 1 % en mai pour anticiper la hausse du Smic), rappelle Pascal Trubert. Comme on récupère moins d’aides Fillon, ça fait du 9 % pour nous".

Une hausse supplémentaire : "L’AdBlue (qui permet de brûler les gaz d’échappement et de réduire la pollution) est passé de 20 centimes à 40 centimes en octobre, puis à 60 centimes en avril", déplore Estelle Gillois, qui en achète 87 000 litres par an. Avec une flotte de 300 camions, "notre entreprise en rentre 4 000 à 5 000 litres chaque semaine" témoigne Guillaume Ageneau.

"Nos coûts de revient ont augmenté de 5 % hors gasoil et de 16 à 20 % avec le gasoil. C’est considérable !"

Et ce n’est pas tout : "Avec la raréfaction de l’acier et des composants électroniques, les remorques ont pris 50 % depuis l’automne et les tracteurs 20 %, avec des délais de livraison à plus de douze mois", constate Estelle Gillois. L’avenir est incertain : "Pour les camions que l’on veut renouveler pour 2023, les constructeurs n’arrivent pas à nous donner de prix, peut-être 15 % de plus, peut-être 20 %", s’inquiète Vincent Lesage.

Vincent Lesage — Photo : Breger

Beaucoup de ces entreprises renouvellent un cinquième de leur parc chaque année. La situation modifie les habitudes commerciales, comme l’indique Estelle Gillois : "Les fournisseurs ont revu des bons de commande déjà signés. On ne l’a pas bien vécu…"

La FNTR a recensé les hausses moyennes : depuis le début de l’année 2022, les pneus ont augmenté de 16 %, les véhicules 15 %, la maintenance 8 %, les péages 3 %, les assurances 3 à 5 %. Globalement, "nos coûts de revient ont augmenté de 5 % hors gasoil et de 16 à 20 % avec le gasoil. C’est considérable !", calcule Pascal Trubert. Sans surprise, le point de conjoncture FNTR du premier semestre 2022 met en évidence une détérioration du moral des chefs d’entreprise. Pour la première fois depuis la fin de la crise sanitaire, tous les indicateurs sont en baisse. Aujourd’hui, les trois quarts (76 %) des chefs d’entreprise se déclarent insatisfaits, voire inquiets. C’est le pourcentage le plus bas depuis mars 2020.

Répercuter la hausse au client

Pour absorber ces chocs, l’État a mis la main au portefeuille et annoncé 400 millions d’euros d’aides en mars, s’ajoutant à la remise des 15 centimes à la pompe. "Le plan de résilience a été très important pour nous, tant avec les aides directes qu’avec les aides sur les carburants. Cela a été essentiel pour supporter des chocs très violents", commente Vincent Lesage. "Mais nous ne souhaitons pas être des entreprises subventionnées". Alors, quelles actions mener ?

Une première réponse : "Suivant la loi, on répercute en pied de facture la hausse du gasoil aux clients. On a augmenté nos prix, une première fois fin 2021, et parfois, une deuxième fois en 2022", explique Pascal Trubert. "Aujourd’hui, il faut répercuter. Ceux qui n’arriveront pas à appliquer les répercussions de prix ne passeront pas l’année".

Cette disposition rencontre des limites : "Cela ne compense pas la totalité de la hausse et se récupère le mois suivant. Si vous avez livré beaucoup chez un client au mois de mars par exemple et beaucoup moins en avril, l’indexation sera calculée sur la facture d’avril et vous serez perdant", décrit Guillaume Ageneau. "On peut se réjouir que cette indexation existe mais nos clients ne l’ont pas prévue et eux aussi sont confrontés à des hausses des prix". Résultat : "Ils reviennent souvent à la négociation", constate Pascal Trubert.

L’éco-conduite déjà pratiquée

Chacun tente d’économiser où il le peut. "Il faut agir là où ça fait mal : rationaliser l’utilisation du carburant. C’est-à-dire limiter l’utilisation du frein, tenir compte de l’inertie du véhicule, ne pas laisser tourner le moteur à l’arrêt, etc. Faire en sorte que chaque goutte de carburant soit utile", détaille Estelle Gillois, dont l’entreprise est labellisée Objectif CO2 du transport éco-responsable. Problème : "On ne peut pas aller au-delà de ce que l’on fait déjà, car c’est un sujet dont on s’est saisi depuis longtemps. Nous avons des boîtiers dans les véhicules qui mesurent le comportement routier des chauffeurs. Ils sont tous formés à une conduite plus économique et jouent le jeu", décrit Guillaume Ageneau.

Pour Vincent Lesage, avec treize agences en France et deux à l’étranger, "la première réponse, c’est notre métier, organisateur de transports. Le but est d’agencer au mieux le flux des clients. On fait en sorte de ne pas transporter pour rien, on travaille avec nos clients pour optimiser. On envoie des camions complets. Par exemple, pour un client qui utilisait des palettes non gerbables (qu’on ne peut empiler), on a aménagé un double plancher dans le camion".

La mutualisation est une autre piste d’économies. Les transports Gillois ont été parmi les membres fondateurs du réseau Astre en 1992.

Les Transports Gillois font partie des co-fondateurs du réseau Astre — Photo : Transports Gillois

Cette coopérative regroupe une centaine d’entreprises en France, plus une trentaine en Europe. "On a créé une centrale d’achat, ou encore Palet System, un réseau de transport de palettes", décrit Estelle Gillois, responsable d’Astre Académie, l’école de formation du groupement. Toutefois, il s’agit d’une organisation structurante déjà en place. Elle n’apporte pas une réponse directe ou nouvelle aux besoins du moment.

L’achat de tracteurs neufs est une source d’économies "puisque les constructeurs améliorent toujours les consommations", constate Pascal Trubert, qui attend 22 nouveaux camions pour cet été.

Des carburants verts… pâles

Les regards portent sur de possibles substitutions au gasoil par des carburants verts. Au-delà du coût, c’est l’enjeu du réchauffement climatique qui en fait un sujet incontournable. Pourtant à ce jour, ils peinent à convaincre. L’entreprise Breger avait pris des décisions fortes : "On a 70 camions qui roulent au biogaz. On s’est lancé en 2016 parce qu’on voulait réduire notre impact. On ne peut pas rester aux hydrocarbures, ce n’est pas possible. L’hydrogène, c’est lourd, coûteux, ce n’est pas pour tout de suite. Si on écoute le Giec, il faut agir avant trois ans. Donc, pas avec de l’hydrogène. Quant à l’électrique, c’est compliqué pour les poids lourds", détaille Vincent Lesage. "Il y aurait le B100, à base de colza. C’est plus propre, mais pas moins cher. C’est indexé sur le prix du pétrole, c’est incroyable !", s’étonne Pascal Trubert. Sa collègue mayennaise déroule : "Le colza ? Je continue de penser qu’il vaut mieux nourrir la planète avant de mettre de l’huile dans le réservoir. Quant à l’électrique, c’est une chimère d’y croire. Je fais rouler des 44 tonnes sur de longues distances, c’est impensable. Il reste l’HVO (huile végétale hydrogénée) : des huiles recyclées. C’est pas mal, j’attends de voir. J’ai hésité sur le biogaz et je n’y suis pas allée. Grand bien m’en a pris : les prix ont été multipliés par quatre". Effectivement, Vincent Lesage se sent piégé : "À l’époque, c’était compétitif par rapport au gasoil. Aujourd’hui, c’est devenu plus cher ! La fixation des prix est complexe, elle varie selon les types de contrats (des producteurs), selon les types de distribution. Nous, on va à la pompe, on utilise toutes les stations disponibles. Aujourd’hui, on connaît un moment difficile". Conclusion d’Estelle Gillois : "Il faut bien se dire qu’il n’y aura pas un seul carburant pour remplacer le gasoil. Il y aura un mix énergétique. Et pour le moment, on n’a pas fait mieux que le gasoil. Il est cher, donc on l’économise".

Pour une politique planifiée

Malgré ce contexte, les entreprises continuent de préparer leur activité future. Ageneau investit 12 millions d’euros pour déménager son site d’Angers à Trélazé, d’ici un an. Sur le long terme, Vincent Lesage ne voit pas d’autre issue que "des soutiens à la transition énergétique. Ils devront s’inscrire dans une politique planifiée, que ce ne soit pas un simple one shot". Et au-delà, "on aimerait une reconnaissance que notre métier n’est pas loin d’être un métier de première ligne (comme les professions de santé, les facteurs, etc. NDLR). Parce que nous, si on tombe… je ne sais pas ce qui se passe après".

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