Maine-et-Loire
Le secteur textile s'habille de vert
Enquête Maine-et-Loire # Industrie # RSE

Le secteur textile s'habille de vert

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Déjà commencé avant la crise sanitaire, le mouvement de l’industrie textile pour prendre à bras-le-corps les questions de RSE, particulièrement celles liées à l’environnement, s’est amplifié. Économie circulaire, recyclage, réduction et réutilisation des déchets sont au cœur des préoccupations des entreprises qui travaillent de plus en plus de manière collective sur ces sujets.

Mulliez-Flory, à Sèvremoine, est l’un des trois entreprises partenaires du projet Renaissance Textile — Photo : olivier

En région des Pays de la Loire, le projet le plus conséquent actuellement mené dans l’industrie textile en matière environnementale va voir le jour en Mayenne. Trois entreprises se sont alliées pour constituer une joint-venture et créer Renaissance Textile, une société installée dans un bâtiment de 12 000 m2 en périphérie de Laval. À terme, trois lignes permettront chacune de produire 3 000 tonnes de fibre textile par an, issues de l’effilochage de vêtements en fin de vie. Ces bourres de fibre seront confiées à des filatures en France et en Europe pour être ensuite retransformées en tissu. Ce site industriel unique, d’un montant total d’environ 25 millions d’euros, est le fruit du travail commun du groupe angevin Mulliez-Flory, installé à Sèvremoine et spécialisé dans la confection de vêtements professionnels, avec le lavallois TDV Industries, fabricant de textiles et de tissus techniques pour vêtements de travail, et les Tissages de Charlieu, dans la Loire. "Actuellement, il existe des filières pour les vêtements en fin de vie mais pas de solution circulaire, explique Jacques Gindre, le PDG de Mulliez-Flory. La majorité de ces vêtements est incinérée et une petite partie est effilochée puis utilisée en non tissé pour fabriquer des isolants ou des produits de rembourrage. En Espagne par exemple, une société effiloche des chutes de tissus, mais elle ne le fait pas avec les vêtements en fin de vie comme nous allons le faire." Les fibres produites par recyclage, plus courtes que les neuves, seront demain réintroduites dans le circuit de fabrication du tissu. "Il faudrait qu’on ait d’ici 5 à 10 ans 20 à 30 % de nos matières recyclées dans nos produits", ajoute Jacques Gindre.

Trois lignes de production

La première ligne de production, arrivée mi-janvier à Laval, devrait fournir les premières bourres de fibre l’été prochain. Les trois entreprises ont travaillé avec un fabricant français, la société Laroche, installée à Cours-la-Ville, dans le Rhône et spécialisée dans la conception et la production de machines pour l’industrie textile. "Depuis an et demi, nous avons passé énormément de temps pour effectuer des tests avec ce fabricant, indique Jacques Gindre. L’expérience tirée du fonctionnement de la première machine permettra d’affiner pour la conception des deux suivantes." La première ligne de production, en effet, aura pour vocation d’effilocher des vêtements en fin de vie issus des secteurs de l’agroalimentaire et de la santé : "Ce sont des tissus blancs en polycoton, précise Clément d’Audiffret, directeur général adjoint de Mulliez-Flory. Nous allons les collecter, les rapatrier sur le site et les transformer. La machine a été conçue pour retirer automatiquement ce que l’on nomme les points durs, comme les boutons. Les deux autres lignes iront vers des choses plus compliquées, comme des tissus en couleur, des vêtements qui intègrent des bandes réfléchissantes ou des produits non feu." Le lancement de l’activité représente pour l’heure un investissement de 6,5 millions d’euros. Dès cette année, le site devrait employer une vingtaine de personnes et atteindre 80 collaborateurs lorsque les trois lignes seront installées, auxquels s’ajouteront des centaines d’emploi en amont et en aval.

Une piscine pour 150 kg de coton

Renaissance Textile veut apporter une réponse à la question de l’impact environnemental du secteur textile. Une problématique ancienne, dont certains chiffres peuvent donner le tournis, surtout en amont de la chaîne : "95 % du textile en France est importé, précise Nicolas Nojac, ancien de TDV Industries et directeur d’exploitation de Renaissance Textile, surtout d’Asie. 25 % des pesticides dans le monde sont destinés au coton et il faut une piscine pour produire 150 kg de coton. Sur les 540 000 t de prêt-à-porter et linge de maison commercialisées chaque année en France, seul un tiers est collecté pour être revalorisé. Les 60 000 tonnes de vêtements professionnels sont, elles aussi, peu revalorisées." Le secteur du textile, dans les Pays de la Loire a pris le sujet à bras-le-corps, et les initiatives ou expérimentations, jusque-là le plus souvent individuelles, se multiplient depuis plusieurs années. "Chacune de nos trois entreprises était déjà engagée de son côté sur des sujets environnementaux, précise Jacques Gindre et la crise nous a invités à réfléchir ensemble." TDV Industrie a ainsi été le premier utilisateur de coton bio en France, les Tissages de Charlieu fabriquent des tote bags en fibre recyclée et Mulliez Flory a proposé il y a quatre ans à un de ses clients, le groupe Norauto, de réutiliser des vêtements en fin de vie. Avec 7 tonnes de pantalons défibrés puis filés, l’entreprise a pu confectionner 15 000 T-shirts.

Un secteur engagé

Ailleurs dans la région, les exemples d’entreprises du secteur textile qui s’engagent dans le domaine environnemental sont nombreux. Filiale du groupe Éram, La Manufacture, à Mauges-sur-Loire, a lancé Sessile, une chaussure éco-conçue, réparable, recyclable et fabriquée en France. Toujours au sein du groupe, la marque TBS a relancé un atelier de production à Saint-Pierre-Montlimart et Gémo a quant à lui ouvert, dans plusieurs magasins, des corners pour des vêtements de seconde main. Ailleurs dans la région, des ateliers se sont lancés dans la confection de produits avec du lin ou du chanvre. À Nantes, la marque pour hommes Faguo (32 boutiques, 16 M€ de CA, 100 salariés) propose à ses clients des chaussures, des vêtements ou des bagages éco-conçus. Et ne s’arrête pas là, avec des projets de site Internet basse consommation, de design des boutiques en matières biosourcées et recyclables, une future ligne de vêtements à base de matériaux recyclés issus de la mer… Pour chaque produit vendu, un arbre est planté, et l’entreprise en revendique aujourd’hui 2 millions. En Maine-et-Loire encore, Humeau-Beaupréau (24 M€ de CA, 130 personnes à Beaupréau-en-Mauges), est aussi engagé dans une importante démarche environnementale pour la fabrication de ses chaussures en injection plastiques de la célèbre marque Méduse, dont plus de 90 % sont produites en France. "Nous avons développé un process pour réintégrer 100 % de nos déchets de production, explique Anne-Céline Humeau, présidente du groupe familial. Nous voulons maintenant aller plus loin en collectant nous-mêmes nos produits en fin de vie, pour les recycler et les réintégrer dans la chaîne de fabrication."

La force du collectif

"Il y a une vraie tendance de fond sur les problématiques de RSE et de développement durable", confirme Sophie Pineau, dirigeante à Challans (Vendée) de la société Getex (3 M€ de CA 2020, 55 personnes), spécialisée dans la confection de pièces à manches pour de grandes marques et pour l’Armée, et présidente de Mode Grand Ouest, le groupement d’entreprises de la filière mode, cuir et textile. Filière qui intègre les façonniers sous-traitants et les entreprises qui fabriquent sous leur marque, et qui représente 250 entreprises pour 12 000 emplois dans les Pays de la Loire. "La loi Agec pour l’économie circulaire comme la loi climat et résilience ont accéléré un mouvement déjà engagé, poursuit Sophie Pineau, et la crise du Covid nous a aidés à nous rapprocher, principalement avec la fabrication des masques. Nos entreprises travaillent

de manière plus collaborative et cette émulation permet d’aller plus vite." Sur la question du recyclage par exemple, le secteur textile va s’appuyer sur le cluster Mod’Innov, qui sera bientôt basé à Cholet et piloté par le Pôle Mode Ouest, pour élaborer des solutions et innover, entre autres dans le domaine de la RSE. Ainsi, 6 entreprises de la région (Getex en Vendée, Textile du Maine et Société choletaise de Fabrication en Maine-et-Loire, le maroquinier FIM, Macosa et Confection Fléchoise en Sarthe), travaillent ensemble sur la possibilité de recycler les chutes de coupe. "L’objectif est ensuite de démultiplier cela dans les entreprises qui le souhaitent", ajoute Sophie Pineau.

Tout au long de la chaîne, du sourcing des matières jusqu’à leur réutilisation et le recyclage de produits en fin de vie, le secteur textile continue donc son virage résolument vert, avec nombre d’initiatives et d’expérimentations dans la région. On relocalise également, ou on renforce des productions déjà existantes. "Le mouvement s’amplifie, analyse Laurent Vandenbor, délégué général de Mode Grand Ouest, également porté par une nouvelle génération et par les grands acteurs du secteur, les grandes maisons, qui investissent ces champs-là. Mais on ne pourra pas faire du green à tout prix et il ne faut pas perdre de vue des critères de performance économique. Et pour que cela devienne une vraie tendance de marché, il faudra peut-être 10 ou 15 ans, car il faut que cela fasse sens et devienne aussi une nouvelle façon de produire et de consommer."

Maine-et-Loire # Industrie # Textile # Services # RSE