La filière textile régionale rebondit pour la première fois
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La filière textile régionale rebondit pour la première fois

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Après avoir perdu 70 % de ses effectifs en vingt ans, la filière textile des Pays de la Loire stoppe l’hémorragie. Mieux, pour la première fois depuis des lustres, elle a même récréé de l’emploi. Habillement et maroquinerie surfent sur le luxe et les marchés de niche. Reportage.

Photo : Société choletaise de fabrication

Pénétrer l’atelier de tressage de SCF a des allures de voyage dans une manufacture de textile du XIXe siècle. La Société Choletaise de Fabrication (SCF) aligne des centaines de métiers à tresser en bois datant… de 1830. Fabricant d’accessoires de types lacets, cordons ou rubans, la PME y réalise des textiles très fins en coton, en laine ou en soie, là où les rapides machines actuelles risqueraient de casser le fil. SCF s’en sert pour produire par exemple des lacets en coton, glacés pour avoir un aspect cuir, qui orneront des chaussures de luxe.

Nichée depuis 1969 à Beaupréau-en-Mauges (Maine-et-Loire), à l’épicentre de l’industrie textile régionale, SCF travaille pour la chaussure, la maroquinerie (anses de sac à main…), le prêt à porter. Et, depuis quelques années, crée des emplois. Depuis sa reprise par Olivier Verrièle en 2010, l’effectif a bondi de 18 à 50 salariés, suivant la hausse d’activité (1,8 million d'euros de chiffre d'affaires en 2010 contre 3,5 millions en 2017).

Vers le haut de gamme...

« Fonctionner comme une maison de luxe »

Comme beaucoup d’entreprises du textile, SCF tisse sa route vers le haut de gamme et le luxe. « Ce créneau a progressé, de 15 % à 50 % du chiffre d’affaires et dope notre activité », commente son dirigeant. Une dizaine de maisons de luxe parisiennes figurent aujourd’hui parmi sa clientèle. « Pour les séduire, on s’est mis à fonctionner comme une grande maison de couture. Avec un styliste, on a créé des collections deux fois par an, avec des books présentant 200 produits… » Pas de stocks de produits finis. Il propose du sur-mesure, parfois pour des commandes de quelques pièces, dans des délais courts.

Afin d’opérer ce virage, la PME a toutefois dû investir massivement à son échelle : 3,4 millions d'euros entre 2014 et 2016, pour construire un nouvel atelier de 2 800 m², racheter des machines de tissage et tressage… Ce qui explique ses derniers exercices déficitaires. Mais pas de quoi inquiéter Olivier Verrièle, qui annonce de bonnes perspectives commerciales. Autre atout : Bpifrance, entré au capital en injectant 500 000 euros.

Dans une filière textile laminée par la concurrence internationale, ce créneau haut de gamme fait partie des bouées auxquels se sont raccrochées les entreprises. Le prix facturé au client plus élevé permettant d’absorber plus facilement le coût du travail français. Preuve que le luxe a le vent en poupe, Longchamp investit d’ailleurs actuellement 11 millions d'euros dans une nouvelle usine en Vendée.

... ou les produits de niche

Petites séries et tutus de danseuse

Le luxe n’est pas le seul choix payant. Au milieu de la campagne mancelle, l’atelier de confection Macosa a, lui, choisi de s’attaquer à des produits de niche ou techniques comme des soutiens-gorge post-opératoires, de la lingerie pour le sport ou encore des maillots de bain dotés de bijoux.

Son modèle économique a changé au tournant des années 2000, au moment où le carnet de commandes s’effondrait. « J’ai pris conscience que seules les jeunes marques pourraient nous faire travailler. Leurs productions ne sont pas délocalisables vu le nombre de pièces demandées, analyse le patron, Philippe Hache. On quitte le taylorisme pur des années 1990 où l’on fabriquait le même produit pendant des semaines, pour réaliser aujourd’hui des séries de 30 pièces où le maître mot est la qualité.»

Implanté à Bonnétable, l’atelier abrite 70 opératrices qui s’affairent sur des machines à coudre, des découpeuses et des presses. Parmi ses productions figurent les marinières Saint James et les tutus de l’Opéra de Paris.

L'échec de la marque "maison"

Fils du fondateur de l’entreprise, aux commandes depuis près de trente ans, Philippe Hache a toutefois traversé dans la douleur la crise du secteur textile. Dans les années 1990, Macosa emploie 750 salariés, dans quatre usines en Sarthe et en Bretagne. Sous-traitant, il livre des marques de lingerie françaises. Sa production atteindra 2 500 pièces par jour et par client. Philippe Hache a tout tenté. En 1996, il essaie d’abord de lancer sa propre marque : « Éloquence Lingerie », pour combler la baisse de la sous-traitance. Un échec. « Les clients en ont pris ombrage », explique-t-il. Ils lui posent un ultimatum : « Soit on devenait une marque, soit on restait sous-traitant et on abandonnait la marque », raconte-t-il.

L’année suivante, il se résigne à délocaliser une partie de sa production et ouvre une usine de 180 salariés à Madagascar. « Une expérience extraordinaire dans l’un des pays les plus pauvres du monde. On employait des ouvriers mais on leur offrait un système de soins et un salaire supérieur à ce qui se pratiquait ailleurs », raconte l’entrepreneur. Après avoir fonctionné un temps, ce système va toutefois s’enrayer.

26 000 emplois perdus en vingt ans

En 2009, Macosa ferme l’usine. « Le coût du transport aérien depuis Madagascar pour un soutien-gorge est passé de de 40 à 60 centimes. Et nous ne pouvions pas opter pour le transport maritime : trop long pour des gammes de produits se renouvelant rapidement », explique Philippe Hache.

"Rescapé" de la filière

Autre cause plus scandaleuse, la guerre des prix. « Un client demandait des baisses de 25 %. Mais hors de question de rogner la rémunération des ouvriers malgaches. Je voulais pouvoir me regarder dans une glace ! » Depuis plusieurs années, Macosa reste stable, avec une centaine de salariés. Et s’apprête à en recruter une dizaine.

Comme la Société Choletaise de Fabrication, Macosa fait partie des rescapés du massacre de la filière textile. Entre 1990 et 2010 celle-ci a perdu « 26 000 emplois » en Pays de la Loire, dixit l’Insee, soit 70 % des effectifs de l’industrie de la mode au sens large : la fabrication de matériaux textiles, l’habillement, les domaines du cuir et de la chaussure.

Si ces secteurs vivent des réalités bien différentes, l’hémorragie côté emploi semble bien s’être estompée : la filière comptait 11 000 salariés en 2010… contre plus de 12 000 aujourd’hui. « Alors que depuis vingt ans, les effectifs diminuaient et sans interruption, le rebond est aujourd’hui visible », respire Laurent Vandenbor, délégué général de Mode Grand Ouest, groupement qui réunit des professionnels du secteur, dont des noms tels que CWF ou Mat de Misaine. Même si Laurent Vandenbor invite à rester prudent…

Activité 100 % intégrée

Pour accompagner la mutation du textile, son groupement a lancé « un plan de formation musclé pour monter en compétence ». Objectif : attaquer des marchés plus difficiles, le luxe et s’adapter aux renouvellements de collections toujours plus rapides. « Là où un opérateur dans une manufacture de mode réalisait une ou deux opérations en 2003, il sait en faire quatre ou cinq aujourd’hui », souligne Laurent Vandenbor.

Certes, il ne faut pas se voiler la face derrière un carré Hermès : si le tsunami de destruction d’emplois se calme, c’est aussi parce qu’une grande partie de la production a déjà été délocalisée. Désormais, beaucoup produisent à la fois en France et à l’étranger, ou uniquement à l’étranger. C’est le cas de Mulliez Flory, ce fabricant de vêtements de travail possédait encore des ateliers en France dans les années 2000, avec un effectif de 430 personnes, tombé à 150 en 2003.

Si sa confection se fait aujourd’hui dans ses usines tunisiennes et via une sous-traitance asiatique, son patron Jacques Gindre explique néanmoins qu’il « reste industriel ». Sa stratégie consiste à miser sur une activité 100 % intégrée : de la création des produits (« le style ») au prototypage, jusqu’à la logistique et l’analyse des besoins des clients... « Mulliez-Flory maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur, souligne-t-il. Ce qui évite les cumuls de marges liés à la sous-traitance et qui se retrouvent dans le prix de revient».

A la recherche de main d’œuvre

Et ça marche. L’entreprise a recréé de l’emploi, son effectif s’élève à 270 salariés en France aujourd’hui. Livrant 7,5 millions de pièces par an, Mulliez Flory habille aussi bien le personnel du château de Versailles, que les salariés de Peugeot ou les contrôleurs de la RATP. Cette dernière, comme La Poste ou la SNCF a d’ailleurs essayé de voir si une fabrication française était possible. « Le problème c’est que le prix reste le critère le plus important dans les marchés publics…. Et si je prends une combinaison de travail faite en Tunisie et vendue 15 euros… Il faudrait la vendre 42 euros si on voulait la produire en France », regrette Jacques Gindre.

Mode Grand Ouest, qui accompagne les entreprises dans la formation et le recrutement, note que les besoins en main d’œuvre augmentent ces dernières années. La maroquinerie crée de nouveaux jobs, l’habillement commence timidement aussi. En revanche la chaussure n’embauche que pour remplacer les départs en retraite.

Car la filière recoupe des réalités très différentes. En amont, les fabricants de fil, tissus et autres matériaux surfent sur le textile technique. « En France, la part de ces textiles a bondi d’environ 15 % à 40 % dans ce secteur depuis les années 2000 », constate Hubert du Potet, directeur communication à l’Union des industries textiles. Dans cette catégorie, on trouve notamment le Lavallois TDV, qui livre des matériaux qui serviront à réaliser des vêtements professionnels innovants : pièces ignifugées, résistantes aux projections d’acide, etc.

L'horizon du vêtement connecté

Du textile technique… et demain high tech ? Comme la chaussure connectée d’Eram, lancée en octobre ? Partout services numériques et objets connectés à forte valeur ajoutée attirent en effet l’attention.

Réussir le virage numérique

« Certaines applications offrent par exemple la possibilité de créer des vêtements sur-mesure et customisés. Ce genre d’initiative pourrait recréer de l’emploi en local, grâce au service proposé et permettant de produire différemment, par exemple juste ce qu’il faut quand il faut, au lieu de produire 100 pièces dont 75 seront vendues en soldes sur 12 périodes, avec des coûts de transports… explique Laurent Vandenbor. On revient vers des modèles d’antan, quand on allait chez son tailleur, sans que ce soit un luxe ». Il fait notamment référence à un système de prise de mesures par smartphone, lancé en France par Tô & Guy, qui débouche sur un vêtement personnalisé.

De son côté, Jacques Gindre voit même plus loin. « Qui sait, demain les smartphones auront peut-être disparu au profit d’écran intégrés à nos vêtements ? Si l’on réussit à négocier le virage numérique, cela pourra se traduire par des recrutements significatifs. Même si ce ne sera peut-être plus des piqueuses, mais des techniciens qui piloteront des chaînes de production de vêtements connectés... »

# Textile # Conjoncture # Ressources humaines # Innovation