Dans les zones rurales des Pays de la Loire, la fibre change la vie des entreprises
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Dans les zones rurales des Pays de la Loire, la fibre change la vie des entreprises

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La Mayenne, la Sarthe et le Maine-et-Loire ont mené une politique volontariste pour déployer la fibre optique sur leurs territoires ruraux. Ils ont un temps d’avance sur les autres départements de l’Ouest, répondant aux besoins des entreprises et se dotant d’arguments pour renforcer leur attractivité.

Mayenne, Maine-et-Loire et Sarthe sont parmi les départements ayant déployé le plus rapidement la fibre en France — Photo : FedericoC

La fibre optique recouvre la quasi-totalité des territoires de la Sarthe, de la Mayenne et de Maine-et-Loire. Dans l’Ouest, ces trois départements ont clairement un temps d’avance. L’aboutissement de politiques publiques volontaristes entamées depuis plusieurs années. "La Mayenne est le département le plus fibré de l’Ouest", se réjouissait déjà le Conseil départemental en février dernier. Avec la dernière armoire de rue installée en décembre 2021 à Astillé, le réseau structurant est déployé. La fibre est présente dans les 322 communes du territoire. Lorsque les raccordements seront terminés, 115 000 foyers seront éligibles.

Sur son site web, l’Arcep, Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, tient à jour une carte du développement de la fibre optique en France. Dans l’Ouest se démarquent la Mayenne, la Sarthe et le Maine-et-Loire — Photo : Arcep.

La Sarthe suit cette dynamique. Il reste 60 points de mutualisation à installer, sur 472. Dominique Le Mèner, président du Conseil départemental de la Sarthe, l’assure, "le département sera totalement connecté à la fin de l’année. C’est 17 000 km de fibre, pour alimenter un potentiel de 220 000 prises. 400 millions d’euros d’investissement". À ce jour, 2 400 entreprises et collectivités sont déjà raccordées. En Maine-et-Loire, la totalité du département devrait être raccordable fin 2023. "Nous avons 150 000 prises sur 220 000 prévues", décrit Hugues Wallet, directeur général d’Anjou Fibre.

Ces chiffres ne concernent que les zones rurales, à savoir les périmètres couverts par Mayenne Fibre, Sartel THD (Sarthe Numérique) et Anjou Fibre. Ces sociétés de projet avec délégation de service public ont été mises en place par les Conseils départementaux et les collectivités locales pour déployer la fibre dans ces zones rurales, là où ce n’était pas rentable. Les agglomérations, elles, sont déjà équipées par les opérateurs commerciaux.

Frustration et perte de temps

Ces politiques veulent contribuer à l’attractivité des territoires et à l’activité économique. "Sans la fibre, un territoire peut perdre des entreprises", assure Philippe Chalopin, président d’Anjou Numérique, maire de Baugé-en-Anjou et vice-président du Conseil départemental de Maine-et-Loire. Cela est déjà arrivé : le village angevin Champteussé-sur-Baconne a vu partir une pépite en 2015. Spécialiste du diagnostic immobilier, Allodiagnostic (aujourd’hui Hyperion Développement, 45 M€ de CA, 500 salariés) a déménagé à Château-Gontier, sous-préfecture de la Mayenne, pour avoir à accès au très haut débit. "Nous transférons des tailles de dossiers importantes. Notre métier, c’est la collecte de données. C’était devenu problématique à Champteussé", décrit Edouard Carvallo, le président d’Hyperion Développement.

En Anjou, le groupe Pom’Ligne (10 M€ de CA, 150 salariés) déploie son activité de négoce de pommes sur trois sites. Deux sur trois attendent encore un raccordement. "Sans la fibre, c’est très compliqué. Il y a une perte de temps pour les commandes, la gestion des stocks, et même l’outil commercial, puisque tous les producteurs utilisent le même logiciel", décrit Antoine Cordier, le dirigeant. "Les visioconférences et réunions techniques à distance se sont multipliées, et il est parfois difficile d’y participer. Il y a de la frustration et de la perte de temps."

"Cela devenait impossible. On ne pouvait pas continuer comme ça"

À Saint-Clément-des-Levées (49), France Fil a connu cette situation, jusqu’en octobre 2021. Ce fabricant de containers en fil d’acier (85 salariés, 11 M€ de CA) ne se situe pas dans une zone d’activités. "Cela devenait impossible. On ne pouvait pas continuer comme ça", se souvient Hadi Remita, son PDG.

Hadi Remita est le PDG de France Fil International depuis février 2018 — Photo : Olivier Hamard JDE.

"Cela a nui à notre développement. Nous avions une qualité de réseau tellement mauvaise que nous ne pouvions pas partager de vidéos, nous ne faisions pas non plus de visio et le haut débit est indispensable pour le télétravail. Nous échangeons tellement de données que c’est un handicap. Dans la compétition que nous menons avec nos concurrents en Turquie, en Pologne, ou au Maroc, c’était préjudiciable. Avoir une bonne connexion, ça change la vie. Depuis que nous l’avons, nous avons upgradé notre ERP, et nous allons pouvoir disposer de certaines applications dans le cloud. Nous envisageons aussi de créer un intranet pour nos clients, ce qui était impossible avant."

50 fois plus de débit

"Selon ce qu’on avait comme connexion avant, la fibre donne 40 à 50 fois plus de débit", expose Julien Montaufier, directeur général adjoint de Mayenne Fibre, Laval THD et Orne THD. Cela ouvre donc d’énormes perspectives aux entreprises. Un des usages les plus évidents, développé pendant les confinements, est le recours aux visioconférences. Pour l’entreprise, c’est une économie d’énergie en termes d’organisation et d’économie de déplacements. Cela a aussi permis d’instaurer et/ou d’accroître le télétravail. À l’exemple d’Hyperion Développement, "certaines sociétés peuvent avoir des dossiers lourds à envoyer, avec des temps de transferts très longs", poursuit Julien Montaufier.

L’arrivée de la fibre a été également reçue avec soulagement par Bruno Sonnet, PDG de B3C (20 M€ de CA, 160 salariés), une PME qui fabrique des cartes électroniques, à Andouillé en Mayenne. Il confirme : "On est fibré depuis septembre 2020. On avait une demande urgente, nous avions sollicité la communauté de communes pour qu’elle développe la fibre. On échange beaucoup de fichiers lourds avec les clients, les tuyaux étant trop petits, la transmission se faisait à une lenteur exceptionnelle."

"C’est vital ! S’il y a une coupure, j’arrête l’usine"

Le haut débit est également devenu un outil incontournable des process. "C’est vital ! S’il y a une coupure, j’arrête l’usine". François Bienfait, directeur de Cofel, fabricant de literies, à Noyen-sur-Sarthe (57 M€ de CA, 145 salariés), est raccordé depuis plusieurs années.

François Bienfait, directeur de l’usine Cofel — Photo : Rémi Hagel

"Notre ERP est hébergé dans un pool sécurisé en région parisienne. Toute notre usine fonctionne grâce à ce système, notamment pour consulter les ordres de fabrication. Nous avons 400 références de sommiers et 600 de matelas : on change souvent les données de production, selon les commandes. Si on change tous les dix matelas, ça fait cent ordres de fabrication par jour. Si l’écran s’éteint, on ne sait plus travailler".

La fibre permet effectivement de sécuriser des données sur le cloud. Perdre des disques durs dans un incendie est un dommage toujours redouté. Xavier Devisse, directeur de Sarthe Numérique, insiste sur l’intérêt pour les entreprises de recourir à des contrats FTTE (Fiber to the enterprise), plus chers que les abonnements grand public, mais offrant des garanties d’intervention en cas de problème. "Une entreprise peut perdre plusieurs dizaines de milliers d’euros s’il y a une panne".

En milieu rural, la fibre ne sert pas qu’au process industriel. "Pour les téléphones portables ici, on ne capte rien, donc j’appelle en wifi", témoigne Charles Jeuland, directeur du site Algoplast (3,7 M€ en 2020, 14 salariés), à Ballée, en Mayenne. Chargé de communication pour les Ateliers Fim à Brûlon, en Sarthe, Cyriaque Lecomte "passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux pour publier les offres, les actualités… La fibre me permet également de créer des visuels en passant par des sites disponibles via le cloud". Globalement, "avec la crise, les usages des télécommunications ont pris de l’importance", constate Robert Mitu, délégué régional d’Orange. Cela se traduit autant par la multiplicité des usages (télétravail, télé-éducation, achats à distance), que par une demande forte de fiabilité des réseaux, donc du très haut débit. "Le volume de data échangé a grossi de 30 à 40 % en un an".

Argument d’attractivité

Si elle satisfait les entreprises locales, la fibre devient aussi un élément d'attractivité pour les campagnes ligériennes. "La concurrence pour attirer les entreprises va se faire entre les territoires qui l’ont et ceux qui ne l’ont pas", analyse Philippe Chalopin.

Le Conseil départemental de la Sarthe a mené une campagne d’attractivité à Paris, en mettant en avant l’accès à la fibre — Photo : Conseil départemental de la Sarthe.

Le Conseil départemental de la Sarthe fait ainsi de la fibre un argument phare de sa campagne d’attractivité à destination des Parisiens, avec le slogan : "L’alliance de la fibre et de la chlorophylle !" "Aujourd’hui, la fibre est un facteur de maintien de l’activité en milieu rural. Il faut le même débit qu’en ville. Certains consultants parisiens ou architectes arrivent en campagne et exigent le haut débit pour travailler et envoyer des fichiers ou des plans", explique Hugues Wallet, d’Anjou fibre. "Il est récurrent que ce critère entre dans les priorités de nos clients, confirme le promoteur Philippe Leboucher, DG de Lelièvre Immobilier, au Mans. Nous travaillons à l’installation d’unités où la fibre est un préalable obligatoire avant d’approfondir les dossiers".

Aujourd’hui, les entreprises ne demandent plus la fibre, "elles ne posent plus la question parce que c’est le b-a ba. Pour elles, elle est déjà là, c’est une évidence. La question est plutôt : Où est le branchement ?", assure Maëlle Chauvin, directrice du service Action Economique du Pays fléchois. Les entreprises qui s’implantent sur le territoire vont plutôt s’inquiéter du vivier d’emploi, des dispositifs existant pour les aider à recruter et aussi du cadre de vie pour ses salariés. "Elles apprécient d’avoir toutes les infrastructures d’une ville et d’être au vert." Et pour recruter, la fibre revient comme argument.

Le télétravail rendu possible en milieu rural

Autre atout de la fibre, la possibilité de mettre en place le travail à distance, quasi-impossible sans un débit suffisant. Depuis la crise du Covid, Maëlle Chauvin, directrice du service Action Economique du Pays fléchois, a constaté un accroissement du télétravail, notamment des Parisiens. Pour eux, comme pour les personnes qui suivent leur conjoint, l'accès à la fibre est un argument. "L'un des problèmes des entreprises en milieu rural est le recrutement, constate Philippe Chalopin, président d'Anjou Numérique. Le coût des déplacements est aussi un vrai sujet. Les entreprises proposent donc aux nouveaux collaborateurs de télétravailler, certains le demandent d'ailleurs, mais il leur faut la fibre". "Si le réseau est mauvais, on ne pourrait même pas embaucher le meilleur candidat possible", expose Olivier Hérault, directeur de Coriolis Service. La démarche de l'entreprise est notable. Ce centre d'appels possède deux plateformes téléphoniques à Angers et Laval. L'entreprise recrute désormais des agents jusqu'à une heure de route de ses deux sites. Et pour télétravailler, l'accès au très haut débit est nécessaire. "Le plan fibre du Département de la Sarthe a été déterminant pour venir à Mamers", poursuit le dirigeant. "Déployer une industrie de services, comme Coriolis, n'était jusqu'alors pas possible ici", témoigne le maire Frédéric Beauchef. Désormais, ça l'est, pour les habitants de Mamers, comme pour ceux des communes rurales de la Sarthe, de la Mayenne et du Maine-et-Loire. Dans le Baugeois, "nous avons ouvert un lotissement de 28 maisons dans lesquelles 20 personnes sont en télétravail. La fibre et le haut débit sont aujourd'hui un outil d'aménagement du territoire", assure Philippe Chalopin.

À suivre : un data center local

De prochaines étapes se dessinent. Sarthe Numérique a, par exemple, enclenché la création d’un data center en Sarthe, à l’attention des entreprises locales. "C’est un enjeu de cybersécurité important", commente Xavier Devisse. Un projet de 2,5 millions d’euros, mené dans les deux à trois prochaines années. Autre évolution attendue, celle de l’internet des objets. Des panneaux ou des portes, dotés de capteurs, transmettent une information en bas débit à un récepteur positionné sur la fibre optique. Le panneau est cassé, la porte reste ouverte : des informations simples utiles au gestionnaire de l'infrastructure. "Si on installe ces systèmes, on démultipliera la force du réseau fibre", prédit Xavier Devisse.

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