Dans les Pays de la Loire, le secteur de la chaussure reprend sa marche en avant
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Dans les Pays de la Loire, le secteur de la chaussure reprend sa marche en avant

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En Pays de la Loire, le secteur de la chaussure, qui a longtemps été florissant avant de subir une terrible crise dans les années 80 et 90, connaît aujourd’hui un certain renouveau, boosté par le "made in" France et de nouvelles attentes des consommateurs. Il fait face à de nouveaux enjeux, dans le domaine de la transition écologique et du maintien des savoir-faire.

Le savoir-faire de la chaussure, comme ici au sein de la Manufacture, à Montjean-sur-Loire, n’a pas disparu — Photo : La Manufacture

"On avait l’impression de se battre contre des moulins à vent en choisissant par éthique de rester en France !" En 2022, même si la situation économique et l’ambiance n’est pas des plus roses, Anne-Céline Humeau, la présidente du groupe Humeau-Beaupreau, à Beaupreau-en-Mauges (Maine-et-Loire), a le sentiment que les choses changent : la société familiale qui fabrique des chaussures depuis plus de 100 ans a connu bien des tourments, jusqu‘à un plan de redressement de 11 longues années dans les années 80, mais elle est toujours debout. "Nous avons délocalisé toute la fabrication en cuir de notre marque de chaussures pour enfants Bopy en Tunisie, dans notre propre usine, précise la dirigeante.

Anne-Céline Humeau président de groupe familial Humeau-Beaupreau — Photo : Olivier Hamard

Nous avons conservé en France toute la partie injection pour nos autres marques de bottes, de sandales et de sabots Méduse, Baudoux et UMO." Le groupe a aussi gardé à Beaupréau-en-Mauges, où il emploie 125 personnes, toute la matière grise comme la conception, l’approvisionnement, la réception ou le contrôle des matières premières, même celui du cuir utilisé en Tunisie. Aujourd’hui, l’engouement pour le made in France plaide en faveur du groupe bellopratain et de ses confrères. "Il aura fallu une crise sanitaire pour se rendre compte que produire en France ou pour le moins en Europe et à proximité était essentiel", constate Anne-Céline Humeau. Si cela ne se traduit pas encore localement sur l'emploi et une croissance forte du secteur, les projets se multiplient, souvent en lien avec l'environnement. Le made in France, si vanté pendant la crise sanitaire, pourrait bien aussi accélérer sa marche en avant.

420 entreprises, 18 000 salariés

Aux côtés de Humeau-Beaupreau, d’autres noms de la chaussure sont demeurés, sur un territoire qui est encore le second en France dans ce secteur, après celui de Romans sur-Isère, dans la Drôme. Le bassin choletais a compté dans les années cinquante jusqu’à 420 entreprises, employant 18 000 personnes. Il couvrait alors un quart de la production nationale et chaque commune ou presque comptait au moins une usine de chaussures, jusqu’au déclin des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Des sociétés ont perduré, assurant tout ou partie de leur production localement. D’autres marques sont restées en assurant la fabrication à l’étranger. On y produit encore dans le choletais un tiers des chaussures faites en France, dans des proportions nettement moindres. Le territoire a su rebondir vers d’autres activités industrielles, mais la chaussure est restée avec des entreprises telles Humeau-Beaupreau, le groupe Eram à Saint-Pierre-Montlimart, Bosabo, à Saint-André de la Marche ou encore GEP à Saint-Germain-sur-Moine.

Partenaires étrangers

En 2023, le Groupement de la Chaussure des Pays de la Loire regroupe une vingtaine d’entreprises, essentiellement sur le bassin choletais, qui emploient environ 2 500 personnes. La société Cléon, à La Romagne, spécialiste de la chaussure pour hommes, est aussi de celles-là. "Il nous a fallu à partir des années quatre-vingt-dix approcher des marques et ne plus être producteur, témoigne Jacques Cléon, fils du fondateur et aujourd’hui président du conseil de surveillance de la société familiale. Aujourd’hui, nous travaillons avec des partenaires en Asie, en Tunisie et en Europe, Espagne, Italie ou Portugal, pour certaines marques comme Redskins ou Kost qui sont entièrement conçues chez nous. Nous avons aussi créé les marques Le Formier et Kleman, dont nous faisons à la Romagne la partie fabrication et finition, ce qui nous permet d’avoir l’appellation Made in France." Créé en 1945, l’entreprise familiale de près de 80 personnes, dont 45 en production, arrive aujourd’hui à un nouveau tournant avec la transmission à une troisième génération de dirigeants. Elle réalise 21 millions d’euros de chiffre d’affaires après avoir chuté en 2004 à 9 millions d’euros et atteint jusqu’à 39 millions d’euros au plus haut de son histoire. Elle produit 130 000 paires de chaussures chaque année, dont une partie dans son usine des Mauges. Et selon Jacques Cléon, l’un des facteurs de la réussite des marques françaises sera la volonté d’authenticité du consommateur : "Le prix est prioritaire pour beaucoup et on ne peut pas lutter mais pour d’autres il y a un besoin de sens, qu’on leur raconte une histoire. Là, nos entreprises ont leur carte à jouer."

Dimension verte

Parmi les grands noms du secteur, on compte également le groupe Eram, créé en 1927 et toujours basé à Saint-Pierre Montlimart. S’il a dû délocaliser une grande partie de sa production, il a conservé en Maine-et-Loire deux usines : un atelier à Jarzé avec 65 personnes, qui réalise de l’injection sur tige, et la Manufacture de Montjean-sur-Loire, qui compte environ 150 collaborateurs. À Jarzé, sont produites pour deux-tiers des chaussures de sécurité et pour le reste des chaussures de loisirs. "À Montjean-sur-Loire, précise Jean-Olivier Michaux, directeur général de la Manufacture, nous avons plus d’opérations manuelles et nous travaillons pour plusieurs marques du groupe comme Bocage, TBS ou Parade. Nous sommes également sous-traitants pour d’autres marques françaises. Parallèlement nous essayons aussi de nous réinventer, car l’innovation est essentielle", poursuit le dirigeant. Et au cœur de cette innovation, la dimension environnementale, plus largement la RSE qui est probablement l’une des clés de la pérennité et du développement du secteur de la chaussure dans la région. "Sur cette dimension verte, nous travaillons de plus en plus sur le recyclage, explique Jean-Olivier Michaux. À Jarzé par exemple, nous recyclons les chutes de polyuréthane thermoplastique utilisé pour les patins de semelles, ce qui nous permet d’en diviser la consommation par deux. Dans l’usine de Montjean-sur-Loire, nous utilisons de plus en plus de colles aqueuses, moins polluantes. Et nous avons aussi et surtout le projet Sessile, une chaussure réparable en circuit court."

Recyclable et réparable

Lancée en 2019, Sessile est une chaussure conçue à partir de matériaux naturels ou recyclables de provenance française ou de pays voisins, entièrement fabriquée au sein de la Manufacture, vendue sur internet et expédiée au client pour 60 %, commercialisée chez des distributeurs dans 15 points de vente pour 30 %, le reste étant vendu directement en salon ou sur place à l’atelier. Démontable, elle peut être réparée et avoir une seconde vie. Si elle n’est pas réparable, ses différentes matières seront recyclées et réutilisées.

Directeur industriel du groupe Eram, Jean-Olivier Michaux est aussi le responsable du site de la Manufacture — Photo : Olivier Hamard JDE

"En 2022, nous aurons fait 4 500 paires, indique Jean-Olivier Michaux, pour un chiffre d’affaires d’environ 550 000 euros. La sous-traitance reste notre premier métier mais Sessile est un vrai relais de croissance." Pour La Manufacture, il s’agit même d’aller plus loin, tout en creusant le double-sillon du circuit court et de la réparabilité, avec une réflexion sur l’automatisation des process. Lancée juste avant la crise sanitaire, la marque continue de croître. "Ce qui marche aujourd’hui, c’est la fast fashion et nous avons pris le pari de faire le contraire, indique Jean-Olivier Michaux. Cela a un coût mais il faut comparer le prix d’achat et celui de l’usage, avec une empreinte carbone réduite." Et un prix de revient également plus élevé, dont la main d’œuvre compte pour 40 % et qui serait moitié moins élevé au Portugal par exemple et encore moins dans d’autres pays…

PVC recyclé

L’environnement est aussi au cœur des préoccupations du groupe Humeau-Beaupreau dans son usine des Mauges. Depuis 5 ans, l’entreprise ne travaille plus, dans le domaine de l’injection, qu’avec du PVC totalement recyclable. "Nous avons un énorme projet de réutilisation des matières, explique Anne-Céline Humeau. Nous avons déjà développé un process pour réintégrer 100 % de nos chutes de production dans notre fabrication et nous voulons maintenant recycler le PVC en fin de vie." Une action que mène également l’entreprise Cléon et les autres professionnels du choletais, avec la charte Innoshoe, qui comporte deux volets : d’une part l’innocuité des produits fabriqués, avec une vigilance sur la sécurité chimique des chaussures, un cahier des charges et des tests des matières et matériaux utilisés et d’autre part la traçabilité. "Ce sera le sujet majeur dans les années à venir", assure Jacques Cléon.

Formation

Autre sujet sur lequel le secteur de la chaussure travaille activement, celui du recrutement et des savoir-faire. Avec la fermeture massive des usines il y a maintenant près de 30 ans, il a pour partie disparu et certaines formations n’existent plus. Le groupement régional de la Chaussure des Pays de la Loire a relancé une formation piquage en 2018-2019, puis une seconde en 2022. "Il n’y a pas de réserve de main d’œuvre ni de formation digne de ce nom", constate Jacques Cléon. Aussi ce sont le plus souvent les entreprises elles-mêmes qui assurent cette transmission de savoir-faire. "Il reste des compétences pour fabriquer, assure néanmoins Jean-Olivier Michaux, mais c’est un enjeu et un vrai combat de les garder."

La crise sanitaire, la volonté de consommer dans des circuits plus courts, de manière plus vertueuse, a rebattu les cartes pour les entreprises de la chaussure du territoire. Reste qu’elle est toujours confrontée à une question de coût de production, et c’est donc son savoir-faire local qu’elle met en avant pour faire la différence. Loin des circuits courts, le made in France s’exporte aussi : Humeau-Beaupreau, qui vend à l’étranger environ un quart de ses produits toutes marques confondues, a réalisé un record de ventes en 2022 en Corée du Sud et au Japon avec sa marque Méduse, commercialisée à 50 % hors de France. L’usine de Beaupreau a fabriqué 700 000 paires de sandales l’an dernier. Cléon, de son côté, réalise 15 % de son chiffre d’affaires à l’export. Made in France pour une clientèle hexagonale et international pour une clientèle désireuse d’un produit issu d’un réel savoir-faire pourraient bien être les deux leviers du renouveau de l’industrie de chaussure.

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